Les partenariats public-privé (PPP), un outil adapté pour le développement des transports urbains de masse en Afrique
Les villes africaines (en particulier en Afrique subsaharienne) font face à une urbanisation croissante. Parallèlement, le secteur des transports en commun y est encore peu développé, avec une prédominance d'opérateurs informels qui exploitent des minibus anciens et de faible capacité, tandis que le nombre de voitures particulières augmente.
Cette situation entraîne de nombreuses nuisances, notamment des embouteillages, de la pollution et un manque général de moyens de transport à la fois sûrs, fiables et abordables.
Un réseau de transport urbain performant est donc essentiel pour améliorer les conditions de vie et favoriser le développement économique.
Toutefois, la mise en place de réseaux de transport en commun de masse – Bus Rapid Transit (BRT), Light Rail Transit (LRT), tramways, métros – nécessite des investissements initiaux conséquents pour la construction des infrastructures ainsi que pour l'achat du matériel roulant et des équipements connexes.
En Afrique, les municipalités et administrations centrales ont souvent des difficultés à lever du financement à des taux abordables et la dépense publique est dans une large mesure dirigée vers d'autres infrastructures de transport (routes, autoroutes, aéroports) et d’autres services publics, jugés plus essentiels ou économiquement viables, plutôt que vers le transport urbain. En conséquence, le financement public pour les projets de transport urbain reste limité. Par conséquent, les PPP – dans lesquels le partenaire privé est responsable du financement des coûts du projet – s'avèrent être un outil adapté car ils offrent la possibilité de mobiliser l'investissement privé et permettent ainsi aux autorités d'accélérer le développement des transports urbains pour répondre aux besoins croissants, tout en bénéficiant de l'expertise développée par le secteur privé dans la construction et l'exploitation de ces projets intrinsèquement complexes.
La plupart du temps, un financement public demeure néanmoins nécessaire pour réaliser l'infrastructure sous-jacente (corridors, gares, dépôts, centres de contrôle) dans la mesure où les recettes d’exploitation ne permettront généralement pas de couvrir le remboursement de la dette et des fonds propres à la fois pour l'infrastructure et le matériel roulant. Par conséquent, le partenaire privé ne sera généralement responsable que du financement du matériel roulant et autres équipements (SAEIV, système billettique, etc.). Les autorités se tournent alors le plus souvent vers les institutions financières de développement pour l’obtention de prêts concessionnels et de dons pour financer le coût des infrastructures.
Cette structuration dissociée a été mise en œuvre avec succès dans le cadre du projet PPP de BRT de Dakar, dans lequel l'infrastructure a été financée par l'État grâce à un financement de la Banque mondiale, tandis que Dakar Mobilité (concessionnaire de l'exploitation et de la maintenance du système de BRT) a réuni le financement de 135 millions d’euros nécessaire à l'acquisition de la flotte de bus et des systèmes associés via des apports en fonds propres de ses actionnaires Meridiam et Fonsis, des prêts seniors de Proparco et EAIF ainsi que des subventions de l'UE et du PIDG.
Principaux points d’attention sur le cadre juridique et institutionnel des PPP dans le transport urbain
La structuration et la mise en œuvre de PPP bancables dans les transports urbains nécessite un cadre juridique et institutionnel clair et favorable. Une attention particulière doit être apportée aux sujets réglementaires spécifiques suivants :
- Il doit en principe exister une autorité organisatrice des transports dédiée avec des prérogatives claires, et assumant toutes les missions relatives à la préparation, la passation et la gestion des projets de transport urbain. Si d'autres autorités seront nécessairement impliquées à différentes étapes du projet (par exemple le ministère des finances pour l’octroi de garanties souveraines le cas échéant), il convient d'éviter un chevauchement d’attributions en matière de mobilité urbaine afin d’accélérer la mise en œuvre des projets. Ceci est d'autant plus important que les projets dépendront généralement de nombreux autres éléments tels que la construction des infrastructures supports, les études et plans de restructuration des réseaux de transport public à l'échelle de la ville, etc. qui devraient relever de cette même autorité.
- La règlementation routière devra être adaptée dans la mesure nécessaire afin de s’assurer que le système puisse être conçu et exploité de manière à répondre aux exigences de performance souhaitées. Il s'agit notamment des règles relatives aux dimensions et aux charges maximales à l’essieu des véhicules, des règles de priorité, des règles relatives à la signalisation, etc.
- Les fixation des tarifs doit être régie par des dispositions claires. De préférence, les textes devraient permettre la régulation des tarifs par le biais du contrat de PPP – dans lequel les parties conviendraient de la politique tarifaire, des plafonds et des mécanismes d'ajustement - plutôt que de les soumettre à l'approbation d’autorités tierces.
