20 avril 2023
La crise énergétique, qui a connu son pic à l’hiver 2022-2023, a remis en lumière les impératifs d’intégrité et de transparence des marchés énergétiques de gros.
Dans ce contexte, le Règlement dit REMIT du 25 octobre 2011, qui prohibe notamment les manipulations de marché et les opérations d’initiés sur les marchés de gros de l’électricité et du gaz, a été identifié comme une pièce maîtresse du dispositif.
Inspiré de la réglementation prohibant de tels abus de marché sur les marchés financiers, il n’avait cependant donné lieu dans un premier temps qu’à un nombre limité d’actions répressives avant une montée en puissance progressive ces dernières années.
Une évolution du texte est actuellement à l’étude pour tirer les enseignements de la crise et renforcer la convergence de ses dispositions avec celles du Règlement dit MAR du 16 avril 2014, ce dernier s’appliquant en particulier aux instruments financiers ayant pour sous-jacent des produits énergétiques.
Cette convergence prolonge l’approfondissement récent de la coordination entre régulateurs de l’énergie et régulateurs financiers à l’échelle de l’Union européenne, qui vise à assurer un continuum cohérent de surveillance des échanges d’électricité ou de gaz, qu’ils interviennent sur les marchés de gros ou sur les marchés financiers.
Inspiré des principes gouvernant la régulation des marchés financiers, le Règlement (UE) n°1227/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (« REMIT ») a instauré un cadre harmonisé à l’échelle de l’Union européenne, adapté aux spécificités des secteurs de l’électricité et du gaz, dont l’objectif premier est de « favoriser une concurrence ouverte et loyale sur les marchés de gros de l'énergie dans l'intérêt de l'utilisateur final »[1].
Sont visés les marchés « au comptant », sur lesquels s’échangent des produits énergétiques ayant une échéance journalière ou infra-journalière, ainsi que les marchés à terme où se concluent des contrats relatifs à la fourniture d’électricité ou de gaz dans les jours, les semaines, les mois, les trimestres ou les années à venir, à un prix négocié à la date de conclusion du contrat.
Afin de garantir le bon fonctionnement de ces marchés de gros, et plus spécifiquement leur intégrité et leur transparence, le Règlement REMIT prévoit un arsenal de mesures articulées autour de trois objectifs principaux :
Ce faisant, le Règlement REMIT forme avec le Règlement n°596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (« MAR ») un véritable continuum puisque ce dernier, articulé autour des mêmes principes, s’applique également aux produits énergétiques lorsqu’ils sont qualifiés d’instruments financiers. La frontière peut d’ailleurs être mince, si l’on considère par exemple qu’un contrat d’achat à terme d’électricité constituera en substance un instrument financier si son règlement s’effectue principalement en espèces (dénouement « cash »), et un produit énergétique de gros s’il prévoit essentiellement une livraison physique.
Pour assurer sa propre efficacité, le Règlement REMIT prévoit que les régulateurs nationaux – la Commission de Régulation de l’Énergie en France (« CRE ») – soient dotés de pouvoirs de surveillance des marchés, d’enquête et de sanction.
Au niveau européen, l’Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (« ACER ») joue un rôle central, tant sur le plan de la coordination des actions de surveillance que sur le plan de l’interprétation des règles issues de REMIT[2].
S’il est entré en vigueur depuis le 28 décembre 2011 et n’a jamais été modifié depuis, ce n’est que très progressivement que le Règlement REMIT a donné lieu à des actions répressives, avec une accélération nette ces dernières années.
À l’échelle de la France, la première décision rendue sur ce fondement par le Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (CoRDiS), organe de la CRE doté d’un pouvoir de sanction, n’a été prononcée qu’en 2018[3]. En revanche, 3 des 5 décisions rendues à ce jour par le CoRDiS l’ont été depuis le printemps 2022.
