26 March 2024
Cette alerte aborde les récentes évolutions liées à l'impôt américain de 3.8% sur les revenus d'investissement (net investment income tax ou «NIIT») et en particulier la récente décision de la U.S. Court of Federal Claims du 23 octobre 2023 autorisant les citoyens américains assujettis à l’impôt français à bénéficier de crédits d'impôt déductibles du NIIT sur le fondement de la convention fiscale franco-américaine, outrepassant ainsi la restriction imposée par le droit national américain. Le gouvernement américain ayant toutefois interjeté appel de ce jugement en décembre 2023, le verdict final n’est pas encore connu.
Depuis 2013, le Chapitre 2A de l'Internal Revenue Code (le «Code»), soumet les contribuables américains percevant de hauts revenus à un impôt de 3.8% sur certains revenus passifs (les revenus d’investissements). Cet impôt, plus communément désigné sous le nom de Medicare tax, ou net investment income tax, s'ajoute à l'impôt sur le revenu, comme la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus en France. Il s’applique aux revenus perçus par les contribuables personnes physiques (citoyens américains, détenteurs d’une carte verte et résidents fiscaux américains), ainsi que par les trusts et estates, lorsque ces revenus dépassent certains seuils.
Pour les personnes physiques, le NIIT s'élève à 3.8% du montant le plus faible entre[1] :
Situation familiale |
Seuils |
Marié (déclaration commune) |
250 000 $ |
Marié (déclaration distincte) |
125 000 $ |
Célibataire |
200 000 $ |
Célibataire avec personne(s) à charge[2] |
200 000 $ |
Veuf(ve) avec enfant(s) à charge[3] |
250 000 $ |
Les revenus d’investissement auxquels s’applique le NIIT se divisent généralement en trois catégories :
Tout revenu faisant partie de l'une de ces trois catégories et étant perçu par une personne physique, un trust ou estate, directement ou par l'intermédiaire d'une entreprise fiscalement transparente (au sens du droit fiscal américain), est pris en compte dans le calcul des revenus d’investissement. Ces revenus ne comprennent cependant pas les salaires, les indemnités de chômage, les revenus d'activités non passives, les prestations de sécurité sociale, les pensions alimentaires, les intérêts exonérés d'impôt, et les distributions de certains comptes de retraite américaine à fiscalité privilégiée.
Dans sa décision Christensen v. United States du 23 octobre 2023,[4] la U.S. Court of Federal Claims a précisé les contours du crédit d’impôt (foreign tax credit) destiné à éliminer la double imposition des revenus, prévu par la convention franco-américaine (la « Convention »). La cour a ainsi estimé que deux citoyens américains résidents fiscaux en France, pouvaient, sur le fondement de la Convention, bénéficier d'un crédit d'impôt déductible du NIIT américain au titre de l'impôt sur le revenu français. Cette décision est la première à affirmer que, bien que les crédits d'impôt ne puissent en principe pas être déductibles du NIIT en vertu du droit national américain, cette restriction peut néanmoins être supplantée par une convention fiscale, offrant ainsi aux contribuables concernés une plus grande sécurité juridique en matière d’élimination de leur double imposition.
Dans cette affaire, les contribuables étaient un couple de citoyens américains mariés et résidents fiscaux français. En 2015, les Christensen ont vendu les actions qu'ils détenaient au capital d'une société française et, à ce titre, ont été assujettis à l'impôt français sur les plus-values au taux de 30%. Rappelons que, étant citoyens américains, les Christensen avaient l'obligation de déclarer leurs revenus mondiaux aux Etats-Unis, quand bien-même ceux-ci n'y avaient pas leur résidence fiscale. En outre, les Etats-Unis imposent les plus-values à long terme sur les valeurs mobilières au taux maximal de 20%, auquel s’ajoute le NIIT de 3.8% lorsque le montant de la plus-value dépasse les seuils précités. Afin de neutraliser la double imposition sur la plus-value réalisée, les contribuables ont tenté de réduire le montant de leur impôt américain par l’application d'un crédit d'impôt. Dans ces conditions, l'IRS (l'autorité fiscale américaine) leur a accordé un crédit d'impôt correspondant au taux d’imposition de l'impôt américain sur les plus-values de 20%, mais leur a refusé un tel crédit s’agissant des 3.8% de NIIT, portant ainsi l'imposition effective de la plus-value de cession à 33.8% au lieu de 30%.
