Cette newsletter revient sur quatre décisions importantes en matière de brevets et de marques :
Cass. Com. 6 décembre 2017, pourvoi B 15-19.726
Pour la première fois, la Cour de cassation retient expressément qu'une revendication portant sur une seconde application thérapeutique n'est pas suffisamment décrite si son effet technique n'est pas démontré.
La société Merck Sharp & Dohme Corp. ("Merck") était titulaire d'un brevet EP 0 724 444 désignant la France. La revendication 1 couvrait l'"utilisation de la finastéride pour la préparation d’un médicament pour l’administration orale, utile pour le traitement de l’alopécie androgénique sur une personne et dans laquelle la quantité d’administration est d’environ 0,05 à 1,0 mg".
La société Teva Pharmaceutical Industries Ltd, et sa filiale française Teva Santé, avaient assigné Merck en annulation des revendications 1, 2, 3 de la partie française de ce brevet, pour insuffisance de description.
Dans un arrêt du 30 janvier 2015, la Cour d'appel de Paris avait fait droit aux demandes de Teva et annulé le brevet. Dans un arrêt du 6 décembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Merck.
Cet arrêt est intéressant car il met fin à une incertitude jurisprudentielle concernant l'appréciation de la suffisance de description des revendications portant sur une seconde application thérapeutique, en considérant que :
"lorsqu'une revendication porte sur une application thérapeutique ultérieure d'une substance ou d'une composition, l'obtention de cet effet thérapeutique est une caractéristique technique fonctionnelle de la revendication, de sorte que si, pour satisfaire à l'exigence de suffisance de description, il n'est pas nécessaire de démontrer cliniquement cet effet thérapeutique, la demande de brevet doit toutefois refléter directement et sans ambiguïté l'application thérapeutique revendiquée, de manière que l'homme du métier comprenne, sur la base de modèles communément acceptés, que les résultats reflètent cette application thérapeutique".
Dans le détail, la Cour de cassation approuve l'analyse ayant conduit la Cour d'appel à écarter la description qui n'indiquait pas l'avantage ou l'effet technique résultant de ce type d'administration orale, ni d'élément démontrant l'efficacité potentielle du moindre dosage du finastéride, ni aucune information sur l'effet nouveau de la posologie revendiquée, se bornant à mentionner la découverte "surprenante et inattendue" de cette nouvelle application thérapeutique, sans décrire les propriétés pharmacologiques particulières de celle-ci par rapport à l'état de la technique :
"que de ces constatations, la cour d'appel a pu déduire que la demande de brevet ne reflétait pas directement et sans ambiguïté les applications thérapeutiques revendiquées et que, dans l'ignorance d'un quelconque enseignement technique spécifique, l'homme du métier n'était pas en mesure de reproduire l'invention et se trouvait contraint de mettre en œuvre un programme de recherches par lui-même, de sorte que la revendication 1 était insuffisamment décrite".
La Haute juridiction confirme ainsi l'approche des juges d'appel qui avaient écarté un à un les cinq exemples figurant dans le brevet attaqué comme ne reflétant pas directement et sans ambiguïté l'application thérapeutique revendiquée.
CA Paris 5.1, 19 décembre 2017, RG 16/17848
Dans cette affaire, la Cour retient une définition très étroite de la notion de "produit" au sens du Règlement (CE) n° 469/2009, écartant notamment les modifications qualifiées de "mineures" de la molécule d'origine.
L’Université de Loyola avait déposé une demande de Certificat Complémentaire de Protection ("CCP") sur la base de l'AMM du Cervarix dont le principe actif est la protéine L1 du papillomavirus humain de type 16. Le texte de l’AMM du Cervarix ne le précisait pas, mais le principe actif du Cervarix était en réalité une forme tronquée de cette protéine.
L'INPI a rejeté cette demande, estimant que l’AMM de base pour ce CCP était en réalité celle du Gardasil antérieur, ayant comme principe actif la protéine L1 du papillomavirus humain de type 16. Un premier CCP ayant déjà été octroyé sur la base de cette AMM, l’INPI a considéré que l'article 3 a) du Règlement s’opposait à l’octroi de deux CCP sur la base d’un produit qu’elle jugeait identique.
Loyola a formé un recours à l’encontre de cette décision devant la Cour d’appel de Paris.
Lors de l'audience, l'INPI avait revendiqué une définition étroite de la notion de "produit" au sens du Règlement i.e. le principe actif tel que défini dans l'AMM de base, étant précisé que l'INPI ne procède à aucun examen scientifique, même si la forme du second principe actif est en réalité différente (forme cristalline, hydrate, etc.).
Dans une décision du 19 décembre 2017, la Cour a approuvé cette définition et rejeté le recours formé par Loyola :
"(…) considérant que selon l'article 1 b) du Règlement (CE) n° 469/2009, on entend par 'produit' le principe actif d'un médicament ; qu'il ressort de la jurisprudence communautaire que la réglementation des CCP est limitée aux nouveaux médicaments ; qu'il ne peut être délivré qu'un seul CCP par produit, le produit étant entendu au sens strict de substance active ; que des changements mineurs apportés au médicament, tels un nouveau dosage, l'emploi d'un sel ou d'un ester différent, une forme pharmaceutique différente, ne sont pas susceptibles de donner lieu à un nouveau CCP".
Selon la Cour, seuls les changements modifiant "la nature du principe actif" ou "son objet préventif" pouvaient conduire à reconnaître l'existence de produits différents.
