6 July 2023
Issu de la volonté du législateur de rapatrier les captives de réassurance d'entreprises françaises en France et, plus largement, d'inciter ces dernières à les constituer à l'avenir sur le territoire national, l'article 6 de la loi de finances pour 2023[1] vise à offrir un cadre réglementaire plus favorable aux captives de réassurance.
La publication du décret d'application[2] le 9 juin 2023, suivie par les commentaires administratifs[3] quelques jours après, permettent de préciser les contours de ce nouveau dispositif.
Le législateur est parti du constat que les entreprises françaises doivent faire face, depuis plusieurs années, à une dégradation de leur couverture assurantielle[4], liée notamment :
Dès avant cette réforme, les entreprises françaises pouvaient prendre en charge une partie de leurs risques au moyen d'une entreprise captive de réassurance. Néanmoins, l'absence en France de cadre fiscal adapté à ce mécanisme conduisait largement les entreprises françaises à domicilier leurs captives à l'étranger, privilégiant ainsi des Etats proposant une fiscalité considérée comme favorable pour les captives, tels que Guernesey, le Luxembourg ou encore l'Irlande.
Ainsi, à la date d'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2023, seules 9 des 120 captives d'entreprises françaises étaient domiciliées en France.
L'objectif clairement affiché par le rapporteur général de la loi, M. Jean-René Cazeneuve, était donc de "rapatrier les captives de nos entreprises nationales situées à l’étranger. La localisation sur le territoire national de la couverture des risques de nos entreprises apparaît comme un élément de souveraineté à saluer"[5].
L'article 6 de la loi de finances pour 2023 est venu ajouter un II à l'article 39 quinquies G du Code général des impôts[6], lequel permet désormais (et à compter des exercices ouverts depuis le 1er janvier 2023) aux entreprises captives de réassurance de constituer, en franchise d'impôt, une "provision pour résilience" destinée à faire face aux charges afférentes aux opérations de réassurance acceptée portant sur certains risques spécifiques.
Autrement dit, cette mesure permet de capitaliser les bénéfices réalisés lors d'un exercice afin d'être en capacité de régler les sinistres qui surviendraient lors des exercices suivants.
En effet, dans la mesure où les captives sont dédiées à la réassurance des risques d'un groupe, elles ne peuvent pas procéder à une diversification de leurs risques entre leurs assurés. La nouvelle provision devra ainsi leur permettre de procéder à une diversification de leurs risques dans le temps.
Cette nouvelle provision pourra être constituée par une entreprise française captive de réassurance[7], sous réserve de satisfaire aux trois conditions cumulatives suivantes :
La provision ne pourra être constituée en franchise d'impôt que pour faire face aux charges afférentes à certains risques limitativement énumérés à l'article A. 344-2 du Code des assurances, à savoir les dommages aux biens professionnels et agricoles, les catastrophes naturelles, la responsabilité civile générale, les pertes pécuniaires, les dommages et pertes pécuniaires consécutifs aux atteintes aux systèmes d'information et de communication et de transports[9].
Par ailleurs, le montant déductible de la provision est soumis à la double limite suivante : (i) la déductibilité de la dotation annuelle ne peut excéder 90% du montant du bénéfice résultant de la somme des bénéfices techniques associés à chaque catégorie de risque concernée[10] et (ii) le montant global est plafonné à 10 fois le montant moyen du minimum de capital requis (MCR), apprécié sur les trois dernières années[11]. Il est également précisé que les dotations annuelles qui n'ont pu être utilisées dans un délai de quinze ans seront rapportées au bénéfice imposable lors de la seizième année.
