Dans le cadre de la révision du Règlement d'exemption par catégorie sur les accords verticaux (le « REC »), la Commission européenne a, le 9 juillet dernier, publié ses projets de règlement et de lignes directrices (voir ici). Cette publication est accompagnée d'une note explicative dans laquelle la Commission explique les raisonnements suivis dans l'adaptation du cadre applicable au vu de l'évolution des modes de distribution et de consommation depuis 2010 (voir ici).
La publication de ces projets fait suite à la publication par la Commission de son Staff Working Document (notre alerte ici) et de son Analyse d’impact initiale (notre alerte ici), donnant lieu à une deuxième phase de consultation des différentes parties prenantes.
Les principaux objectifs poursuivis par la Commission dans la rédaction du nouveau règlement sont :
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réajuster la « zone de sécurité » (safe harbor) offerte par le REC pour éliminer les cas de « faux positifs » et réduire autant que possible les situations de « faux négatifs » ;
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fournir des orientations actualisées et adaptées à l’environnement actuel, tenant compte en particulier de la croissance du commerce électronique et l'émergence des plateformes en ligne ;
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réduire les coûts de mise en conformité pour les entreprises en simplifiant les règles actuelles.
LES PRINCIPALES EVOLUTIONS
Les principales évolutions portent sur les points suivants :
La fin de l’exemption pour la double distribution ("dual distirbution")
- La Commission a constaté que, notamment du fait de la progression du commerce en ligne, les situations de double distribution (situations dans lesquelles un fournisseur vend ses produits non seulement par l’intermédiaire de distributeurs indépendants, mais aussi directement aux clients finaux, en concurrence directe avec ses distributeurs indépendants) sont devenues courantes. Elle considère ainsi que l’exception actuelle concernant la double distribution serait susceptible de conduire à l’exemption d’accords verticaux pour lesquels les problèmes horizontaux pourraient ne plus être négligeables (notamment en ce qui concerne les échanges d'informations entre concurrents liés par une relation verticale).
- Le projet de règlement vise donc à encadrer, de façon plus restreinte, les cas dans lesquels les accords verticaux entre entreprises concurrentes peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie, en instaurant un seuil de part de marché au-delà duquel l’exemption sera limitée.
Le projet de règlement prévoit ainsi que l’exemption s’applique à tous les aspects d’un accord vertical non réciproque (tel qu’un accord de distribution) entre entreprises concurrentes si :
- le fournisseur est un producteur, mais aussi un grossiste ou un importateur et un distributeur de biens, tandis que l’acheteur est un distributeur et non une entreprise concurrente qui fabrique, vend en gros ou importe et que sa part de marché cumulée sur le marché de vente au détail concerné ne dépasse pas [10]%;
- le fournisseur est un prestataire de services à plusieurs niveaux d’activité commerciale, tandis que l’acheteur fournit ses services au stade de la vente au détail et n’est pas une entreprise concurrente au niveau de l’activité commerciale où il achète les services contractuels et que sa part de marché cumulée sur le marché de vente au détail concerné ne dépasse pas [10]%.
- Dans le cas où la part de marché cumulée est supérieure à 10%, l’exemption peut jouer si les parts de marché de chacune des parties sur le marché de l’approvisionnement sont inférieurs au seuil d’exemption de 30%. Dans ce cas, l’exemption s’applique à tous les aspects verticaux de l’accord, sauf en ce qui concerne les échanges d’informations entre les parties, qui devront être évalués selon les règles applicables aux accords horizontaux, dont la révision est également en cours.
- Enfin, et c’est une nouveauté importante, soucieuse de tenir compte du rôle majeur que jouent aujourd'hui les plateformes dans la distribution, la Commission considère que toute plateforme ou fournisseur de services d’intermédiation doit être considéré comme fournisseur aux fins de l'application du REC. Partant, la Commission instaure une nouvelle exception à l’exemption, et prévoit ainsi que les exceptions susvisées ne s’appliquent pas si un fournisseur de services d’intermédiation en ligne qui vend également des biens ou des services en concurrence avec des entreprises auxquelles il fournit des services d’intermédiation en ligne conclut un accord vertical non réciproque avec lesdites entreprises concurrentes (Article 2.7).
- Les plateformes d'intermédiation en ligne étant considérées comme agissant en qualité de fournisseurs et bénéficiant de fait d'un pouvoir de négociation leur permettant de mettre en place des conditions potentiellement déséquilibrées vis-à-vis de leurs utilisateurs, elles ne peuvent dès lors bénéficier de l'exception applicable aux relations d'agents et leurs relations avec leurs utilisateurs sont de fait soumises à l'article 101§1 TFUE. Les conséquences sont ici structurantes dans de nombreux secteurs dès lors que, dans certaines situations, les plateformes d'intermédiation en ligne interviennent en tant que mandataire de leurs utilisateurs et ne décident généralement pas du prix des produits et services offerts en ligne par ces derniers.
