5 mai 2021
Gide Alerte | Commission Européenne | Subventions Etrangères
La Commission européenne adopte aujourd'hui une proposition de règlement visant à enquêter et à corriger les subventions étrangères qui créent des distorsions sur le marché intérieur. Il s'agit d'une étape importante vers des conditions de concurrence équitables pour les entreprises en Europe, et la défense des consommateurs et des emplois européens. Aujourd'hui, une asymétrie existe car les entreprises opérant dans l'Union sont soumises à un contrôle lorsqu'elles bénéficient de subventions de la part des États membres, alors qu'un tel contrôle n'existe pas lorsque la subvention provient de pays tiers. Ce nouvel instrument est également innovant, car il combine des règles et pratiques bien établies de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), avec les principes découlant des règles de l'Union en matière d'aides d'État, de marchés publics et de contrôle des concentrations.
La proposition, fondée sur la Politique commerciale (Article 207) et Politique du marché intérieur (Article 114) a une portée très large et couvre trois situations dans lesquelles les subventions étrangères sont susceptibles de fausser le marché intérieur: 1) subventionner les activités d'une entreprise opérant dans l'Union, 2) subventionner l'acquisition d'entreprises de l'Union, et 3) subventionner un soumissionnaire dans le cadre d'un marché public dans l'Union:
Il est également important de noter qu'une caractéristique commune des trois modules décrits ci-dessus (à savoir les opérations dans l'Union, les concentrations et les marchés publics) est que la non communication d'informations ou le refus de se soumettre à des inspections peut entraîner des amendes ou astreintes: jusqu'à 1% du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise concernée; 5% du chiffre d'affaires quotidien par jour de non-coopération; tandis que le non-respect de l'engagement ou des mesures imposées par la Commission peut entraîner des amendes pouvant aller jusqu'à 10% de son chiffre d'affaires annuel et 5% du chiffre d'affaires quotidien par jour de non-exécution.
Non seulement le règlement proposé est bienvenu, mais il s'agit aussi d'un outil européen indispensable pour lutter contre les distorsions affectant la concurrence dans le marché intérieur. Ce dernier, largement ouvert à la concurrence internationale, est soumis à de nombreuses interférences de pays tiers dans des secteurs stratégiques, auxquels d'autres instruments disponibles, y compris le filtrage des investissements directs étrangers, ne peuvent répondre pleinement. Au cours de la négociation et de la mise en œuvre de cette proposition, certains facteurs seront importants pour la réussite de ce nouvel instrument :
• Portée et seuils applicables : la Commission a considérablement relevé certains des seuils qu'elle avait considéré dans son Livre Blanc de juin 2020. Des points d'interrogation resteront quant aux seuils appropriés; la Commission a toutefois prévu la possibilité de les modifier via des actes délégués.
• Causalité : La proposition prévoit qu'une distorsion du marché intérieur sera réputée exister lorsqu'une subvention étrangère est susceptible d'améliorer la position concurrentielle de l'entreprise concernée sur le marché intérieur et lorsque, ce faisant, elle affecte réellement ou potentiellement la concurrence sur le marché intérieur. Il peut être difficile d'établir que ladite subvention a pour conséquence d'améliorer le fonctionnement d'une société étrangère en Europe, lorsqu'elle est indirecte ou accordée à titre de soutien général à toutes les activités de l'entreprise, qu'elles soient nationales ou à l'exportation.
• Économies de marché / économies d'Etat : à cet égard, la proposition vise clairement le subventionnement agressif par des pays tiers d'entreprises clés dans des secteurs sensibles. Cependant, l'opacité et le manque de fiabilité des pratiques comptables, combinés au manque de transparence des acteurs étatiques, constitueront un défi important dans le déploiement de l'instrument. L'expérience récente de la DG Commerce dans l'identification des subventions étrangères pour le commerce des marchandises (par exemple, le cas récent anti-subvention concernant la fibre de verre sino-égyptienne) sera extrêmement utile.
• Contrôle des investissements directs étrangers : l'Union a introduit l'année dernière un nouvel instrument qui permet une meilleure coordination des mesures des États membres pour contrôler les investissements étrangers. Il existe un lien évident entre cet instrument et le volet concentration de la proposition : les deux devront être bien articulés, notamment en termes de procédures, afin de minimiser la charge administrative pour les entreprises et les autorités, tout en restant efficace.
• Caractère complémentaire de l'instrument : la proposition complète celle sur la réciprocité des marchés publics de la Commission, qui vise à améliorer l'accès des entreprises européennes aux marchés publics de pays tiers. Il est également cohérent avec la politique commerciale de l'Union et complète les instruments juridiques existants tels que le règlement antisubventions et, dans une certaine mesure, le règlement antidumping qui permet à l'Union de réagir face à la concurrence déloyale lorsque des biens importés ont été fabriqués grâce au soutien de financements étrangers. Une fois cette proposition adoptée, les entreprises de l'Union bénéficieront d'une gamme d'outils juridiques dont elles pourront s'inspirer pour lutter contre les distorsions de concurrence causées par le comportement des entreprises bénéficiant de subventions étrangères.
• Équilibre des intérêts : La proposition stipule que les effets négatifs d'une subvention étrangère doivent être équilibrés, le cas échéant, avec des effets positifs sur le développement de l'activité économique concernée. Cette disposition est très large et quelque peu floue. Cela n'est pas sans rappeler la notion d'« intérêt de l'Union » examiné par la Commission dans le cadre des procédures de défense commerciale avant de décider de prendre des mesures. Une attention particulière sera nécessaire pour éviter de laisser une trop grande place à l'interprétation ou à une discrétion excessive.
• Équipes : Dans la pratique, étant donné la complexité des enquêtes et analyses qui devront être menées à l'étranger, le nouvel instrument gagnerait probablement en efficacité s'il était mis en œuvre conjointement par les équipes des services de la Commission chargés de la concurrence et du commerce. L'expérience des fonctionnaires de la DG Commerce dans les enquêtes sur les économies d'Etat, et leur maîtrise des pratiques comptables internationales publiques et privées, seront cruciales pour le succès du nouvel instrument, tandis que les fonctionnaires de la DG Concurrence disposent d'une forte expérience en matière d'aides d'État et de concentrations.
• Mesures transitoires : Le nouvel instrument ne s'appliquera pas aux concentrations réalisées avant la date d'application; toutefois, des périodes transitoires sont prévues, en vertu desquelles le règlement pourrait s'appliquer à d'autres cas de subventions étrangères accordées jusqu'à 10 ans avant le début de l'application du règlement.
Pour conclure, la proposition de la Commission est très ambitieuse et bien construite. Le changement d'attitude, de « philosophie », est frappant. Le diable étant toujours dans les détails, il reste à voir ce qui sortira des négociations au Conseil, et du lobbying des pays tiers. En tout état de cause, l’initiative doit être incontestablement accueillie comme un signe positif de ce que la « naïveté » commence à céder la place à une meilleure compréhension du nouveau monde. Le texte de la proposition devrait être fermement soutenu par le Parlement européen et l'industrie. L'adoption et la mise en œuvre du règlement prendront inévitablement du temps. La mobilisation est donc primordiale, car les défis qui sont là n'attendront pas.