Pour demander l’application d’un crédit d'impôt déductible du NIIT, les Christensen ont invoqué les moyens tirés des paragraphes 2(a) et 2(b) de l'article 24 de la Convention.
D’une part, l'article 24 paragraphe 2(a) de la Convention prévoit une disposition générale selon laquelle les Etats-Unis accordent à ses citoyens et à ses résidents un crédit d'impôt déductible de l'impôt américain sur le revenu, correspondant à l'impôt français sur le revenu payé, «en conformité avec les dispositions de la législation des Etats-Unis et sous réserve des limites qu'elle prévoit». Le Code limite en effet l'imputation de tels crédits au seul impôt américain sur le revenu visé par les dispositions du Chapitre 1 du Code. Or, le NIIT étant établi au Chapitre 2A du Code, et non au Chapitre 1, la cour en conclut que l'article 24 paragraphe 2(a) de la Convention ne permet pas aux contribuables de bénéficier d'un crédit d'impôt sur le NIIT. Cette décision s'inscrit dans la lignée de deux autres affaires récentes portant également sur l'interaction entre l’imputation des crédits d'impôt et le NIIT: Toulouse v. Commissioner, 157 T.C. 49 (2021)[5] et Kim v. United States, 2023 WL 3213547 (C.D. Cal. Mar. 28, 2023).
D’autre part, la cour s’est prononcée sur l'article 24 paragraphe 2(b) de la Convention, dont le champ d’application couvre précisément les citoyens américains résidant fiscalement en France. Ce paragraphe prévoit également que les Etats-Unis accordent un crédit déductible de l'impôt américain sur le revenu correspondant à l'impôt français sur le revenu payé. Cependant, le paragraphe 2(b) ne contient pas la mention problématique présente au paragraphe 2(a) du même article (« en conformité avec les dispositions de la législation des Etats-Unis »). Par ces motifs, la cour, interprétant les termes de la Convention, estime que le paragraphe 2(b) n’est pas lié par la disposition restreignant la déductibilité des crédits d'impôt sur l'impôt américain relevant du Chapitre 1 du Code. Par conséquent, la cour conclut que le fondement de l’article 24 paragraphe (2)(b) permet aux contribuables d'utiliser leurs crédits d'impôt en déductibilité de leur NIIT.
En outre, les dispositions prévoyant l’octroi de crédits d'impôt aux citoyens américains sans restriction de conformité avec la loi américaine se retrouvent dans plusieurs autres conventions fiscales conclues avec les Etats-Unis, telles que dans celles conclues avec le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou l'Allemagne. Par conséquent, cette décision pourrait permettre à de nombreux citoyens américains résidents fiscaux à l’étranger de bénéficier d’un crédit d'impôt réduisant leur NIIT et ainsi éliminer le frottement fiscal y afférent pour les années antérieures et à venir.
Cette décision de la U.S. Court of Federal Claims n’est néanmoins pas encore finale, dans la mesure ou l’IRS a fait appel de cette décision le 18 décembre dernier[6]. Il faudra donc patienter pour savoir si la décision sera confirmée par la cour d’appel (U.S. Court of Appeals, Federal Circuit). Dans l’attente, les citoyens américains, résidents fiscaux en France ou dans d'autres pays dont la convention fiscale comporte une disposition similaire au paragraphe 2(b) précité, peuvent déjà songer à corriger leur déclaration fiscale auprès de l’IRS ou à demander le remboursement du surplus payé au titre du NIIT (le délai de prescription en la matière étant étendu à 10 ans au lieu de 3 ans)[7]. Il est cependant probable que l’IRS suspende le traitement de ces demandes jusqu’à ce que la procédure d’appel arrive à son terme.
Nous continuons de suivre ce sujet de près et restons à votre disposition pour répondre à toute question relative à la fiscalité américaine et internationale.
[1]IRC § 1411(a)(1) and (b).
[2]Head of household (with qualifying person).
[3]Qualifying widow(er) with dependent child.
[4]Christensen v. United States, No 20-935T (2023).
[5] La cour n’avait alors pas été saisie pour se prononcer sur l’application de l’article 24 paragraphe 2(b) de la Convention mais uniquement sur le paragraphe (2)(a).
[6]Christensen v. United States, 168 Fed.Cl. 263 (U.S. Ct. Fed. Claims 2023), appeal docketed, No. 24-1284 (Fed. Cir. Dec. 22, 2023).
[7] IRC § 6511(d)(3)(A).