1 mars 2018
Alerte Client | UE | Royaume-Uni | Brexit
L'un des aspects les plus frustrants du Brexit a été le manque de clarté concernant la nature des relations post-Brexit avec l'UE souhaitées par le gouvernement britannique. Certains ont extrapolé une position à partir de ce que le RU a indiqué ne pas vouloir.
Le tableau ci-dessous (qui doit beaucoup au graphique "lignes rouges" ("red lines") de Michel Barnier de décembre dernier) indique ce que sont réputés être les objectifs du RU, et dans quelle mesure ces objectifs peuvent être atteints dans le cadre des structures existantes (adhésion à l'UE, l'Espace Economique Européen (EEE) ou l'Association Européenne de Libre Echange (AELE), un accord de coopération ou une union douanière distincte).
ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE
Parmi les objectifs du RU, seul le libre-échange douanier est actuellement compatible avec la qualité de membre de l'UE du RU. Tous les autres objectifs : la libération de la charge financière de contribution à l'Union européenne, le contrôle de l'immigration, la soumission à la Cour de Justice de l'Union européenne et à la règlementation de l'UE, la capacité de conclure des accords commerciaux indépendants avec des Etats tiers sont incompatibles avec la qualité de membre de l'UE. Au sein de l'UE, les marchandises peuvent circuler librement au-delà des frontières nationales sans droit de douane ni barrière physique (création du "Marché Unique"), mais les marchandises en provenance de pays tiers doivent payer des droits de douane et sont assujetties au tarif extérieur commun (TEC). Le TEC s'applique à l'importation de marchandises en provenance de frontières extérieures à l'UE, et s'applique à tous les membres de l'UE, mais les taux de taxation diffèrent d'un type d'importation à un autre en fonction de la nature des marchandises et de leur origine. Le gouvernement britannique insiste sur sa volonté d'avoir un "commerce avec le moins de frottements possibles" avec les membres restants de l'UE, et cite les avancées technologiques (non encore identifiées) comme un moyen d'y parvenir. L'UE a toujours soutenu que l'accès au Marché Unique était conditionné à l'acceptation des quatre libertés et reste sceptique quant à la manière dont un commerce sans frottement pourrait être réalisé sans adhésion au Marché Unique.
ADHÉSION À L'EEE
Souvent décrite comme "l'option norvégienne", l'EEE comprend en réalité tous les membres de l'UE ainsi que l'Islande, le Lichtenstein et la Norvège. L'attrait principal de l'adhésion à l'EEE est qu'elle confère des droits et obligations égaux au sein du Marché Unique aux pays non-membres de l'UE, ce qui pourrait donner au RU le "commerce sans frottement" souhaité. Cependant, la contrepartie est que les Etats membres de l'EEE doivent adopter la législation de l'UE relative aux quatre libertés - libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux - et à la compétence de la Cour de Justice de l'UE. Comme l'a exprimé récemment Monsieur Malcolm Rifkind, ancien ministre britannique des affaires étrangères, "l'obligation [d'incorporer dans la législation britannique toutes les futures règlementations européennes sans participer à la rédaction de ces lois] serait à la fois humiliante et indéfendable …. et crée un obstacle infranchissable au maintien dans le Marché Unique".
ADHÉSION À L'AELE
L'AELE est l'organisation intergouvernementale de l'Islande, du Lichtenstein, de la Norvège et de la Suisse. La Suisse est le seul membre de l'AELE qui ne fait pas partie de l'EEE, de sorte que cette option est connue sous le nom de "modèle suisse". Les relations de la Suisse avec l'UE sont régies par un ensemble d'accords bilatéraux qui contribuent à l'accès (à l'essentiel) du Marché Unique, mais cela a été possible seulement à la condition que la Suisse accepte la libre circulation des personnes, ce qui était paradoxalement une des raisons pour lesquelles la Suisse avait refusé d'adhérer à l'AELE. La Suisse contribue également au budget de l'UE, une autre limite pour le RU. Cependant, en tant que membre de l'AELE, la Suisse est libre de négocier des accords de libre-échange avec des Etats tiers, ce qui constitue l'un des objectifs du RU.
