19 juin 2018
Dans cette tribune publiée initialement sur le site LSA, Franck Audran, counsel de Gide spécialisé en droit français et communautaire de la concurrence, revient sur la loi LME du 4 août 2008 qui a introduit, à l’article L.442-6 I 2° du code de commerce, l’interdiction de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif ». Et sur les conditions dans lesquelles un tel déséquilibre pouvait être retenu.
On se souvient que lors de l’adoption de la loi LME le 4 août 2008 qui a introduit à l’article L.442-6 I 2° du code de commerce l’interdiction de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif », les opérateurs économiques se sont interrogés sur les conditions dans lesquelles un tel déséquilibre pouvait être retenu et s’il convenait, notamment, de raisonner par analogie avec les dispositions du code de la consommation sanctionnant de plein droit les « clauses abusives ».
10 ans plus tard, force est de constater que les tribunaux en ont décidé autrement, puisqu’ils subordonnent l’application de l’article L.442-6 I 2° à une soumission ou à une tentative de soumission, nécessitant un examen concret du comportement de l’opérateur économique qui cherche à imposer des conditions déséquilibrées à un partenaire commercial[1].
Se pose dès lors la question suivante. Dans quelles circonstances peut-il être caractérisé une soumission ou une tentative de soumission ? Ici encore, la jurisprudence a permis de tracer les lignes à ne pas franchir, notamment en matière de contrats d’adhésion et de conventions-types et le standard de preuve incombant à la victime ou au ministre de l’économie
La Cour de cassation a ainsi récemment considéré dans un arrêt du 26 avril 2017 s’agissant d’une enseigne de la distribution leader sur son marché que du fait de sa puissance de négociation incontestable, l’insertion de clauses litigieuses dans l’ensemble des conventions conclues avec ses fournisseurs suffisait à faire ressortir l’absence de marge réelle de négociation des fournisseurs en question[2].
Dès lors, le seul constat de la puissance de négociation d’une enseigne de la distribution et la présence de clauses déséquilibrées dans l’ensemble des conventions qu’elle signe avec ses fournisseurs suffit à caractériser une soumission au sens de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce.
Dans une autre affaire qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 mai 2017, une enseigne de distribution avait fourni plusieurs exemples de contrats de référencement signés avec certains fournisseurs qui avaient fait l’objet de négociations (puisqu’ils avaient été amendés) pour contrer le moyen selon lequel le contrat de référencement signé avec le fournisseur n’avait donné lieu à aucune négociation[3].
Ici, la Cour d’appel a conclu à l’existence d’une situation de déséquilibre significatif après avoir conduit un examen concret des conditions dans lesquelles les négociations s’étaient déroulées pour finalement conclure que l’adoption des clauses litigieuses dans le contrat de référencement en question démontrait bel et bien la soumission du fournisseur par l’enseigne. Elle a relevé que si certains fournisseurs pouvaient disposer d’un pouvoir de négociation plus grand, ce n’était pas le cas du fournisseur victime et que les modifications apportées à la main par les autres fournisseurs dans les exemples de contrats de référencement apportés par l’enseigne de distribution n’étaient pas d’une grande ampleur et que leur portée était douteuse dans la mesure où nous ne savions pas si elles avaient été in fine acceptées. Par ailleurs, il ressortait des pièces du dossier que s’il y avait finalement eu négociation, seuls les points favorables à l’enseigne avaient finalement été acceptés par celle-ci.
Inversement, dans une affaire plus récente, alors que le ministre de l’économie avait versé aux débats plusieurs conventions signées dans des termes identiques pour démontrer l’absence de négociation, la Cour d’appel de Paris a considéré que si cet élément avait pu constituer dans d’autres affaires un indice de soumission, tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque les fournisseurs concernés n’étaient pas des PME ou des TPE et certains d’entre eux disposait d’un portefeuille de marque incontournable pour les acteurs de la distribution[4]. La Cour d’appel rappelle dans cette affaire à juste titre qu’il ne peut être déduit du seul contenu des clauses, de la seule asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur ou de sa puissance de négociation la caractérisation d’une soumission exigée par le législateur pour qualifier une situation de déséquilibre significatif.
Dès lors, si à l’origine les différents opérateurs économiques avaient pu craindre que les dispositions de l’article L.442 I 2° du code de commerce conduisent les tribunaux a sanctionné prima facie toute clause déséquilibrée dans les contrats commerciaux, force est aujourd’hui de constater que le standard de preuve en la matière requiert la démonstration par la victime ou le ministre d’une soumission ou tentative de soumission à travers un examen au cas par des conditions concrètes dans lesquelles les discussions commerciales se sont déroulées, de façon à mettre en évidence l’absence effective de négociation.
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[1] Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 8 juin 2017, n° 15-15417.
[2] Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 26 avril 2017, n° 15-27865 ; cf. également Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 4 octobre 2016, n° 14-28013.
[3] Cour d’appel de Paris, arrêt du 19 avril 2017, n° 15-21221.
[4] Cour d’appel de Paris, arrêt du 20 décembre 2017, n° 13/04879 ; cf. également Cour d’appel de Paris, arrêt du 16 février 2018, n° 16/05737.
Cette tribune a été publiée sur le site de lsa.fr le 19 juin 2018. Cliquez ici pour accéder au site de LSA.