Concernant les restrictions des ventes actives,
- La Commission marque un progrès en posant une définition plus claire des notions de ventes actives et ventes passives, en précisant que certains types de comportements en ligne, lorsqu’ils ciblent spécifiquement une clientèle, peuvent constituer des ventes actives. Tel est notamment le cas de tout moyen de ciblage d'un client, tel que la publicité ciblée, le recours aux outils de comparaison tarifaire, les outils de référencement, l'utilisation d'extension pays au-delà du pays d'implantation, etc. (cf. article 1 (l) du projet de REC et section 6.1.2 du projet de lignes directrices révisées).
- Elle introduit, à l'article 4 point b), la possibilité d'une exclusivité partagée, permettant à un fournisseur de désigner, sur un territoire donné ou pour une clientèle prédéfinie, plusieurs distributeurs exclusifs.
- L'article 4, point b) accorde au fournisseur un droit d'imposer à ses acheteurs de répercuter la restriction sur les ventes actives sur leurs clients lorsqu'un accord de distribution a été conclu entre le client et le fournisseur ou avec une partie à laquelle celui-ci a accordé des droits de distribution.
- L'article 4, point c) accorde une meilleure protection aux systèmes de distribution sélective contre les ventes de distributeurs non autorisés situés sur le territoire auquel s’étend la distribution sélective.
Concernant les mesures indirectes restreignant les ventes en ligne, la Commission a tenu compte du développement majeur du commerce en ligne et de la nécessité de fournir aux opérateurs une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs systèmes de distribution, dès lors qu’Internet n’a plus besoin de faire l’objet d’une protection renforcée.
Elle propose donc d’assouplir les règles en matière de double prix (dual pricing) et en ce qui concerne le principe d'équivalence.
- En ce qui concerne le système de double prix : l’article 4 du projet de règlement ne qualifie plus le système de double prix de restriction caractérisée et permet donc aux fournisseurs de fixer des prix de gros différents pour les ventes en ligne et hors ligne d’un même distributeur, à condition que ce double prix vise à encourager ou à récompenser un niveau d’investissement adéquat, en rapport avec les coûts liés à chaque canal, et ne vise pas à restreindre la possibilité pour le distributeur de vendre les produits en ligne.
- En ce qui concerne le principe d’équivalence, le projet de règlement prévoit que, dans le cadre de la distribution sélective, les critères de sélection imposés pour la vente en ligne n’ont plus besoin d’être globalement équivalents à ceux imposés aux points de vente physiques dès lors que ces deux canaux sont « de nature intrinsèquement différente ».
- Cela étant, cette flexibilité nouvelle n'est pas sans contrepartie puisque la Commission semble vouloir adopter une définition plus large des restrictions des ventes en ligne en considérant à l'article 1 n) qu'une restriction pourrait également résulter de la limitation faite aux distributeurs de recourir à un ou plusieurs outils publicitaires en ligne (tels que, notamment, les comparateurs de prix ou les outils de publicité ciblée)
- S’agissant des restrictions des ventes en ligne, la Commission fournit des orientations actualisées visant à clarifier et à harmoniser les règles applicables. Les projets de règlement et de lignes directrices révisés intègrent les principes directeurs de l’appréciation des restrictions en ligne, principes tirés notamment de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, notamment dans les affaires Pierre Fabre et Coty, dont elle clarifie le périmètre (cf. section 1.2 du projet de lignes directrices révisées, qui fournit des orientations supplémentaires sur ces restrictions caractérisées).
- Les projets de règlement et de lignes directrices prévoient également des règles et des orientations spécifiques sur l’économie des plateformes, celles-ci jouant un rôle de plus en plus prépondérant dans la distribution des biens et services.
Le projet de règlement d’exemption fournit ainsi une définition de la notion de fournisseur de services d’intermédiation en ligne, qui est fondée sur une définition similaire du règlement sur les relations entre les plateformes et les entreprises. Cette définition précise que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne sont considérés comme des fournisseurs au sens du règlement d’exemption. Les conséquences de cette précision et de l’application d’un certain nombre d’autres règles aux fournisseurs de services d’intermédiation en ligne sont exposées dans les lignes directrices (section 4.3).
PROCHAINES ETAPES
- Suite à la publication du projet de Règlement et de lignes directrices, la Commission a ouvert une nouvelle phase de consultation publique. Les parties intéressées sont invitées à communiquer leurs contribution avant le 17 septembre prochain par email.
- Les observations soumises seront prises en compte par la Commission lors de la finalisation de la réforme et l'entrée en vigueur de celle-ci le 1er juin 2022.