Le tant attendu rapport annuel 2023 du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a été publié le 4 juin dernier par la Direction Générale du Trésor, offrant une rétrospective intéressante de l’année écoulée.
Les enseignements sont multiples : ralentissements des opérations d’investissements, renforcement du contrôle, augmentation des autorisations, diminution des conditions assortissant les autorisations… l’année 2023 a été pour les IEF à l’image du climat politique et économique mondial : contrastée.
Ainsi, dans un contexte géopolitique, énergétique et économique instable, le nombre d’opérations ayant fait l’objet d’un dépôt du fait de leur sensibilité pour les intérêts stratégiques nationaux a reculé : 309 dossiers[1] ont été déposés en 2023, contre 325 en 2022. Le recul reste léger mais tout de même plus marqué que l’année précédente (328 dossiers déposés en 2021).
Le recul est en revanche très net concernant les demandes d’examen préalable : 27 dossiers en 2023 contre 42 en 2022. Ce mécanisme, qui permet à un investisseur ou à une cible de confirmer, habituellement en amont d’une opération, si les activités de la cible entrent dans le champ du contrôle IEF, pâtît depuis longtemps de son manque de lisibilité, de son apport limité et des délais importants qu’il implique (deux mois pour obtenir une réponse, auxquels devront s’ajouter, le cas échéant, les délais d’une demande d’autorisation si le Ministère juge les activités sensibles). Le recours à ce mécanisme reste donc cantonné aux cas – rares en pratique – dans lesquels la cible souhaitera éliminer tout risque, aussi faible soit-il (70% des demandes d’examen préalable conclues à l’inéligibilité des activités, 81% en 2022) et suffisamment en amont d’une opération pour ne pas en impacter son calendrier.
S’agissant des demandes d’autorisation, sur 255 déposées en 2023, 135 ont été autorisées, soit environ 53% des demandes. Cela constitue une augmentation notable par rapport à 2022, où seulement 49% des demandes avaient été autorisées. Notons toutefois que la majorité des cas « non autorisés » n’est pas synonyme de rejet par le Ministère : ces dossiers font en général l’objet d’une décision d’inéligibilité au contrôle (l’opération et/ou les activités sont hors du champ du contrôle IEF) ou sont retirés par l’investisseur.
Enfin, « seulement » 60 autorisations ont été assorties de conditions, soit 44% des autorisations délivrées l’année dernière. Si la Direction Générale du Trésor justifie cela par une attention particulière portée à la « proportionnalité des décisions rendues », il est difficile de ne pas y voir également la pression des autres Etats Membres de l’UE, pour qui la France était devenue la championne des conditions imposées aux investisseurs (y compris européens). Par comparaison, les autres Etats Membres ayant mis en place un dispositif de filtrage n’ont, pour la plupart, pas recours à ces conditions ou bien uniquement dans des cas exceptionnels, où leurs intérêts les plus stratégiques sont directement touchés.
Comme en 2022, la part des investisseurs non-européens reste largement dominante en 2023 (67,3% des investisseurs, en tête desquels se trouvent les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada) tandis que la part des investisseurs européens (UE / EEE, en particulier Allemagne, Luxembourg et Pays-Bas) diminue, passant de 34,2% en 2022 à 32,7% en 2023.
De même, si les investisseurs restent majoritairement financiers (43%), leur proportion, comme celle des investisseurs industriels, diminue, au profit…des investisseurs physiques (près de 25% des investisseurs en 2023 contre 13,6% en 2022).
Enfin, la tendance initiée il y a quelques années semble se poursuivre sur le plan sectoriel : la part des investissements portant sur les infrastructures stratégiques (énergie, eau, santé, etc.) et les nouvelles technologies (IA, biotechnologie, cybersécurité, semi-conducteurs, etc.) continue de croitre (63,7% des dossiers déposés en 2023), au détriment des secteurs traditionnels (défense, sécurité, biens à double usage, etc.).
L’énoncé de ces statistiques est l’occasion de rappeler les grandes lignes de la réforme de la réglementation IEF, entrée en vigueur le 1er janvier 2024.
