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à l'intérêt social de la société, par exemple en créant un préjudice d'image pour la société. A l'inverse, elle offre une certaine protec- tion aux dirigeants qui prendraient en considération ces enjeux au détriment de la rentabilité à court terme. Quant à la responsabilité civile de la société vis-à-vis des tiers, c'est un sujet controversé que la jurisprudence aura à trancher : les conditions de mise en œuvre d'une telle responsabilité devraient toutefois être difficiles à établir.
2 La faculté d’introduire une raison d'être dans les statuts
Autre disposition du droit commun des sociétés, l'article 1835 du code civil est modifié pour prévoir la faculté d'insérer dans les sta- tuts de toute société une "raison d'être" ("purpose" en anglais). Celle-ci est constituée "des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité" : la finalité sociétaire ne se limite pas alors à la seule recherche d’un profit. Sans doute une loi n'était- elle pas nécessaire à une telle insertion. Toutefois, le véritable apport législatif réside dans la modification des articles L. 225-35 et L. 225-64 du code de commerce applicables aux sociétés ano- nymes : ils prévoient que conseil d'administration et directoire doivent prendre en considération la raison d'être statutaire dans la détermination des orientations de l'activité de la société. L'in- sertion d'une raison d'être dans les statuts accroît donc pour les dirigeants qui n'en tiendraient pas compte les risques de révoca- tion, voire d'action en responsabilité de la part de la société. Mais elle légitime l'action des organes de direction qui s’y conforment, notamment pour l'appréciation de l'intérêt social ou encore, pour les sociétés cotées, dans le contexte de campagne d'activistes. Le risque paraît limité que le non-respect de la raison d'être, même statutaire, puisse fonder une action en nullité ou en responsabilité civile de la société vis-à-vis des tiers, sans qu’il soit exclu toutefois que cela puisse dépendre de la formulation de la raison d'être.
3 La qualité de société à mission
Depuis quelques années, sous l'impulsion de chercheurs et de quelques entreprises pionnières, se développe en France le concept d'entreprise à mission, c’est-à-dire d'entreprises qui ins- crivent une mission sociétale, incarnée par des engagements, au cœur de leur activité, organisent leur gouvernance pour en assu- rer le suivi et prévoient son évaluation. Elles s'inspirent des statuts de benefit, public benefit ou special purpose corporations appa- rus aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années. Pour favoriser leur émergence, la loi Pacte crée l'appellation de "société à mission", dont peuvent se prévaloir publiquement les sociétés commerciales, quelle que soit leur forme, qui remplissent les conditions suivantes : (i) être dotée d'une raison d'être statutaire, (ii) fixer dans ses statuts un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la socié- té se donne pour mission de poursuivre, (iii) prévoir dans ses statuts les modalités d'exécution et de suivi de la mission et se doter d'un organe dédié à ce suivi, qui comprend au moins un salarié et établit un rapport joint au rapport de gestion et (iv) être déclarée en tant que telle au greffe du tribunal de commerce. Un tiers expert est désigné pour vérifier l'exécution des objectifs et rendre un avis joint
au rapport précité. La société peut être contrainte sur décision du juge de cesser de faire publiquement état de cette appellation si ces conditions ne sont pas respectées, ou si le tiers expert constate que la société ne remplit pas ses objectifs statutaires. Des règles similaires s'appliquent aux mutuelles et coopératives.
Il ne s’agit en aucun cas d’un type sociétaire particulier mais d’une qualité (intéressante en termes d’image...), qui peut être reven- diquée par toute société commerciale respectant les conditions précitées, et dont ne découle aucun régime fiscal ou juridique spécifique. Elle diffère en cela des statuts précités en vigueur aux Etats-Unis, conçus pour permettre expressément aux dirigeants de gérer la société en fonction de finalités ne se limitant pas à la re- cherche du profit et pour les protéger contre les risques de mise en cause de leur responsabilité tant qu'ils respectent un équilibre raisonnable entre la recherche du profit et les autres finalités assi- gnées à la société dans sa mission. Dans le contexte français, et en tenant compte des modifications des articles 1833 et 1835 du code civil, il a été considéré que l'instauration d'un régime de responsa- bilité spécifique ne s'imposait pas.
La création de cette appellation par la loi a le mérite de définir un cadre clair et unifié pour les entreprises à mission et de donner une notoriété réelle à ce concept. Quel en sera le succès ? Les entre- prises qui se considèrent à mission auront en toute hypothèse inté- rêt à s'inscrire dans ce cadre, car se présenter comme entreprise à mission sans s'y soumettre pourrait être source de confusion, voire - ce que l’on ne saurait totalement exclure - de responsabilité.
L’INSTITUTION DES FONDS DE PÉRENNITÉ
Christian Nouel
Attendu depuis de nombreuses années, l'article 177 de la loi Pacte crée le fonds de pérennité, équivalent des « fondations actionnaires » qui existent dans de nombreux pays, au sein duquel peut être logé tout ou partie du capital d'une société et qui peut réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général.
Le fonds de pérennité est une structure juridique autonome, distincte des fonds de dotation et des fondations. En l'état actuel des textes et en l'absence de commentaires de l'administration fiscale, nous com- prenons que le fonds de pérennité est soumis dans les conditions de droit commun aux impôts commerciaux (Impôt sur les sociétés, TVA, etc.). En outre, aucune des dispositions fiscales favorables réservées aux donateurs de fonds de dotation ou de fondations ne peut s'ap- pliquer à ceux des fonds de pérennité.
Il est dès lors à redouter que l’attractivité du fonds de pérennité en soit amoindrie.
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