Enfin, la constitution d'une "provision pour résilience" entraîne un certain nombre d'obligations comptables et déclaratives pour les sociétés concernées[12]. Dans ce cadre, l'entreprise captive de réassurance devra établir à la fois un compte de résultat technique et un état retraçant notamment le montant des dotations de chaque exercice[13]. Cette provision devra figurer sur le relevé des provisions prévu à l'article 38, II et III de l'annexe III au CGI, étant rappelé que l'absence d'une telle mention est susceptible d'entraîner une amende égale à 5% (ou 1%) des sommes non déclarées. L'ensemble de ces documents devra être joint à la déclaration de résultats de chaque exercice.
Bien que la récente publication du décret d'application et des commentaires administratifs ait permis de mieux apprécier les ambitions de cette réforme, il faudra sûrement attendre le rapport du Gouvernement au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2025, s'agissant notamment des caractéristiques des bénéficiaires, ainsi que du coût et de l'efficacité de la réforme, pour en mesurer les conséquences réelles.
Article 39 quinquies G II du Code général des impôts
II. - Les entreprises captives de réassurance mentionnées au 3° de l'article L. 350-2 du code des assurances détenues par une entreprise autre qu'une entreprise financière au sens du 12° de l'article L. 310-3 du même code et qui ont pour objet la fourniture d'une couverture de réassurance portant exclusivement sur les risques d'entreprises autres que des entreprises financières mentionnées au même article L. 310-3 peuvent constituer, en franchise d'impôt, une provision destinée à faire face aux charges afférentes aux opérations de réassurance acceptée dont les risques d'assurance relèvent des catégories des dommages aux biens professionnels et agricoles, des catastrophes naturelles, de la responsabilité civile générale, des pertes pécuniaires ainsi que des dommages et des pertes pécuniaires consécutifs aux atteintes aux systèmes d'information et de communication et des transports mentionnées à l'article A. 344-2 dudit code, dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2022.
La limite dans laquelle les dotations annuelles à cette provision peuvent être retranchées des bénéfices et celle du montant global de la provision sont fixées par décret, respectivement en fonction de l'importance des bénéfices techniques et de la moyenne sur les trois dernières années du minimum de capital requis au sens de l'article L. 352-5 du même code.
Cette provision est affectée, dans l'ordre d'ancienneté des dotations annuelles, à la compensation globale du solde négatif du compte de résultat technique de l'exercice pour l'ensemble des risques correspondants. Les dotations annuelles qui, dans un délai de quinze ans, n'ont pu être utilisées conformément à cet objet sont rapportées au bénéfice imposable de la seizième année suivant celle de leur comptabilisation.
Les risques ayant donné lieu à la constitution d'une provision dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II ne peuvent pas donner lieu à la constatation d'une provision en application du I du présent article.
Les conditions de comptabilisation et de déclaration de ces provisions sont fixées par décret.
[1] Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
[2] Décret n° 2023-449 du 7 juin 2023 relatif aux règles de comptabilisation de la provision pour résilience constituée par les entreprises captives de réassurance.
[3] BOI-BIC-PROV-60-70-15 du 14 juin 2023.
[4] Amendements n° I-1292 rect. et n° I-3519.
[5] Rapport fait au nom de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de finances pour 2023 (n° 598), M. Jean-René Cazeneuve, page 43.
[6] Reproduit in extenso ci-dessous.
[7] Au sens de l'article L. 350-2 3° du Code des assurances.
[8] Au sens de l'article L. 310-3 du Code des assurances.
[9] Dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2022.
[10] Le bénéfice technique correspond schématiquement à la différence entre (i) d'une part, le montant des primes et cotisations et (ii) d'autre part, le montant des charges de sinistres.
[11] Conformément à l'article R. 352-29, I-b du Code des assurances, le MCR correspond à un montant de fonds propres de base éligible en deçà duquel les assurés, souscripteurs, bénéficiaires des contrats et entreprises réassurées seraient exposées à un niveau de risque inacceptable si l'entreprise de réassurance était autorisée à poursuivre son activité.
[12] Cette provision devra figurer au passif du bilan de la captive, en tant que "provision réglementée".
[13] Article 16 C de l'annexe II du CGI.