Le 18 avril 2024, l’ancien Président du Conseil des Ministres italien Enrico Letta présentait un rapport attendu sur l’avenir du marché commun. Dans ce rapport intitulé « Much more than a Market », il alerte sur la situation de « décrochage » économique et concurrentiel de l’Union. Enrico Letta indique ainsi que le PIB par habitant a progressé de 60 % outre-Atlantique et de seulement 30 % en Europe sur les trente dernières années (Les nouvelles prévisions de Bruxelles confirment le décrochage de l’Union européenne (lemonde.fr))
Plusieurs causes en sont identifiées et, en particulier, une fragmentation des marchés « d’une complexité décourageante ». Or, permettre aux entreprises européennes de se développer au sein du marché unique est un impératif économique, stratégique et de souveraineté. C’est dans ce contexte que le rapport d’Enrico Letta reprend à son compte la proposition de création d’un Code européen de droit des affaires initiée par l’Association Henri Capitant avec le soutien de la Fondation pour le droit continental.
« Nous pouvons penser qu’un Code européen du droit des affaires constituerait une étape transformatrice vers un marché unique plus unifié, offrant aux entreprises un 28e régime pour opérer au sein du marché unique. Il s’attaquerait directement à la mosaïque actuelle de réglementations nationales et la surmonterait, agissant comme un outil clef pour libérer tout le potentiel de la libre circulation au sein de l’Union », écrit ainsi Enrico Letta.
Le rapport Letta se fonde notamment sur une enquête sur le marché unique d’Eurochambres 2024 – réseau des chambres de commerce et d’industrie d’Europe - au terme de laquelle 68 % des entrepreneurs interrogés jugent que l’existence de différentes pratiques contractuelles ou juridiques au sein du marché unique est un obstacle « important » pour commercer.
L’unification du droit européen des affaires est en effet loin d’être achevée, en dépit de l’adoption d’une monnaie unique par 19 Etats membres : les droits des affaires des Etats membres sont encore largement nationaux et fragmentés. Trop souvent, ceux-ci se font concurrence entre eux au lieu que l’Union soit un espace de commerce unifié en son sein, d’une taille critique et qui fasse concurrence aux autres grandes régions du monde.
Par ailleurs, le droit de l'Union européenne souffre d'un manque de lisibilité et d'accessibilité. Alors que l'immense majorité des Etats membres ordonnent leurs règles de droit dans des codes pour en faciliter l'accès et la compréhension par le plus grand nombre, l’Union s’est largement coupée de ses racines et a contribué ce faisant à l’actuelle complexité.
A ces maux, deux séries de remèdes nous semblent devoir être administrés.
A court terme, une entreprise de codification à droit constant du droit de l’Union serait utile pour en simplifier l’accès aux citoyens européens : celle-ci présente l’avantage de mettre en ordre une législation en la rassemblant thématiquement suivant un plan cohérent. Or, née à Rome avec les Codes Théodosien puis Justinien, la technique de la codification est si répandue eu Europe que 24 Etats membres sur 27 y recourent quotidiennement. Les prochaines élections européennes pourraient être l’occasion de (re)lancer un processus de codification du droit de l’Union dont le principe a, fort justement, été retenu par des accords institutionnels antérieurs (V. not. 2003000308fr1-5 1..1 (europa.eu), n°35, relevant que « La mise à jour et la réduction du volume de la législation s'effectuent notamment à travers l'abrogation des actes qui ne sont plus appliqués et la codification ou la refonte des autres actes »).
A moyen terme et comme le défend le rapport Letta, l’adoption d’un Code européen des affaires devrait être une priorité pour l’Union : un tel Code contribuerait à l’achèvement du marché commun en poursuivant la construction communautaire et non plus à droit constant. En proposant le plus souvent un 28-ème régime optionnel (ou en donnant une meilleure lisibilité à un droit de la concurrence qui ne saurait lui être optionnel), un tel Code permettrait aux start-up européennes de se développer en France comme en Europe sans plus besoin de s’exiler aux États-Unis à la recherche d’un marché de dimension critique.
Préfiguré par les travaux de l’Association Henri Capitant (Projet de Code européen des affaires - Henri Capitant), un Code européen des affaires serait un outil précieux pour répondre aux attentes de tant d’entreprises européennes. De structuration, via une Société Européenne Simplifiée (SES) connue de tous ; de financement par un prêt européen, des sûretés européennes (euro-cautionnement, euro-gage…) ou encore par la souscription d’obligations européennes ; de couverture par une assurance européenne ; ou encore de stimulation de l’innovation à travers la création d’un régime fiscal européen « Jeunes Entreprises Innovantes Européennes ».
Facteur de simplification, de souveraineté économique et de compétitivité, un Code européen des affaires donnerait les moyens aux PME françaises, aux entrepreneurs français, de bénéficier enfin pleinement de l'existence du marché unique européen de 450 millions d’habitants.
On attendra désormais avec intérêt le prochain rapport que Mario Draghi, ancien Président de la Banque centrale européenne (BCE), doit remettre fin Juin sur la compétitivité européenne.