ACCORD DE COOPÉRATION UE/RU
Des accords de coopération sont conclus entre l'UE et un pays tiers afin de créer un cadre de coopération entre eux. Ils prévoient généralement un accès gratuit à certains ou à l'ensemble des marchés de l'UE, en échange de réformes politiques, économiques, commerciales ou relatives aux droits de l'Homme. L'accord de coopération le plus récent a été conclu avec l'Ukraine, souvent décrit comme le "modèle ukrainien". En laissant de côté l'ironie selon laquelle les accords de coopération sont en réalité un élément précurseur de l'entrée dans l'Union européenne plutôt qu'un moyen d'en sortir, le principal attrait pour le RU d'un accord de coopération avec l'UE est que cela permettrait un accès "approfondi et complet" au Marché Unique sans que ne soit exigée la liberté de circulation.
C'est généralement parce que l'UE n'est pas prête à accorder la liberté de circulation aux citoyens d'un Etat contrepartie plutôt que l'inverse, mais il s'agit au moins d'un modèle de commerce sans frottement avec un contrôle de l'immigration. En revanche, cela ne permettrait pas de soustraire le RU à la compétence de la CJUE ou à la nécessité d'accepter la réglementation de l'UE.
UNE UNION DOUANIÈRE
Il y a eu beaucoup de débats sémantiques au RU sur le point de savoir si un pays pouvait cesser d'être membre de "l'Union Douanière" et avoir plutôt "une" union douanière avec l'Union Douanière. Ici le modèle est la Turquie qui a un accord douanier avec l'UE (l'Accord d'Ankara). La Turquie ne contribue pas au budget de l'UE et n'est pas soumise à la libre circulation des personnes. Elle profite du libre-échange douanier. Elle n'est pas soumise à la compétence de la CJUE ni aux lois et règlements de l'UE. Cependant en pratique pour que les marchandises turques puissent entrer au sein Marché Unique, ces dernières doivent respecter les règlements de l'UE applicables, et l'Accord d'Ankara envisage à terme l'alignement de la loi turque avec l'acquis communautaire. Plus important encore, la Turquie a peu ou pas de liberté pour développer sa politique commerciale avec d'autres pays; elle est tenue d'ouvrir ses marchés à tout pays avec lequel l'UE a conclu un accord de libre-échange, mais ne participe pas à la négociation de cet accord et n'a pas le même accès immédiat en franchise de droits de douane à cet Etat que les membres de l'UE. Pour cette raison le modèle turc n'est pas acceptable pour le RU.
CANADA
L'Accord Economique et Commercial Global (AECG) conclu entre l'UE et le Canada est entré en vigueur en septembre 2017. Il supprime les droits de douanes sur 98% des produits échangés entre l'UE et le Canada et permet aux deux parties de conclure des accords commerciaux avec d'autres pays. En vertu de l'AECG, le Canada n'est pas soumis à la compétence de la CJUE et le droit de l'UE n'est pas directement applicable. Néanmoins, il doit respecter les normes réglementaires de l'UE en ce qui concerne les marchandises exportées vers l'UE. L'AECG couvre l'accès aux processus de passation des marchés publics, la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et, dans une certaine mesure, la mobilité des travailleurs. A cet égard, l'AECG est un précédent pertinent pour les futures et nouvelles relations du RU avec l'UE. Mais il y a des problématiques majeures pour lesquelles l'AECG n'apporte pas de solutions, problématiques qui se sont révélées insolubles dans le cadre des négociations, telles que la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, le statut des citoyens européens au RU et celui des citoyens du RU dans l'UE. En outre, il aura fallu sept ans de négociations et vingt-deux années de travail pour parvenir à l'AECG. On ne peut que se demander combien de temps prendra la mise en place d'une entente appelée "Canada Plus Plus Plus". Le calendrier actuel de vingt-deux mois paraît alors très ambitieux.