Accélération de la digitalisation de l’économie, dématérialisation, identité numérique, protection des données personnelles, émergence de nouveaux instruments d’échanges et de paiements… Les défis juridiques en matière d’innovation numérique sont nombreux, notamment en matière de communication, de transactions et de parcours clients.
Même si l’heure est au renforcement de l’encadrement et à la régulation de l’usages des nouvelles technologies, les nombreux textes européens récemment entrés en vigueur (ex : les règlements sur la gouvernance des données et les services numériques, ou « DGA[1] » et « DSA[2] ») ou en cours de négociation (ex : la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle, ou « AI Act ») ne suffiront pas à apporter immédiatement une protection juridique optimale à l’essor des nouvelles pratiques et des services innovants déployés par les entreprises et les institutions engagées dans leur transformation numérique.
Il apparaît dès lors que la confiance accordée par les clients (en BtoB ou BtoC) à ces nouveaux usages se place au cœur des stratégies des organisations qui ont fait le choix d’entrer pleinement dans une nouvelle ère de digitalisation, tant en matière de prestation de services et de vente, que de recours à de nouveaux dispositifs technologiques.
A ce titre, la protection juridique apportée par les contrats, les conditions générales d'utilisation ou de vente, et les dispositifs opérationnels imposés par la réglementation (politiques de confidentialité, KYC/KYT, etc.), s’impose dès l’origine des initiatives en matière d’innovation. Le déploiement des activités reposant sur les nouveaux dispositifs technologiques bénéficie donc d'une structuration juridique assise sur des outils existant, déjà relativement bien maîtrisés par de nombreuses entreprises, mais la problématique de confiance numérique soulève également de nouveaux rapports de force stratégiques entre les parties prenantes (concernant notamment le partage de valeur et la répartition des responsabilités), qui nourrissent d'importants contentieux précédant ou accompagnant la mise en œuvre des multiples initiatives législatives et réglementaires en cours.
Bien que certaines problématiques juridiques en matière de confiance numérique soient similaires d’un secteur à l’autre, les défis restent nombreux et doivent être relevés au regard des spécificités de chaque industrie.
Par exemple, dans le secteur banque-finance, la digitalisation de l’offre de services et le développement de la finance numérique et de la finance décentralisée, nécessitent un traitement juridique différencié et innovant compte tenu de nouveaux enjeux liés aux prestataires et solutions technologiques auxquelles les acteurs sont exposés. L’articulation entre les obligations réglementaires déjà nombreuses dans le secteur (issues notamment de MIFID, MAR, EMIR, CSDR, DPS2, EMD2, PRIIPS…), et la structuration juridique des contrats de fournisseurs et prestataires, devient clé, particulièrement dans un contexte d’externalisation et de partenariats accrus.
D’autre part, la réglementation financière européenne s’est considérablement renforcée au cours des trois dernières années sur les sujets en lien avec la digitalisation et l’économie numérique. Les directives et règlements récemment votés au niveau européen en matière de cybersécurité, d’usage des données, ou concernant de nouveaux marchés de type « crypto-actifs » (ex : DORA[3], NISD2[4], FIDAR[5], MICAR[6]), devraient ainsi imposer aux entreprises concernées de mieux s’équiper en matière de sécurité et résilience numérique et d’intégrer de nouveaux réflexes dans leur protection juridique.
Dans le domaine de la finance numérique (applications dans le secteur financier de technologies de registres distribués de type blockchain), de nombreux enjeux juridiques se posent également en matière de décentralisation, de transparence et d’inviolabilité notamment. L’innovation juridique y sera donc nécessaire pour apporter de la confiance, et compléter les premières mesures réglementaires (ex : « Règlement Régime Pilote » pour les titres financiers inscrites en blockchain, ou « security tokens ») prises par la Commission européenne qui restent à compléter (par exemple dans le domaine de la finance décentralisée, ou « Defi », non réglementée à ce jour).
D’autres enjeux sont à relever dans le secteur du luxe qui, à travers le déploiement de nouveaux services numériques (fidélité, SAV, VIP, assurance, certification, gamification…), la multiplication des modes de paiement à distance, et la valorisation dans le monde digital du patrimoine des marques, voit s’intensifier les risques auxquels leur clientèle est exposée. Les failles technologiques (usurpation d’identité, contrefaçons, paiements) par exemple liées au recours à certaines plateformes digitale mettent en exergue la nécessité pour ces acteurs d’accroître la confiance numérique dans les parcours clients et de le faire savoir. D’autre part, les projets qui projettent ces marques dans l’univers du « Web3 » (ex : métaverse, NFT) ont commencé à être expérimentés, et intensifient les enjeux juridiques qui devront être anticipés et traités pour permettre la naissance de cas d’usage à grande échelle. Dans ce cadre, les marques sont notamment confrontées à une forme d'incertitude pesante concernant la détermination de leurs statuts réglementaires.
De même, dans le secteur des media et plus largement des industries culturelles et du gaming, les problématiques liées aux nouvelles technologies se situent déjà à un niveau très élevé, et devraient s’intensifier compte tenu des relais de croissance que représentent la digitalisation de l'accès aux contenus et le déploiement de nouveaux services et des nouvelles offres associées. D’un point de vue juridique, le droit de la propriété intellectuelle, la distribution des contenus en ligne, le droit des actifs numériques et le droit des jeux en ligne devraient participer à accroître la confiance numérique nécessaire au secteur à travers la structuration juridique de ces nouvelles activités dans le monde digital. Mais les acteurs des média et du divertissement peuvent difficilement attendre la stabilisation attendue des législations et règlementations qui les concernent. Ils œuvrent par conséquent à la recherche de solutions commerciales et opérationnelles pour ne pas freiner le déploiement de leurs activités.
Enfin, l’ensemble des secteurs pourraient à plus long terme se confronter à l’évolution d’Internet dans sa forme actuelle, et faire face à l’apparition de nouvelles combinaisons de technologies et de protocoles. Parmi les questions posées, l’évolution de la promesse du « Web3 » sera particulièrement déterminante, dans la mesure où la construction de modèles décentralisés interrogent l’applicabilité de certaines règles par exemple en matière de droit bancaire (compte tenu de paiements qui seraient opérés au moyen de nouveaux instruments, de types monnaies virtuelles, stablecoins, ou monnaies numériques) et de droit de la propriété intellectuelle (compte tenu par exemple de la présence de nouveaux instruments de type « NFT » dans un univers décentralisé).
Face aux disruptions technologiques et à l’émergence de nouveaux cas d’usage, de nombreux autres secteurs doivent également, dès à présent, réfléchir aux mécanismes juridiques qui leur permettront de sécuriser la valorisation de leurs activités et d’améliorer leur protection vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux et prestataires technologiques. De l’identification et la gestion des nouveaux facteurs risques associés à cette nouvelle phase de la transformation numérique, naîtra alors la confiance de leurs clients.