17 juin 2015
Alerte Client | France | M&A / Corporate
Ironie du calendrier : alors qu'il fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité1, le droit d'information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise issu de la loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 20142 (dite "loi Hamon") et de son décret d'application3 est en voie d'être substantiellement amendé par le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dit "projet de loi Macron").
On rappellera succinctement que la loi Hamon a introduit un droit d'information préalable des salariés (ci-après le DIPS) en cas de cession d'un fonds de commerce ou d'une participation majoritaire dans une SARL ou une société par actions, lorsque la taille de l'entreprise ne dépasse pas certains seuils4. Les modalités de mise en œuvre de ce DIPS varient selon que l'entreprise est dotée ou non d'un CE : en l'absence de CE, les salariés doivent être informés deux mois avant la cession tandis qu'en présence d'un CE, les salariés doivent être informés au plus tard en même temps que l'information et la consultation de celui-ci.
Lors de l'examen du projet de loi Macron en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale5, le Gouvernement a introduit par voie d'amendement un article visant à aménager le DIPS6. Celui-ci figure dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé hier sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.
Si ces dispositions devaient être adoptées en l'état, ce que l'on peut raisonnablement supposer, le DIPS serait modifié sur quatre points significatifs7. Ces dispositions entreraient en vigueur à une date devant être fixée par décret, et au plus tard 6 mois après la promulgation de la loi.
Désormais, le DIPS ne serait applicable qu'en cas de vente d'un fonds de commerce ou d'une participation majoritaire (sous réserve des critères de taille), alors que le dispositif actuel est applicable en cas de "cession", terme générique allant au-delà de la seule figure de la vente, et donc en cas d'apport pour ne citer qu'un exemple.
La modification la plus substantielle serait relative à la sanction applicable en cas de non-respect du DIPS avec la suppression de la nullité de la cession qui peut en l'état actuel être prononcée par le juge à la demande de tout salarié.
Désormais, la juridiction saisie d'une action en responsabilité pourra prononcer une amende civile à la demande du ministère public. Le montant de cette amende civile serait plafonné à 2 % du montant de la vente.
Bien que le texte soit silencieux, l'action en responsabilité à laquelle il est fait référence vise sans aucun doute une action initiée par des salariés estimant que le DIPS n'a pas été respecté et cherchant à obtenir réparation du préjudice en résultant.
Le délai de prescription abrégée de deux mois applicable à l'action en nullité en l'état actuel du texte serait supprimé par la même occasion. L'action en responsabilité des salariés relèverait donc des règles de droit commun de la prescription.
La loi Hamon (art. 18) avait également introduit8 un dispositif d'information périodique des salariés, au moins une fois tous les 3 ans, sur les possibilités de reprise d'une société.
Le décret d'application devant définir le contenu et les modalités de cette information périodique n'est pas encore paru. Le projet de loi Macron prévoit néanmoins que cette information périodique devra également porter "sur les orientations générales de l’entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d’une cession de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d’un changement capitalistique substantiel".
En corollaire, une nouvelle exception au DIPS en cas de vente d'une participation ou d'un fonds de commerce serait introduite pour l'hypothèse où "au cours des douze mois qui précèdent la vente, celle-ci a déjà fait l’objet d’une information en application de l’article 18 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire" (c'est-à-dire dans le cadre de l'information périodique).
En dépit de certaines incertitudes9, une telle modification devrait à notre sens être de nature à inciter les entreprises et leurs actionnaires à mener une réflexion sur l'opportunité de procéder à l'information périodique chaque année plutôt qu'une fois tous les trois ans.
En l'état actuel des textes, les modalités pratiques d'information des salariés sont régies par le décret du 28 octobre 2014, lequel énumère tant les modes d'informations possibles (affichage, réunion d'information, LRAR, etc.) que la date à laquelle l'information est réputée avoir été faite.
Le projet de loi Macron prévoit qu'en cas d'information par LRAR, la date de réception de l’information est la date de la première présentation de la lettre. Cette disposition prendrait donc le contre-pied du décret du 28 octobre 2014 qui avait prévu dans un tel cas que la date de réception de l'information est la date de la remise de la lettre à son destinataire.
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1. QPC n° 2015-476, renvoyée par le Conseil d'Etat.
2. Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire (art. 19, 20 et 98), codifiée aux articles L. 141-23 et suivants (cessions de fonds de commerce) et L. 23-10-1 et suivants du Code de commerce (cessions de sociétés)
3. Décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise.
4. En résumé, dans les entreprises de moins de 50 salariés d'une part et dans les entreprises comprenant entre 50 et 249 salariés et dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 50 millions d'euros ou le total bilan est inférieur à 43 millions d'euros d'autre part.
5. Etant rappelé que l'examen du projet de loi Macron en première lecture, le Sénat a voté au mois de mai une disposition prévoyant que ce droit d'information préalable des salariés ne serait applicable qu'en cas de cessation d'activité, et non plus en cas de cession de l'entreprise.
6. Amendement s'inspirant des conclusions du rapport de Mme Fanny Dombre Coste à laquelle avait été confiée une mission parlementaire sur ce thème en début d'année.
7. D'autres modifications, essentiellement de clarification, relatives aux étapes de la procédure d'information seraient apportées. Celles-ci ne sont pas détaillées ici.
8. Dans les sociétés commerciales de moins de 250 salariés.
9. On peut notamment s'interroger sur la date à prendre en compte pour déterminer la période de 12 mois (date du signing ou date du closing ?).
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