- Des incitations fiscales et des subventions peuvent être envisagées dans la mesure requise pour attirer l'investissement privé (par exemple par le biais d’exonération de droits de douane à l’importation sur les véhicules).
Principaux points d’attention en matière d’allocation des risques dans le cadre de PPP dans le transport urbain
Les PPP dans les transports urbains soulèvent un certain nombre de problématiques spécifiques en terme d’allocation des risques, qui doivent impérativement faire l’objet d’un traitement adéquat dans la documentation contractuelle pour assurer la bancabilité du projet, et notamment :
- Risque de demande : il s’agit assurément du risque le plus complexe à apprécier et à gérer. Lorsque l'autorité contractante entend faire supporter le risque de demande au partenaire privé, les soumissionnaires devront avoir l’opportunité de procéder à leur propre évaluation de la demande. La capacité du secteur privé à accepter d’endosser ce risque dépendra notamment de la disponibilité de données fiables à partir desquelles la demande future peut être extrapolée, ainsi que du niveau de contrôle accordé au partenaire privé sur la conception du réseau et de la flotte, l’adaptation des lignes et des horaires de service, la fixation des tarifs et la collecte des recettes. Même dans ce cas, il est généralement attendu que l'autorité contractante partage une partie du risque en consentant des garanties de revenus ou de fréquentation minimum - dont les termes seront négociés dans le contrat de PPP, mais qui devraient être fixées de manière à permettre à la société de projet de remplir a minima ses obligations au titre du service de la dette.
- Risque d'interface : les PPP dans les transports urbains de masse comprennent généralement un ou plusieurs corridors principaux alimentés par des lignes de rabattement souvent exploitées par des tiers. Lorsque le risque de demande est supporté par le partenaire privé, l'autorité contractante assume le risque d'indisponibilité et de sous-performance des lignes de rabattement exploités par des tiers. Quand la réalisation de l'infrastructure support est du ressort du secteur public (voir ci-dessus), des risques d'interface peuvent également découler d'une conception inadéquate de l'infrastructure ou de retards de construction empêchant ou retardant l’exploitation du système. Ces risques d'interface seront aussi en principe supportés par l'autorité contractante, étant précisé que partenaire privé peut être amené à partager certains des risques liés à la conception de l'infrastructure à condition qu'il soit en mesure d'examiner et d'approuver les documents de conception correspondants.
- Concurrence des opérateurs existants : lorsque le risque de demande est supporté par le partenaire privé, l'autorité contractante assume généralement le risque que les opérateurs existants exploitent des itinéraires parallèles ou empiètent sur le couloir réservé au partenaire privé, érodant ainsi les recettes de ce dernier. Il est fortement recommandé que les autorités traitent ce risque très en amont en développant et en mettant en œuvre des stratégies de mobilité urbaine et en intégrant les opérateurs existants dans la conception et l'exploitation du réseau de transport (par exemple, en tant qu'opérateurs des lignes de rabattement ou en tant qu'employés du partenaire privé). C’est un sujet majeur qui, s’il n'est pas traité de manière adéquate peut conduire à d’importants retards et perturbations en raison du grand nombre d'opérateurs concernés ; à titre d'exemple, il y a plus de 80 000 motos-taxis à Douala qui représentent 70 % du trafic de la ville.
- Collecte des recettes tarifaires : lorsque le partenaire privé assume le risque de demande, il devra en principe pouvoir gérer le système de billettique et la collecte des recettes tarifaires. Toutefois, l'autorité contractante peut exiger que le système de billettique soit interopérable avec un certain degré d'intégration tarifaire de sorte qu’une partie des recettes du partenaire privé dépendra des paiements effectués auprès des opérateurs de rabattement (et vice versa). Dans ce cas, afin de minimiser les risques liées à la gestion des flux de trésorerie par le opérateurs de rabattement, il peut être préférable de désigner un agent indépendant chargé de collecter et de répartir les recettes tarifaires entre les opérateurs concernés, à condition que les modalités de reversement des recettes au partenaire privé soient compatibles avec les exigences des prêteurs.
Perspectives d’avenir pour les PPP dans les transports urbains en Afrique
Ces projets nécessitent à la fois une planification et une préparation minutieuses de la part des autorités afin de parvenir à une structure bancable et permettre ainsi la mobilisation des investissements privés indispensables au déploiement de réseaux de transport public durables et de qualité.
Les BRT en particulier s'avèrent être une option prisée car ils requièrent en général un volume d’investissement moins important et sont plus rapides à construire que les réseaux ferroviaires urbains, tout en atteignant une capacité de transport similaire.
Ainsi, un nombre croissant de villes africaines, notamment Dakar, Lagos, Douala, Addis Ababa, Kampala, Abidjan, le Caire, Maputo et Dar es Salaam, ont mis en place ou prévoient de mettre en place des corridors BRT nouveaux ou supplémentaires, dont plusieurs sont développés sous forme de PPP.