La même accélération s’observe à l’échelle de l’Union Européenne, où plus d’une trentaine de décisions ont été rendues au cours de l’année 2022 par les différents régulateurs nationaux.
Si ces décisions portent par construction essentiellement sur des faits antérieurs à la crise énergétique, la montée en puissance de la répression se double d’un renforcement très net des activités de surveillance sur l’ensemble des marchés par les régulateurs nationaux, pour faire face à la tension des marchés.
Ces actions de surveillance renforcées ont également mis en lumière le rôle essentiel joué par l’ACER. Destinataire des alertes portant sur des transactions suspectes, et plus largement de nombreuses données de marché, elle dispose en effet d’une capacité d’impulsion et de coordination importante des enquêtes menées par les régulateurs locaux.
En témoigne, par exemple le groupe d’investigation transfrontalier constitué fin 2022 entre les régulateurs allemand, autrichien et néerlandais sous l’égide de l’ACER visant à déceler et recueillir les preuves d’une éventuelle manipulation du prix du gaz[4].
Plus récemment encore, l’ACER et l’ESMA (European Securities and Markets Authority), l’autorité européenne homologue de supervision des marchés financiers, ont annoncé l’approfondissement de leur collaboration : un nouveau mémorandum en mars 2023 visant notamment à renforcer l’échange d’informations entre autorités et à adopter une approche encore plus harmonisée dans le cadre de la lutte contre les abus de marché[5].
L’intensification récente de la collaboration entre régulateurs de l’énergie et des marchés financiers se double désormais d’une initiative législative visant à une convergence textuelle renforcée et à un approfondissement du Règlement REMIT sur le modèle du Règlement MAR.
Le 14 mars 2023, la Commission européenne a en effet déposé une proposition de modification du Règlement REMIT pour tirer les enseignements de la crise[6]. La proposition entend ainsi « remédier aux lacunes recensées dans le cadre actuel de manière à accroître encore la transparence et les capacités de surveillance qui sont insuffisantes, et à garantir une plus grande efficacité des enquêtes sur les abus de marché transfrontières potentiels et des mesures coercitives ».
Ainsi, après avoir constaté la « corrélation de plus en plus étroite entre les marchés financiers et les marchés de gros de l’énergie » la Commission propose par exemple que le Règlement REMIT soit mieux aligné sur la législation relative aux marchés financiers, notamment en ce qui concerne les définitions des manipulations de marché et des informations privilégiées.
Mais au-delà d’un toilettage textuel, visant à adopter une démarche uniformisée des notions essentielles en droit des abus de marché, ce sont les pouvoirs de l’ACER qui seraient également renforcés.
La Commission note à cet égard dans sa proposition que fort de sa solide expérience dans le domaine de la surveillance et de la collecte de données pertinentes sur les marchés de gros de l’énergie, l’ACER devrait alors être habilitée à mener elle-même des enquêtes dans un contexte transfrontalier.
Cette nouvelle prérogative, si elle devait être confirmée au cours des futurs débats parlementaires, entraînerait alors un bouleversement du système de répression et de surveillance des abus de marché commis sur les marchés de gros de l’énergie, dépassant d’ailleurs les pouvoirs actuellement conférés à l’ESMA, qui ne dispose que d’un simple pouvoir de coordination.
[1] Règlement REMIT, considérant n°2.
[2] En témoignent les volumineuses lignes directrices émises par l’ACER venant clarifier et interpréter les principales obligations issues du Règlement REMIT.
[3] CoRDiS, 5 octobre 2018, décision n°02-40-16 portant sanction à l’encontre de la société Vitol
[4] ACER and three regulatory authorities reinforce coordination on energy market abuse, 3 novembre 2022
[5] ACER and ESMA update Memorandum of Understanding to strengthen cooperation, 6 mars 2023
[6] Proposition modifiant les règlements (UE) nº 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d’améliorer la protection de l’Union contre la manipulation du marché de gros de l’énergie.