1 August 2017
Gide Paris | Newsletter | Droit Social | Août 2017
Nul n'ignore qu'en droit du travail français, la sanction pénale est omniprésente en ce qu'elle accompagne toute règle d'ordre public ou presque, censée par cette défense majeure gagner en effectivité. Avec le temps cependant, une certaine usure du "réflexe répressif" a pu être relevé. En particulier, les inspecteurs du travail, premiers artisans de la rédaction des procès-verbaux adressés aux parquets, semblent désormais vouloir user davantage de la possibilité qu'ils tiennent de la loi internationale (convention OIT n° 81 relayée par le droit interne) de prendre leur distance par rapport à la voie pénale traditionnelle et d'opter, au moins dans un premier temps, pour une réponse non judiciaire aux manquements qu'ils constatent dans les entreprises soumises à leur contrôle. A cela sans doute plusieurs causes, mais il en est une qui découle de la complexification même du droit pénal général lorsqu'il traite de la responsabilité des personnes morales.
Il faut en effet se rappeler qu'en dépit de sa manière parfois "anthropomorphique" de considérer les personnes morales comme de véritables responsables pénaux à l'image des personnes physiques, le législateur de 1992 a néanmoins introduit dans le nouveau Code pénal des règles qui consacrent sans équivoque une responsabilité de type indirect, ou "par emprunt" nécessitant la vérification par le juge de ce que l'infraction qu'on entend imputer à la personne morale a bien été commise, dans tous ses éléments constitutifs, par un organe ou un représentant de celle-ci (C. pénal art. 121-2). Une tâche supplémentaire est ainsi dévolue à l'autorité judiciaire qui entend obtenir la condamnation de la personne morale. Elle doit clairement identifier, sur la base des éléments fournis par l'enquête, quelle est la personne physique isolée ou le collectif (conseil d'administration) qui apparait concrètement comme l'auteur direct de l'infraction et qui, par ailleurs avait qualité d'organe ou de représentant de la personne morale mise en cause au moment des faits. Un tout récent arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 juin 2017 (n° 15-87214) confirme le caractère incontournable de cette exigence précisément à l'occasion d'infractions relevant du droit du travail. Il reproche aux juges du fond de ne pas avoir effectué cette vérification préalable dans des termes qui sont les suivants : "Dès lors qu'il n'est pas démontré que les agissements de travail dissimulé, d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail et d'aide à l'entrée et au séjour d'étrangers en France résultent de l'action de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, cette dernière ne peut être déclarée responsable pénalement des infractions commises".
L'orientation de la jurisprudence criminelle est donc désormais très claire sur cette question. La responsabilité pénale d'une personne morale n'est pas engagée de la même façon que celle d'une personne physique, l'approche est plus complexe quelle que soit l'infraction en cause. Mais, au stade initial du constat, il s'ensuit pour l'agent de contrôle une incertitude supplémentaire (distincte du risque de classement sans suite de son procès-verbal par le Parquet). Car, quel que soit le soin qu'il aura mis à décrire les faits, il ne sera jamais assuré que le processus répressif qu'il met en mouvement ne sera pas grippé ultérieurement par la "mécanique" pénale issue de l'article 121-2 du Code pénal. C'est en effet exclusivement à l'autorité judiciaire, et non à l'administration, de satisfaire à cette exigence de repérage des rôles joués par les personnes en charge de la gouvernance de l'entité juridique "employeur". Et l'arrêt précité montre qu'elle n'y parvient pas nécessairement. Or bien plus que d'autres branches du droit pénal, le droit pénal du travail a ouvert toutes grandes, aux personnes morales, les portes du prétoire pénal, ce qui aggrave l'aléa évoqué. Depuis la recodification du Code du travail en 2008, le législateur a en effet pris le parti de généraliser l'utilisation du vocable "employeur" pour désigner la qualité à partir de laquelle on doit identifier le responsable pénal dans ce secteur. Le "chef d'entreprise", premier d'entre les dirigeants personnes physiques, n'est plus cité par les dispositions répressives du Code du travail.
Ce choix n'est pas purement formel. Il oriente mécaniquement les poursuites vers l'entité juridique autonome (société ou autre) qui assume patrimonialement les obligations de "l'employeur" et fait qu'en droit pénal du travail, bien plus qu'ailleurs, les personnes morales sont en première ligne, comme l'illustre d'ailleurs très clairement l'arrêt précité.
La complexité dans le jeu des règles pénales dont l'article 121-2 est porteur, contraste avec la simplicité qui préside à la mise en œuvre d'une autre forme de répression, certes rattachable elle aussi à la "matière pénale" et soumise comme telle à ses principes, mais qui "stylise" considérablement la détermination du responsable du "manquement". Dans les procédures de sanction administrative qui se mettent en place en droit du travail (notamment par l'effet de l'ordonnance du 7 avril 2016), l'agent de contrôle qui est à l'origine de la poursuite, puis le Direccte qui prend à proprement parler la décision, n'ont pas à pratiquer, dans le champ infractionnel autorisé, une différence de traitement selon la nature juridique de la personne poursuivie. Une fois constaté dans sa matérialité, le "manquement" déclenche à tout coup et de façon immédiate la répression administrative à l'encontre de la personne morale employeur, essentiellement parce que c'est elle qui est débitrice de l'obligation dont l'injonction a été méconnue et aucunement en raison de la qualité d'un auteur direct. On peut gager qu'une telle alternative, qui fait l'économie d'un procès pénal au cérémonial parfois décalé, l'emportera en pratique, si elle se développe, sur une voie judiciaire devenue très (trop ?) sophistiquée et partant, imprévisible dans ses effets pour ceux qui sont chargés d'orienter la répression dans le secteur du droit social.
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