Introduction
Les récentes évolutions en matière de déclaration de comptes bancaires et d'actifs financiers étrangers - ou Report of Foreign Bank and Financial Accounts (FBAR) - ont précisé la portée des sanctions applicables en cas de manquement "non délibéré" à cette obligation déclarative.
En vertu du Bank Secrecy Act (loi sur le secret bancaire), le Trésor américain impose à ses contribuables de déclarer chaque année certaines informations sur leurs comptes étrangers via le FBAR. Ces informations ont vocation à permettre au gouvernement de retracer plus efficacement les fonds susceptibles d'être utilisés à des fins illégales et d'identifier les revenus non déclarés susceptibles d'être assujettis à l'impôt américain. Bien qu'administré par le Trésor américain, le FBAR (ou formulaire 114 FinCEN) n'est pas à déposer auprès de l'Internal Revenue Service (IRS) mais auprès d'un autre bureau du Trésor américain : le bureau du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN).
La présente alerte offre un aperçu des obligations liées au dépôt du FBAR, détaille les sanctions civiles et pénales applicables en cas de non-respect de ces obligations et souligne les précisions apportées par la Cour suprême américaine dans sa récente décision Bittner v. United States1 sur les sanctions pour manquement non délibéré.
Qu'est-ce que le FBAR ?
Un contribuable américain détenant un intérêt financier ou un pouvoir de signature sur un ou plusieurs comptes bancaires étrangers dont la valeur cumulée dépasse 10 000 $ à tout moment au cours de l'année civile doit déclarer ses comptes chaque année auprès du FinCEN en renseignant le formulaire FBAR à la date limite de dépôt de sa déclaration d'impôts fédérale (ou en cas de prolongation du délai, à la date limite indiquée), sous réserve de certaines exceptions2.
Les obligations légales en matière de FBAR s'appliquent aussi bien aux citoyens américains et aux résidents fiscaux américains (c'est-à-dire les détenteurs d'une carte verte ou les personnes satisfaisant le test de présence substantielle), qu'aux corporations, partnerships, LLCs, trusts et estates créés ou organisés aux États-Unis.
En règle générale, un compte ouvert auprès d'une institution financière en dehors des États-Unis est considéré comme un compte étranger (foreign account). Le fait que le compte ait produit ou non des revenus imposables au cours de l'année, tels que des intérêts, est sans effet sur le caractère obligatoire de la déclaration.
Par conséquent, un ressortissant français qui obtient une carte verte ou qui s'installe aux États-Unis pendant une certaine durée, devenant ainsi résident fiscal américain, sera tenu de déclarer tout compte bancaire étranger sur le FBAR, à condition que le seuil de déclaration de 10 000 $ soit atteint.
Pour déterminer si la valeur totale des comptes dépasse 10 000 $, chaque compte doit être évalué séparément puis les valeurs les plus élevées de chaque compte pour l'année en question doivent être additionnées. Supposons qu'un contribuable américain possède trois comptes bancaires étrangers au cours de l'année civile 2023, dont les valeurs maximales en 2023 était respectivement de 2 000, 5 500 et 9 000 $ : bien qu'aucun des comptes ne dépasse individuellement 10 000 $, la somme des valeurs les plus élevées de chaque compte en 2023 est bien de 16 500 $. Par conséquent, le contribuable américain sera tenu de déposer un formulaire FBAR pour 2023.
La déclaration doit être réalisée par voie électronique auprès du FinCEN. Les informations à communiquer sur les comptes étrangers sont généralement minimales et comprennent, entre autres, la valeur maximale de chaque compte au cours de l'année, le numéro de compte et le nom et l'adresse de la banque étrangère.
Si le FBAR relève principalement de la compétence du FinCEN, il est indirectement présent sur le radar de l'IRS. En effet, outre l'obligation générale pour les contribuables américains de déclarer tout revenu généré par des comptes financiers, qu'ils soient étrangers ou américains, les contribuables américains sont également expressément tenus d'indiquer l'existence de leurs comptes étrangers sur leur déclaration d'impôts fédérale, qui relève cette fois-ci de l'IRS (en cochant la case "oui" ou "non" sur l'annexe B du formulaire 1040). Même en l'absence de revenus à déclarer, ne pas remplir correctement l'annexe B présente un risque de contrôle fiscal pour le contribuable et constitue, en cas de manquement à l'obligation FBAR, un potentiel indice du caractère "délibéré" de ce manquement. La détermination d'un tel manquement peut à son tour avoir un impact considérable sur les sanctions susceptibles d'être appliquées au contribuable.
Quelles sont les sanctions en cas de manquement ?