Outre quelques modifications procédurales, cette réforme introduit quatre changements majeurs.
Introduit de manière temporaire pendant la pandémie de Covid-19 puis renouvelé chaque année depuis, l’abaissement du seuil de déclenchement du contrôle de 25% à 10% des droits de vote d’une société cotée sur un marché réglementé a été rendu permanent, le « bilan des trois années de mise en œuvre » l’ayant encouragé.
La procédure allégée et accélérée qui était prévue pour ces opérations demeure inchangée :
En revanche, alors qu’un investisseur autorisé à franchir le seuil de 10% était également réputé autorisé à franchir le seuil de 25% des droits de vote, cette exemption disparait : l’investisseur non-européen autorisé à franchir le seuil de 10% des droits de vote d’une société cotée devra obtenir une nouvelle autorisation, cette fois-ci par la voie de la demande complète d’autorisation, s’il entend franchir le seuil de 25% des droits de vote de ladite société cotée.
Afin de « prévenir les risques de contournement de la réglementation », le contrôle IEF a été étendu aux cas de changement de contrôle non seulement d'une entité française, mais également d'une succursale française d'une société étrangère[2].
Cela couvrira dès lors le cas du changement de contrôle d’une société étrangère qui entrainerait, mécaniquement, un "changement de contrôle" de son établissement français, pour tant que ce dernier exerce sur le territoire national une activité sensible.
Il conviendra, par conséquent, aux investisseurs d’être particulièrement vigilants dans leurs opérations hors France, celles-ci pouvant désormais être captées par la réglementation IEF même si la présence en France n’implique pas de société en tant que telle.
Le périmètre des activités sensibles a été une nouvelle fois élargi, par l’ajout de quatre catégories d’activités :
Les cas d'exemptions d'autorisation ont été largement simplifiés pour ne couvrir qu'un seul et unique cas général: "L'investisseur est dispensé de la demande d'autorisation prévue au présent chapitre lorsque l'investisseur en dernier ressort dans la chaîne de contrôle, au sens du II de l'article R.151-1, avait, antérieurement à l'investissement, déjà acquis le contrôle, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, de l'entité objet de l'investissement."
Même si la lecture reste quelque peu floue, l’objectif affiché est bien celui d’une simplification : en supprimant la référence à la présence d'un même actionnaire à plus de 50% du capital pour ne conserver que la notion – plus large – de contrôle, cette modification vise à élargir le champ des opérations intra-groupes exemptées d’autorisation préalable.
En revanche, les autres cas d'exemption ou de présomption d’exemption ont été supprimés.
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Au final, si l’année 2023 aura été marquée par ses contrastes, le contrôle IEF a montré sa résilience et la France reste, pour la cinquième année consécutive, le pays d’Europe le plus attractif pour les investissements étrangers.
La publication de lignes directrices mises à jour devraient également permettre de poursuivre le travail, notable, de lisibilité et de prévisibilité du dispositif français de filtrage qui participe, sans aucun doute, à cette attractivité.
L’introduction de la dernière réforme et la reprise attendue des opérations M&A devraient significativement accroitre l’activité des IEF en 2024, de même que l’adoption potentielle du nouveau règlement européen sur le filtrage dont les objectifs – ambitieux – sont de poursuivre la mise en place d’un régime de filtrage dans tous les Etats Membres (à ce jour, 22 Etats ont adopté un régime, et les 5 derniers Etats ont initié un processus législatif), d’harmoniser le contrôle au niveau européen et d’améliorer la coordination entre les autorités compétentes.
En attendant les données statistiques du Ministère pour 2024, l’effet de ces différents chantiers est déjà bien présent sur nos activités de conseil dans ce domaine.
[1] Cela comprend les demandes d’autorisations (255 en 2023), les demandes d’examen préalable (27 en 2023) et les notifications de franchissement du seuil de 10% des droits de vote d’une société cotée (27 également) (cf. infra).
[2] Il s’agit des établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés en France