15 July 2021
Le 18 juin 2021, le Conseil d’Etat a rendu deux arrêts relatifs aux premières sanctions prononcées par le Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (« CoRDiS ») de la Commission de régulation de l’énergie (« CRE ») (Conseil d’Etat 18 juin 2021, Lislet 2, n°422616 ; Conseil d’Etat 18 juin 2021, Société Vitol, n°425988).
Ces arrêts, très attendus, interviennent dans un contexte d’intensification du pouvoir de surveillance et d’enquête de la CRE.
La haute juridiction administrative, à cette occasion, a vérifié le respect du principe de légalité des délits et des peines et des droits de la défense par le CoRDiS mais semble en faire une appréciation souple.
1. Rappel du pouvoir de sanction du CoRDiS
Le CoRDiS, pour mémoire, dispose d’un pouvoir de sanction (i) pour tout manquement aux principes régissant le secteur de l’énergie et aux règles définies par le règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (« Règlement REMIT ») ainsi (ii) qu’en cas de non-respect d’une décision de règlement des différends (articles L. 134-25 et suivants du code de l’énergie).
A ce titre, le CoRDiS peut prononcer (i) une interdiction temporaire, pour une durée n'excédant pas un an, de l’accès aux réseaux, ouvrages de transport et distribution et installations de transport et de stockage d’énergie, et en cas de manquements au Règlement REMIT, de l'exercice de tout ou partie des activités professionnelles en cause, ou (ii) une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés.
C’est sur ces fondements que le CoRDiS a adopté les deux décisions contestées devant le Conseil d’Etat.
L’une, rendue le 11 juin 2018, a sanctionné la société Enedis à hauteur de 3 millions d’euros pour ne pas s’être pleinement conformée à une première décision du CoRDiS dans le cadre d’un contentieux l’opposant à un producteur, la société Parc éolien Lislet 2, concernant l’exécution de son contrat d’accès au réseau public de distribution d’électricité.
L’autre, rendue le 5 octobre 2018, a sanctionné au titre du Règlement REMIT la société Vitol, qui se voit infliger une sanction de 5 millions d’euros pour manipulation de marché (article 5 du Règlement REMIT).
Le Conseil d’Etat saisi de recours de pleine juridiction contre ces deux décisions, après avoir précisé les conditions d’application du principe de légalité des délits et des peines et des droits de la défense, modifie le quantum de la sanction prononcée à l’encontre d’Enedis mais confirme celle infligée à la société Vitol dans deux arrêts du 18 juin 2021.
2. Encadrement du pouvoir de sanction du CoRDiS au regard du principe de légalité des délits et des peines et des droits de la défense
Les autorités administratives indépendantes, selon une jurisprudence du Conseil constitutionnel désormais bien établie, doivent exercer leur pouvoir de sanction en respectant les droits et libertés constitutionnellement garantis, tels que « le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ; que doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 » (Conseil Constitutionnel, Décision n°2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Sociétés Numéricâble SAS et NC Numéricâble ; voir également Conseil Constitutionnel, Décision n°88-248 du 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).
Le CoRDiS ne peut ainsi user de son pouvoir de sanction qu’en respectant les principes à valeur constitutionnelle susvisés.
Le Conseil d’Etat, dans les arrêts Lislet 2 et Vitol, le rappelle expressément en réaffirmant son rôle dans le contrôle du principe de légalité des délits et des peines (2.1) mais limitant temporellement l’application des droits de la défense (2.2.).
2.1. Contrôle du respect du principe de légalité des délits et des peines
Fondamental, le principe de légalité des délits et des peines impose que les sanctions prononcées soient prévues et énumérées par un texte antérieur à la commission de l'infraction. Garantie par les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette exigence s'applique également aux sanctions administratives, comme le Conseil d'État l’a d’ailleurs déjà rappelé (voir notamment : Conseil d'État, Assemblée, 3 décembre 1999, n° 207434 ; Conseil d'État, 12 octobre 2009, n° 311641).
Le Conseil d'État, dans l’arrêt Lislet 2, confirme son contrôle de l'application de ce principe dès lors qu’il a examiné le moyen de la société Enedis tiré de l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines mais écarté, en l'espèce, la méconnaissance de ce principe.
Ce contrôle consiste, selon le rapporteur public, en un examen « concret » des motifs de la décision attaquée.