Le non-respect des obligations FBAR peut entraîner de sévères sanctions, tant civiles que pénales, selon que le manquement est délibéré ou non. Bien qu'une discussion sur les subtilités du caractère délibéré ou non délibéré sorte du champ de cette alerte, il est utile de saisir la portée des sanctions pouvant s'appliquer dans chacun de ces cas.
Sanctions civiles - Les sanctions civiles pour manquement non délibéré peuvent atteindre jusqu'à 10 000 $ (ajustés pour tenir compte de l'inflation) par manquement (per violation). Toutefois, la question de savoir si une telle sanction s'applique par compte non déclaré ou par formulaire FBAR non déposé a longtemps fait l'objet de débats et de décisions judiciaires contradictoires, du moins jusqu'à la récente décision Bittner.
En revanche, lorsque le caractère délibéré du manquement est établi, la sanction est nettement plus claire. Un contribuable américain ayant délibérément3 manqué à ses obligations FBAR encourt une sanction allant jusqu’à 100 000 $ ou, si ce montant est plus élevé, 50 % du solde du ou des comptes étrangers à la date du manquement.
Sanctions pénales - Outre les sanctions civiles, l'IRS peut également engager des poursuites pénales en cas de manquement délibéré, et ainsi imposer des pénalités supplémentaires allant jusqu'à 250 000 $ et 5 ans d'emprisonnement4. Dans le cas où un contribuable américain manquerait à ses obligations FBAR tout en enfreignant une autre loi américaine, ou dans le cadre d'un schéma d'activités illégales impliquant un montant supérieur à 100 000 $ sur une période de 12 mois, la sanction pénale peut être portée à 500 000 $ et 10 ans d'emprisonnement5.
L'affaire Bittner
Attendue de longue date par les contribuables américains, les fiscalistes et autres spécialistes du droit américain, la récente décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Bittner aura sans aucun doute des implications majeures pour les contribuables détenant des comptes à l'étranger. L'affaire concerne Alexandru Bittner, un citoyen américain né en Roumanie et y étant devenu homme d'affaires et investisseur prospère. M. Bittner avait placé son argent dans une multitude de comptes bancaires dans le monde entier, notamment en Roumanie, en Suisse et au Liechtenstein. Toutefois, et comme de nombreux citoyens américains vivant à l'étranger, M. Bittner ignorait qu'il avait l'obligation de déclarer ses comptes étrangers aux États-Unis. Au vu des faits, les juridictions de première instance et d'appel ont estimé que M. Bittner n'avait pas délibérément omis de déclarer ses comptes. La seule question qui se posait à la Cour était donc de savoir sur quel fondement la sanction civile de 10 000 $ "par manquement" devait être imposée. En d'autres termes, que signifie "un manquement" ?
Autrement dit, la principale question dans l'affaire Bittner était celle de savoir si la sanction devait être imposée pour chaque compte non déclaré ou pour chaque formulaire FBAR non déposé.
En l'espèce, l'IRS avait imposé à M. Bittner, au titre du manquement non délibéré à ses obligations déclaratives FBAR, une sanction d'un montant total de 2,72 millions de dollars pour ses 272 comptes étrangers non déclarés au cours des années fiscales 2007 à 2011 (soit plus de 50 comptes non déclarés chaque année). M. Bittner, contestant cette sanction devant le tribunal de première instance, arguait que la pénalité s'appliquait par FBAR non déposé et par conséquent qu'il ne devait que 50 000 $ (c'est-à-dire 10 000 $ pour chaque année où Bittner n'avait pas correctement déposé son FBAR). En premier lieu, le tribunal a donné raison à Bittner, estimant que la pénalité s'appliquait par FBAR non déposé. Puis, le gouvernement ayant interjeté appel, la Cour d'appel de la cinquième circonscription a annulé le jugement de première instance, estimant que la pénalité devait être imposée pour chaque compte non déclaré6. Enfin, la Cour d'appel de la neuvième circonscription, dans une autre affaire dont les faits étaient similaires, a retenu que le Bank Secrecy Act ne prévoyait "qu'une unique sanction pour manquement non délibéré en cas de dépôt tardif d'un formulaire FBAR dont les informations renseignées sont exactes, et ce quel que soit le nombre de comptes"7. Autrement dit, la sanction s'appliquerait par FBAR non déposé, et non par compte non déclaré, créant ainsi un clivage entre les circonscriptions.
