5 juillet 2023
La loi n°2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « EGalim 3 » ou « Descrozaille », s'inscrit dans la lignée des deux dispositifs éponymes précédents : protéger la rémunération des agriculteurs ainsi que celle des autres maillons de la chaîne.
Ce troisième volet prend place dans un contexte inflationniste, de guerre en Ukraine et au sortir d’une crise sanitaire, mettant notamment en exergue les questions de souveraineté relatives au secteur. Dans ce cadre, les différentes mesures adoptées poursuivent les objectifs de « sécuriser les chaînes d’approvisionnement, prolonger durablement les dispositions actuellement non définitives, parfaire les conditions de transparence et de bonne foi qui doivent s’appliquer à la négociation pour en équilibrer le rapport de forces économique »[1].
Un nouvel article L.444-1 A est inscrit dans le code de commerce, prévoyant que les dispositions spécifiques sur les produits agricoles et denrées alimentaires, sur la transparence dans la relation commerciale et sur les pratiques commerciales déloyales sont « d’ordre public » et s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur « portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français ». En outre, tout litige portant sur l’application de ces dispositions « relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l'Union européenne et des traités internationaux (…) et sans préjudice du recours à l'arbitrage ».
L’objectif affiché par le législateur est de mieux appréhender les tentatives de contournement de la loi française pour s’affranchir des dispositions protectrices qui y sont prévues. En pratique, nul doute en cas de conflit de lois que cette nouvelle disposition incitera le juge français saisi d’un litige à suivre l’esprit du texte pour appliquer le droit français et qu’elle facilitera les actions de l’administration devant les tribunaux.
Le législateur met fin, au moins en partie, à l’incertitude juridique tenant aux conséquences de l’absence d’accord entre un fournisseur et un distributeur au 1er mars, date butoir de fin des négociations commerciales.
Trois évolutions notables :
EGalim 2 avait commencé à définir un cadre régissant les pénalités logistiques, qu’EGalim 3 vient compléter avec un plafonnement du montant des pénalités logistiques infligées entre fournisseurs et distributeurs à 2 % de la valeur des produits commandés[8]. Parmi les autres nouveautés d’EGalim 3 à ce sujet : (i) conclusion d’une convention logistique distincte de la convention unique, qui ne suit pas la date butoir du 1er mars ; (ii) interdiction d’infliger lesdites pénalités « pour l'inexécution d'engagements contractuels survenue plus d'un an auparavant » ; (iii) obligation de déclarer le montant des pénalités infligées tous les ans auprès de la DGCCRF, sous peine d'une amende administrative.
Enfin, il est expressément prévu une faculté pour le Gouvernement de suspendre l'application des pénalités logistiques pour une durée maximale de six mois renouvelables, en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux parties, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, marquant ainsi une fois de plus l’intervention des pouvoirs publics dans le spectre de la négociation et de la relation commerciale.
A la suite de la mise en place par EGalim 2 du principe de non-négociabilité des MPA, via les trois options de transparence devant être présentées par le fournisseur dans ses conditions générales de vente, la présentation des résultats de 2022 par l’Observatoire des négociations commerciales annuelle a montré que le recours au tiers indépendant en application de la 3ème option ne permet que « peu de transparence (…) sur les surcoûts à prendre en compte » dans la détermination du prix. Pour y répondre, l’option 3 issue d’EGalim 3 prévoit désormais une intervention, à deux reprises, du tiers indépendant certificateur : (i) une première fois pour attester, dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente, l’exactitude de l’évolution de la part du tarif du fournisseur qui y est indiquée et (ii) une seconde fois pour attester, à l’issue des négociations, le respect du principe de non-négociabilité de la MPA[9].
Le I de l’article L.441-7 vient en outre préciser que « la négociation du prix ne porte pas sur la part, dans le prix proposé par le fabricant, du prix des [MPA] », rendant le principe de non-négociabilité applicable aux MDD.
Pour tenir compte de la spécificité de l’activité des grossistes et clarifier le régime qui leur est applicable[10], EGalim 3 regroupe les dispositions les concernant, autrefois éparpillées dans plusieurs articles du code de commerce, aux articles L.441-1-2 et L.441-3-1, désormais spécifiquement dédiés aux grossistes.
Notons enfin, et plus généralement, que le II de l’article L.442-1 du code de commerce a été complété afin de prévoir, pour la détermination du prix au cours du préavis de rupture, la prise en compte « des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ». Il s’agit ici, semble-t-il, de fournir un nouveau critère d’analyse aux juges pour la caractérisation de la brutalité de la rupture.
Reste à voir si cet énième régime applicable aux négociations et relations commerciales, de plus en plus complexe, sophistiqué et « sous contrôle » administratif, ne sera pas de nouveau amendé à plus ou moins court terme.
A suivre…
[1] Proposition de loi n°575 présentée à l’Assemblée Nationale le 29 novembre 2022, visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation.
[2] Article L.441-4, IV du code de commerce.
[3] Article L.442-1, I, 5 du code de commerce.
[4] Article L.441-6 du code de commerce.
[5] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.20.
[6] L’analyse d’impact de cette mesure, dont les résultats ont été livrés dans les rapports transmis au Parlement le 30 septembre 2020 et le 24 février 2022, n’avait pas démontré avec certitude son effet de cette expérimentation sur le revenu des agriculteurs mais avait mesuré un faible impact inflationniste.
[7] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.21.
[8] Article L.441-17, I, du code de commerce pour les pénalités infligées par le distributeur au fournisseur et article L.441-18 du code de commerce pour les pénalités infligées par le fournisseur au distributeur.
[9] Article L.441-1-1 du code de commerce.
[10] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.36.