En particulier, la décision de sanction prévoyait qu’elle devait être publiée au Journal Officiel et sur le site internet de la CRE. Enedis, suivie par le rapporteur public, soutenait alors que la publication de la décision sur le site de la CRE méconnaît le principe de légalité des délits et des peines dès lors qu’elle n’est pas prévue par l’article L. 134-34 du code de l’énergie. Le rapporteur public, dans ses conclusions, ajoute que la publication de la décision du Conseil d’Etat doit être publiée « dans les mêmes conditions que la décision attaquée, c’est-à-dire, aussi bien au JORF que sur le site internet de la CRE » pour respecter « une publicité équivalente ».
Toutefois, la haute juridiction administrative n'a pas suivi ce raisonnement d’application stricte du principe de légalité des délits et des peines. Le Conseil d’Etat a écarté sa méconnaissance dans la mesure où le CoRDiS avait, en application de l'article L. 134-34 du code de l'énergie, « ordonné la publication de la décision attaquée au Journal officiel », peu important qu’il ait ordonné également sa publication sur le site internet de la CRE.
2.2. Limitation temporelle de l’application des droits de la défense
Aux termes de l’arrêt Vitol, le Conseil d'État transpose à la sanction prononcée par le CoRDiS la solution qu'il avait déjà retenue dans une précédente décision concernant une sanction de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (Conseil d'État, 15 mai 2013, Société Alternative Leaders France, n° 356054).
Sans aucune adaptation à la procédure de sanction particulière au CoRDiS, la haute juridiction administrative rappelle que le principe des droits de la défense « s'applique seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs prévue par l'article R. 134-32 du code de l'énergie et par la transmission du dossier au président du Comité de règlement des différends et des sanctions. Il ne s'applique ni à la phase préalable des enquêtes réalisées par les agents de la Commission de régulation de l'énergie en application de l'article L. 135-3 du code de l'énergie, ni à la procédure menée par le membre du Comité désigné en application de l'article R. 134-30 du même code aux fins d'apprécier l'opportunité de notifier des griefs, lesquelles doivent seulement se dérouler dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés ».
Avant la notification des griefs, le Conseil d'État a considéré au cas présent qu’il n’y a pas d’atteinte irrémédiable aux droits de la défense, quand bien même la personne mise en cause n’a pas été :
De la même façon, ne constitue pas une atteinte irrémédiable aux droits de la défense le fait pour le membre désigné du CoRDiS de ne pas avoir eu l’ensemble des documents composant le dossier dès lors que, l’article R. 134-29 du code de l’énergie n’impose pas au président de la CRE de transmettre au CoRDiS l'ensemble des données recueillies au cours de la phase préalable d'enquête, mais uniquement celles qui justifient selon lui la saisine du CoRDiS. Le membre désigné peut, s'il l'estime nécessaire, solliciter la communication de pièces complémentaires susceptibles de contribuer à son information.
Après la notification des griefs, les droits de la défense ne sont pas plus méconnus dès lors que la société requérante a eu accès aux pièces transmises au CoRDiS et était donc en mesure d'organiser sa défense en temps suffisant.
Enfin, le Conseil d’Etat a réfuté l'argument de la requérante mettant en cause l'impartialité du CoRDiS du fait que son président est le vice-président du Conseil d'État. A cet égard, le Conseil d’Etat a rappelé le principe selon lequel aucun membre d'une juridiction administrative ne peut participer au jugement du recours portant sur une décision à l'élaboration de laquelle il a pris part mais a considéré que, la procédure de saisine du CoRDiS incombant au président de la CRE, la séparation entre autorité de poursuite et autorité de sanction est assurée, peu important que le président de l’autorité de sanction soit le vice-président de la juridiction.
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Face aux premières sanctions rendues par le CoRDiS, les arrêts Lislet 2 et Vitol viennent encadrer, a minima, l'exercice de son pouvoir de sanction. Pourtant, l’enjeu financier des sanctions pécuniaires retenues dans ce type de procédure à l’encontre des sociétés poursuivies justifie une application d'autant plus stricte du principe de légalité des délits et des peines et des droits de la défense.
Le recours introduit devant le Conseil d’Etat contre la condamnation par le CoRDiS de la société BP Gas Marketing Limited au paiement d'une amende d’1 million d'euros sur le fondement du règlement REMIT permettra, le cas échéant, de préciser l’étendue du pouvoir de sanction du CoRDiS.