L'affaire Bittner a finalement été entendue par la Cour suprême des États-Unis, qui rejoint l'interprétation de la Cour d'appel de la neuvième circonscription en concluant que la sanction FBAR s'applique bien par FBAR non déposé, et non par compte non déclaré. La Cour suprême relève notamment la lettre du Bank Secrecy Act, qui ne fait aucune mention précise de comptes bancaires dans la définition de ses obligations légales, mais plutôt d'une obligation de "déposer des déclarations" concernant, entre autres, les transactions ou relations d'un individu avec une entité financière étrangère8. En outre, d'après le même texte, "tout manquement" à ces obligations est passible d'une sanction pouvant aller jusqu'à 10 000 $ et un tel manquement est constitué "dès lors qu'un individu omet de déposer une déclaration conforme aux instructions de la loi"9.
Le raisonnement de la Cour suprême souligne par ailleurs la différence terminologique de la loi s'agissant des sanctions applicables aux manquements délibérés et non délibérés. En effet, si le législateur a explicitement autorisé l'application d'une sanction par compte pour certains manquements délibérés, il n'en a pas fait de même pour les manquements non délibérés. Or, la Cour suprême retient qu'en cas d'omission par le législateur d'une disposition particulière dans un texte de loi, celui-ci entend généralement exprimer une différence de sens. Dès lors, la position du gouvernement dans cette affaire dérogeait manifestement à cette règle d'interprétation.
Conclusion
La décision de la Cour suprême implique désormais que la sanction pour un manquement non délibéré à l'obligation de déclarer ses comptes étrangers s'applique par formulaire FBAR non déposé et non par compte non déclaré. Cette décision met fin à la divergence entre les cinquième et neuvième circonscriptions et clarifie l'interprétation des sanctions prévues par le Bank Secrecy Act.
Si cette décision semble être favorable au contribuable qui, en cas de manquement non délibéré, verra sa sanction limitée à 10 000 $ peu importe le nombre de comptes non déclarés, force est de constater que celle-ci laisse subsister certaines zones d'ombre. En particulier, puisque les sommes perçues par le gouvernement au titre de tels manquements risquent d'être largement amoindries et passeront potentiellement de plusieurs millions de dollars à 10 000 $ seulement par contribuable, certains estiment que cette décision ouvrirait la voie à une recherche plus agressive par le gouvernement du caractère délibéré de tels manquements. La question se pose alors de savoir quel est, ou quel devrait être, le critère à appliquer pour conclure à l'intention délibérée. Si la décision Bittner n'a pas abordé cette question, une autre affaire récente impliquant une déclaration FBAR a déjà été portée devant la Cour suprême afin qu'elle clarifie les critères de l'intention délibérée dans ce contexte.
En effet, dans l'affaire Bedrosian v. United States10, le demandeur devant la Cour suprême fait valoir que le caractère délibéré devrait être déterminé selon des critères subjectifs, contrairement à la pratique de certaines circonscriptions appliquant des critères purement objectifs. Les contribuables et leurs avocats devront patienter pour savoir si la Cour suprême accordera un droit de recours à Bedrosian et acceptera de se prononcer sur cette question essentielle.
Nous continuons de suivre ce sujet de près et restons à votre disposition pour répondre à toute question relative à la fiscalité américaine et internationale.
1No. 21-1195 (U.S. 2/28/23).
2 31 C.F.R. §1010.350(c)(4)(i).
3Le manquement délibéré est défini dans l'Internal Revenue Manual (IRM) comme le fait de manquer sciemment ou par insouciance à une obligation légale ou d'éviter intentionnellement d'en prendre connaissance. Le caractère délibéré peut être établi, par exemple, si le contribuable américain a déposé un FBAR les années précédentes, a reçu l'équivalent d'une lettre de relance ou de proposition de rectification FBAR ou a omis de déclarer des revenus associés à ses comptes étrangers. Le gouvernement doit établir le caractère délibère par des "preuves claires et convaincantes" (clear and convincing evidence), bien que certains tribunaux aient accepté le critère moins exigeant de la "prépondérance" (preponderance of evidence). IRM 4.26.16.5.5.1 (06-24-21); United States v. Williams, 489 Fed. App'x 655 (4th Cir. 2012); United States v. McBride, 908 F. Supp. 2d 1186 (D. Utah. 2012); United States v. Garrity, 304 F. Supp. 3d 267 (D. Conn. 2018).
5 31 U.S.C. §5322(b); 31 C.F.R. §1010.840(c).
619 F. 4th 734, 739–740 (CA5 2021).
7United States v. Boyd, 123 AFTR 2d 2019–1651 (CD Cal. 2019).
831 U.S. Code § 5314.
931 U.S. Code § 5321.
10No. 21-1583 (3d Cir. 2022).