Cass. Com. 31 janvier 2018, Pourvoi n° C 16-10.761
La Cour de cassation rappelle fermement que la notoriété de la marque est un facteur pertinent de l'appréciation du risque de confusion, en ce qu'elle confère à cette marque un caractère distinctif particulier et lui ouvre une protection étendue.
adidas avait engagé en 2009 une action en contrefaçon de sa célèbre marque figurative aux trois bandes (constituée de trois bandes de même couleur contrastant avec celle du support, de même largeur, verticales, parallèles et équidistantes) à l'encontre de la société Promotex qui avait importé des pantalons de survêtements comportant deux bandes verticales parallèles contrastantes, terminées par une bande horizontale plus large. Le TGI de Paris, dans un jugement du 25 mars 2010, avait fait droit à l'action mais la Cour d'appel de Paris l'avait infirmé par un arrêt du 23 octobre 2015, refusant à la fois de prendre en compte la notoriété de la marque invoquée pour apprécier le risque de confusion, et de retenir l'atteinte - distincte - à la marque renommée.
La Cour de cassation censure totalement cette appréciation :
"Attendu que la notoriété de la marque est un facteur pertinent de l'appréciation du risque de confusion, en ce qu'elle confère à cette marque un caractère distinctif particulier et lui ouvre une protection étendue ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Adidas AG en contrefaçon de la marque communautaire no 003517661, l’arrêt retient que, nonobstant l'identité ou la similarité des produits concernés, la faible similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble exclut tout risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne et que, si la notoriété de la marque invoquée est susceptible d'influer sur l'appréciation du risque de confusion, cette notoriété ne peut dispenser de rechercher s'il existe entre les signes opposés un risque de confusion ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant relevé que les signes en conflit présentaient une certaine similitude, même faible, il lui incombait de procéder à une appréciation globale du risque de confusion prenant en considération la notoriété de la marque antérieure, la cour d’appel a violé les textes susvisés."
La Cour d'appel avait également refusé de retenir l'atteinte à la marque de renommée d'adidas. La haute juridiction casse aussi son arrêt sur ce terrain :
"Qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant relevé que la renommée de la marque invoquée n’était pas contestée par la société Promotex, il lui appartenait de se livrer à une appréciation globale de l’existence du lien qui pouvait être fait dans l’esprit du public entre le signe incriminé et la marque renommée antérieure prenant en compte l’intensité de la renommée de ladite marque, le degré de son caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, ainsi que la similitude, sinon l’identité, des produits en cause, la cour d’appel a violé les textes susvisés".
TGI Paris 14 décembre 2017, RG 16/15669
Le Tribunal retient un point de départ de la prescription d'une action en nullité d'une marque pour déceptivité différent selon qu'elle est formée à titre principal ou reconventionnel.
Le GFA L’EGLISE CLINET et la SCEA CHÂTEAU L’EGLISE CLINET avait assigné la S.A.R.L. GROUPE CLINET en nullité pour déceptivité, et à titre subsidiaire en déchéance, de ses marques française et communautaire RONAN BY CLINET n° 3869241 et 1111699.
A titre reconventionnel la S.A.R.L. GROUPE CLINET avait formé des demandes en nullité pour déceptivité des marques françaises CHÂTEAU L’EGLISE CLINET n° 1513386 et n° 3403162 du GFA L’EGLISE CLINET et en tirait une fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt et de qualité à agir du GFA L’EGLISE CLINET en ses demandes de nullité des marques RONAN BY CLINET.
Les demanderesses répondaient que ces demandes reconventionnelles étaient irrecevables car formées plus de 5 ans après la publication des marques au Registre National des Marques et plus de 5 ans après la proposition d’accord de coexistence pacifique entre les marques du 25 avril 2012.
Après avoir cité l'arrêt Cheval Blanc de la Cour de cassation du 8 juin 2017 ayant jugé que "le fait que le vice de déceptivité, dont une marque est entachée ne puisse même être purgé ni par l’usage ni par le temps n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action, par voie principale, en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a pas pour effet de suspendre le délai de prescription tant que la marque demeure inscrite au registre national des marques" et précisé que, dans cette affaire, "la société CHEVAL BLANC n’avait pas même discuté à titre subsidiaire du point de départ du délai de prescription", le Tribunal juge que :
"Il est constant que les deux marques CHÂTEAU EGLISE CLINET sont opposées à la S.A.R.L. GROUPE CLINET dans ce litige depuis la délivrance de l’assignation soit le 30 septembre 2016 et qu’elles constituent les pièces 1 et 2 du bordereau de sorte que cette fin de non-recevoir aurait pu et dû être soulevée depuis les premières conclusions responsives de la société défenderesse. En effet, la S.A.R.L. GROUPE CLINET ne peut prétendre n’avoir compris qu’à la suite des conclusions de juillet 2017 des demanderesses, que ces deux marques fondaient leur intérêt à agir.
Cependant, il ne peut être soutenu que la S.A.R.L. GROUPE CLINET est prescrite en ses demandes de nullité des marques du GFA L’EGLISE CLINET pour ne pas les avoir soulevées dans les 5 ans suivant la demande de coexistence des marques datée du 25 avril 2012 puisque le point de départ de la prescription, s’agissant d’une demande reconventionnelle, est le jour où les titres sont opposés dans le cadre de l’instance.
Ainsi, la S.A.R.L. GROUPE CLINET a formé sa demande de nullité dans le délai de 5 ans tel que prévu à l’article 2224 du code civil à compter de l’assignation du 30 septembre 2016. (…)"
Le Tribunal instaure ainsi une distinction concernant le point de départ de la prescription entre les demandes principales et les demandes reconventionnelles.
Par Océane Millon de La Verteville et Marie-Ange Pozzo di Borgo.