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- LIVRET LOI PACTE -
Deuxième axe :
la modification de la place des entreprises dans la société
Un deuxième axe cardinal de la loi Pacte tient à la volonté du législateur d’engager un changement de paradigme par deux vecteurs.
Le premier vecteur a trait au renforcement de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises : dorénavant, celles-ci devront prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans l’ensemble de leurs décisions.
Le second vecteur procède d’une représentation plus équilibrée entre les sexes et d’un partage de la valeur plus juste, au profit des salariés en particulier dont l’intéressement à la richesse créée (intéressement stricto sensu, partage de la plus-value de cession, épargne-retraite) et la représentation sont renforcés.
A l’inverse, rémunération des dirigeants, conventions réglementées et entreprises stratégiques font l’objet d’un contrôle accru.
LA PRISE EN CONSIDÉRATION DES ENJEUX SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX PAR LES SOCIÉTÉS
Philippe Dupichot et Didier G. Martin
La loi Pacte souhaite ni plus ni moins « repenser la place des entreprises dans la société » afin que la France se dote d’entre- prises « plus justes ». Cette évolution s’inscrit dans un mouvement profond reposant sur trois causes :
◆ d’abord, une prise de distance vis-à-vis d’un modèle économique reposant sur ce que le Président Macron, lors de ses vœux aux français, a nommé un « capitalisme ultralibéral et financier, trop souvent guidé par le court terme » ;
◆ ensuite, la volonté affichée par Bruno Le Maire que les entreprises endossent une responsabilité sociétale et qu’elles prennent toute leur part dans la contribution au bien commun ;
◆ enfin, l’idée qu’il serait possible de réconcilier rentabilité éco- nomique à long terme et prise en considération des objectifs sociaux et environnementaux.
Parce qu’un nouveau modèle de croissance durable serait ainsi possible, la loi Pacte modifie l'article 1833 du code civil (1), et introduit les notions de raison d'être (2) et de société à mission (3), instituant ainsi une possible gradation dans la prise en compte des enjeux RSE.
1 La modification de l'article 1833 du code civil
On saluera tout d'abord la retenue d’un législateur qui n’a pas osé toucher à l'article 1832 du code civil : son alinéa 1er dispose donc toujours que la société est instituée "en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter".
Il a au contraire choisi de modifier l’article 1833 du code civil, en s’ins- pirant d’une recommandation du rapport Notat - Senard du 9 mars 2018. Aussi, un second alinéa dispose dorénavant que "la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".
Ce texte, d’application immédiate à l’ensemble des sociétés même constituées avant son entrée en vigueur (pas ici de survie de la loi an- cienne aux contrats en cours...) imposera que la gestion de la société soit conforme à l’intérêt social de celle-ci.
Le texte consacre de façon éclatante la notion d’intérêt social sans jamais cependant la définir, afin de conserver la souplesse de cette fameuse « boussole de la société », utilisée en matière d’abus de majorité, d’administration provisoire ou encore de sûretés pour autrui. Il en résulte que la société ne saurait être gérée dans le seul inté- rêt commun des associés de l’alinéa 1er (lecture contractuelle au stade de la constitution), mais en fonction d’un intérêt propre de la personne morale, possiblement distinct de celui de ses associés (lecture institutionnelle au stade de la vie de la société). Plus no- vateur, elle intime aux dirigeants de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de toute société. Cette disposition ne consacre certes pas la primauté de ces enjeux sur l'intérêt social de la société. A minima, elle oblige les dirigeants à les examiner préalablement à la prise de décision. Au-delà, elle pourrait leur imposer de retenir la décision la plus favorable au plan social et environnemental entre deux décisions équivalentes au plan de la rentabilité économique ; avec à la clé, l’obligation pour une décision moins-disante sur le plan social ou environnemental de justifier de sa meilleure conformité à l'intérêt social. Les sociétés devront adapter le processus et le compte rendu des délibérations et des décisions de leurs organes sociaux, et se préconstituer la preuve de cet examen.
Quelles sanctions s'attachent à la violation de cette disposition ? Toute nullité est expressément écartée par la loi, qui modifie à cette fin opportunément l'article 1844-10 du code civil afin de préserver la sécurité juridique. Mais un dirigeant pourrait se faire révoquer (pour juste motif le cas échéant), ou voir sa responsabi- lité engagée par la société, si le défaut ou l'insuffisance de prise en considération des enjeux sociaux ou environnementaux a nui
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