2 mai 2020
France | M&A / Corporate | Article d'Olivier Diaz, associé de Gide et expert du Club des Juristes
La décision de la Commission des Sanctions de l’AMF du 17 avril dernier, qui a sanctionné deux fonds Elliott à une amende de 20 millions d’euros, démontre que la stratégie visant à tenir otage une opération, largement approuvée par le marché, devant aboutir au retrait de la cote de la société visée – en l’espèce Norbert Dentressangle, devenue XPO Logistics – n’est pas sans danger, et requiert une transparence qui en a trop souvent été absente.
On approuvera la solution dans son principe tant les acteurs de ces stratégies de « chantage au billet vert » (greenmailing) aiment à alimenter le flou sur la construction de leur position, sur leur exposition réelle et sur leurs intentions. Le montant de la sanction paraîtra également adapté tant au profit qu’attendent les adeptes de cette stratégie qu’à l’ampleur de leurs moyens.
Dans une opération d’offre publique, l’ambition de l’offreur et de la cible est le plus souvent d’opérer un retrait de cote, pour de multiples raisons allant de la simple réduction des coûts liés à la cotation à la recherche d’une stratégie de long terme à l’abri du jugement du marché. La stratégie de « greenmailing » vise à contrer ce projet.
Le flou autour de cette stratégie a en réalité pour principale victime l’actionnaire qui va, à son insu, vendre indirectement ses titres à un fonds qui aura construit sa position sans dévoiler ses intentions, avant que ce fonds ne finisse à plus ou moins longue échéance par recéder leurs titres dans des conditions plus favorables, comme ce fut le cas en l’espèce. Le profit du fonds opportuniste se sera fait au détriment de cet actionnaire. Si l’actionnaire avait connu les objectifs du fonds, il aurait pu préférer apporter ses titres à l’offre afin de contribuer à sa pleine réussite, ou les conserver dans l’espoir d’un prix futur supérieur.
On regrettera en revanche que l’AMF ait recours à une interprétation très libre de sa règlementation pour justifier une décision à laquelle elle aurait pu parvenir de manière moins critiquable et plus instructive par rapport à la stratégie qu’elle sanctionne.
Dans un premier temps, l’AMF fait reposer sa critique du manque de transparence sur une discussion assez artificielle sur la qualification par les fonds Elliott, dans leurs déclarations d’acquisitions, des produits dérivés auxquels ils ont eu recours. Les fonds Elliott les ont qualifié de « CFDs » (« contracts for difference« ), alors que pour l’AMF ils auraient dû être déclarés comme « equity swaps« . On peut certes penser, à la lecture des faits relevés dans la décision, que les fonds Elliott ont adopté le vocable « CFD » car il leur semblait avoir une connotation plus inoffensive qu' « equity swap ». Néanmoins, ni l’un ni l’autre de ces termes ne fait l’objet d’une définition reconnue, leur effet économique étant équivalent, de telle sorte que faire reposer une sanction significative sur une discussion de ces termes sans base légale ou règlementaire n’est pas sans interroger.
Dans un second temps, l’AMF reproche aux Fonds Elliott de n’avoir pas dévoilé leurs intentions par rapport à l’offre à une époque où l’essentiel de sa position est constituée de produits dérivés sur des actions qu’elle n’est pas juridiquement en mesure d’acquérir. L’article 231-47 du Règlement Général de l’AMF prévoit en effet que toute personne qui vient à accroître sa position, depuis le début de la période d’offre ou de pré-offre, d’au moins 2%, ou qui vient à l’accroître quel qu’en soit le niveau, si elle détient plus de 5 % du capital ou des droits de vote de la société visée, doit déclarer immédiatement à l’AMF les objectifs qu’elle a l’intention de poursuivre au regard de l’offre en cours.
Il est clair, contrairement à ce que prétendaient les Fonds Elliott, contre la lettre pourtant explicite de l’article 231-44 du Règlement Général, que les pourcentages se calculent en incluant les instruments - y compris à dénouement monétaire - ayant un effet économique équivalent à la détention des titres.
En revanche, on ne voit pas comment un investisseur peut avoir des intentions par rapport à l’offre sur des titres qu’elle ne détient pas. Selon l’article 231-47, la déclaration précise l’intention d’apporter les « titres acquis » à l’offre. Seuls les titres « physiques » peuvent être apportés à l’offre, de telle sorte qu’on ne voit pas comment la déclaration sur l’intention ou non d’apporter à l’offre peut être requise tant que la position prend la forme de dérivés, notamment s’ils sont à dénouement monétaire. Au surplus, le texte prévoit que la déclaration doit préciser les intentions quant à l’apport à l’offre « si l’offre a été déposée », ce qui n’était pas le cas au moment de la déclaration. On relèvera d’ailleurs que les services de l’AMF n’avaient pas réagi à la déclaration des fonds Elliott.
Le caractère hautement discutable des arguments qui motivent la décision font la partie facile à ceux qui crient à la persécution des fonds activistes.
Il eut été à la fois plus sûr et plus intéressant pour la Commission des Sanctions de fonder sa sanction sur la violation de l’article 223-6 du Règlement Général qui exige que toute personne qui prépare pour son propre compte une opération financière susceptible d’avoir une incidence significative sur le cours d’un instrument financier ou sur la situation des porteurs de cet instrument dévoile dès que possible les caractéristiques de cette opération.
En l’espèce, les faits rappelés dans la décision semblent démontrer sans ambiguïté que les fonds Elliott ont depuis l’origine préparé, en cachant leurs intentions, une opération financière visant à empêcher XPO Logistics de sortir Norbert Dentressangle de la cote. En outre, le différé entre la définition de leur stratégie par les fonds Elliott et la publication de leur véritable intention n’avait rien de momentané.
On rappellera que c’est sur le fondement de l’article 223-6 que la Commission des Sanctions avait sanctionné la montée occulte de Wendel au capital de Saint Gobain et de LVMH au capital d’Hermès. Dans cette décision, la Commission des Sanctions avait considéré comme une opération financière « la montée, dans des proportions importantes, au capital d’une société constitue, en soi, une opération financière ». Cette définition convenait parfaitement à la stratégie des Fonds Elliott.
En suivant cette voie, la Commission des Sanctions se serait inscrite dans une jurisprudence qu’elle a développée à l’encontre de deux grands opérateurs français, échappant au soupçon de partialité.
Elle aurait également rendu une décision qui aurait clarifié que toute stratégie de blocage d’une offre doit être rendue publique dès le début de la construction de la position, mettant fin au risque que des actionnaires vendent leurs titres sans connaître les intentions de leurs acheteurs et le profit qu’ils entendent en tirer à leur détriment.
Cette conclusion serait conforme au principe de loyauté des offres, principe qui doit s’appliquer aussi bien à l’initiateur d’une offre et à la cible qu’à ceux qui cherchent à s’opposer à leur projet.
Cette article a été rédigé par Olivier Diaz, associé de Gide, spécialiste des fusions-acquisitions et du droit boursier, expert du Club des Juristes, et publié ici sur le site du Club des Juristes le 2 mai 2020.