1 décembre 2021
Gide Alerte | Conformité
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans son arrêt du 16 juin 2021, que la responsabilité pénale d’une société holding pouvait être engagée par les actes commis par un organe n’ayant pas d’existence légale ou statutaire. Elle a également considéré que des salariés d’une filiale étrangère pouvaient être assimilés à des représentants de fait de la société mère et ainsi engager la responsabilité pénale de cette dernière.
Cette décision illustre la volonté des tribunaux de rechercher la responsabilité pénale des sociétés mères par une interprétation contestable des dispositions de l'articles 121-2 du Code pénal, quand bien même les faits reprochés auraient été commis par des dirigeants ou des salariés de l'une de leurs filiales.
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Dans cette décision (Crim. 16 juin 2021, n° 20-83.098, publiée au Bulletin), la Chambre criminelle de la Cour de cassation étend le champ de la responsabilité pénale des sociétés mères, qui peut en effet être engagée sur le fondement de l'article 121-2 du Code pénal, aux termes duquel ces dernières sont pénalement responsables « des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».
Dans cette affaire, plusieurs salariés d'une des filiales de la société holding d’un groupe avaient versé des commissions à des agents publics costariciens en vue de favoriser l'obtention de marchés de matériels téléphoniques, sous couvert de contrats de consultant signés par une autre filiale du groupe.
Condamnée pour corruption active d'agent public étranger par la Cour d'appel de Paris[1], la société holding soutenait que le salarié d'une société filiale ne pouvait être un représentant de la société mère, au sens de l'article 121-2 du code pénal, en l’absence de délégation de pouvoirs à son profit.
La Chambre criminelle - et il s’agit de l’apport majeur de cette décision - considère que les salariés d’une filiale de la société mère peuvent être considérés comme des représentants de cette dernière au sens de l’article 121-2 du Code pénal et engager sa responsabilité pénale.
Pour ce faire elle tient compte de l'organisation par business divisions du groupe en retenant que « s’agissant de faits commis dans le cadre d’un groupe de sociétés, dont la société condamnée est la société holding, la corruption active d’agent public étranger a été commise, pour le compte de la société mère, par la combinaison des interventions de trois salariés des filiales de la société, représentants de fait de cette dernière en raison de l’existence de l’organisation transversale propre au groupe et des missions qui leur étaient confiées, peu important l’absence de lien juridique et de délégation de pouvoirs à leur profit ».
Cette décision s’explique en raison de l’existence du contrôle hiérarchique fort, opéré par des dirigeants ou salariés de la société mère française sur leurs homologues de la filiale étrangère, ce que la décision d’appel avait qualifié d’ « organisation matricielle […] impliqua[nt] des liens hiérarchiques à l’intérieur des business groups et des zones géographiques ».
Cette réalité - courante dans les groupes internationaux - conduit la Chambre criminelle à privilégier une approche fonctionnelle à une autre, purement juridique, qui tiendrait compte de l’absence de tout « lien juridique » et rendrait donc plus difficile la caractérisation d’un rôle de représentant de la part du salarié ou dirigeant de la filiale étrangère.
Si cette solution s’explique par un contexte factuel particulier, elle n’en demeure pas moins éminemment contestable au regard de l’article 121-2 du Code pénal, dont il ne résulte pas que la responsabilité d’une personne morale puisse être engagée du fait d’actes commis par des personnes avec lesquels elle n’a stricto sensu aucun lien (pas de contrat de travail, pas de délégation de pouvoir ou de mandat, etc.) au-delà du simple lien capitalistique - direct ou non - avec leur employeur.
Concernant la question de l’organe pouvant engager la responsabilité de la personne morale, la Chambre criminelle s’inscrit dans le droit fil de précédentes décisions qui adoptaient déjà une approche assouplie de la notion.
La Cour de cassation avait notamment, en 2018, d’ores et déjà retenu que le « COMEX » (comité exécutif) d’un grand groupe international français pouvait constituer, malgré son absence d’existence légale ou statutaire, un « organe de celle-ci » au sens de l’article 121-2 du Code pénal, dont les agissements permettaient donc l’engagement de la responsabilité de la personne morale[2].
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juin 2021, la Chambre criminelle considère, de la même manière, que le Risk Assessment Committee central du groupe qui procédait à l’approbation de documents emportant versement de commissions et à la validation du recours à des consultants à l’étranger, était un organe de la société susceptible d'engager sa responsabilité pénale.
La Cour de cassation prend en compte davantage les conséquences de l’intervention de l’organe en cause et l’importance de ses décisions concernant les consultants, que son statut ou les pouvoirs qui lui sont délégués par les représentants légaux ou les organes statutaires de la société.
Il semble toutefois que le contexte factuel de cette affaire spécifique permette d’expliquer le sens des décisions rendues en appel et en cassation. La société holding dont la responsabilité était recherchée avait en effet reconnu les faits en cause lors de la conclusion d’accords transactionnels avec les autorités américaines (ainsi que de plusieurs autres faits de corruption commis dans d’autres pays à travers le monde), ce qui avait conduit la Cour d’appel de Paris à caractériser une « politique du groupe » conduisant à la « multiplication de paiements illicites, dans des zones géographiques différentes ».
Cette décision illustre l'impact que la conclusion d'un accord négocié à l'étranger peut avoir sur les décisions des juridictions françaises en raison de l'absence de protection effective compte tenu d’une application restreinte du principe non bis in idem. Cette décision invite les groupes de sociétés à être particulièrement vigilants sur les conséquences de la mise en œuvre de leurs dispositifs de contrôle centraux.
L’arrêt du 16 juin 2021 participe plus globalement à un mouvement général d’assouplissement des conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des sociétés mères. Après avoir en effet exigé avec fermeté que les juridictions du fond déterminent précisément l’organe ou le représentant de la personne morale par l’intermédiaire duquel la responsabilité pénale de celle-ci est retenue[3], le cas échéant en ordonnant un supplément d’information à cet égard[4], la Chambre criminelle semble désormais assouplir son interprétation des notions mêmes d’organe ou de représentant des sociétés mères.
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Pour aller plus loin : la décision de la Chambre criminelle est accessible ici.
[1] CA Paris, Pôle 5 - Ch. 13, 15 mai 2020, n°18/03310.