Le 28 juin 2023, la Commission européenne a publié trois propositions de règlement sur le thème de la monnaie unique :
Ces propositions ont été publiées alors même qu’il y a un certain scepticisme dans le public, notamment parce que le client peut déjà penser « utiliser une forme d’euro numérique quand il paye avec sa carte bancaire, son téléphone portable (F. Collomp et D. Guinot, L’euro numérique avance, le scepticisme persiste, Figaro, 17 octobre 2023). On comprend toutefois que les propositions sont en quelque sorte une réponse à des menaces venues du monde tech et que l’euro numérique est « l’occasion pour l’Europe de préserver sa souveraineté monétaire » (Collomp et Guinot, art. préc).
L’euro numérique n’est pas une nouvelle monnaie mais une nouvelle forme de la monnaie unique. L’article 3 de la Proposition 369 en témoigne : « L’euro numérique est établi en tant que forme numérique de la monnaie unique ». Cette approche n’est pas sans conséquence : elle commande naturellement son monopole d’émission par la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales (art. 4, § 2, Proposition 369).
Le concept de cours légal a été forgé pour les pièces (monnaie métallique) et pour les billets de banque (monnaie fiduciaire). Il ne s'applique pas à la monnaie scripturale car celle-ci est analysée comme une créance vis-à-vis établissements de crédit alors que les monnaies métalliques et fiduciaires sont des créances vis-à-vis de la banque centrale.
Pendant longtemps, il n'y avait pas de définition légale de ce concept. Aucune définition n'était donnée par le droit de l'Union européenne. Il y avait seulement une recommandation de la Commission (Recommandation de la Commission du 22 mars 2010 concernant l'étendue et les effets du cours légal des billets de banque et pièces en euros) soulignant que le cours légal des billets de banque et pièces en euros devait impliquer l'acceptation obligatoire, l'acceptation à la valeur nominale et le pouvoir libératoire. C'est seulement un arrêt de la CJUE du 26 janvier 2021 (CJUE, grde ch., 26 janvier 2021, affaires jointes C-422/19 et C-423/19, Hessischer Rundfunk) qui en a donné une définition pour les billets et les pièces en euros. Elle a été reprise par les propositions 364 et 369 de règlement du 28 juin 2023.
Selon l'article 4 de la proposition 364, le cours légal des espèces - billets et pièces - s’entend des trois règles suivantes : leur acceptation obligatoire, à leur valeur nominale et avec pouvoir libératoire. Ces termes sont explicités par l'article 4. En particulier, il est indiqué que le bénéficiaire ne refuse pas les billets et/ou pièces en euros présentés en paiement pour satisfaire à une obligation de paiement.
A ce texte fait écho l'article 7 de la proposition 369 qui décide que « L’euro numérique a cours légal ». L’article explicite les attributs du cours légal de l’euro numérique de manière similaire à l’article 4 de la Proposition 364 : le cours légal de l’euro numérique implique son acceptation obligatoire, à sa valeur nominale, comme moyen de paiement avec pouvoir libératoire.
L’euro numérique sera convertible à parité avec les billets et pièces en euros (art. 15, § 1, Proposition 364 ; art. 12, § 1, Proposition 369). Il sera de même convertible à parité avec la monnaie scripturale et la monnaie électronique libellées en euros (art. 13, § 5, Proposition 369). Les formes physique ou numérique de la monnaie unique sont d’égale importance (considérant n°6, Proposition 369). Mais l’acceptation des paiements en euros numériques est indépendante de celle des paiements en espèces, chacune obéissant à son propre règlement (art. 12, § 2, Proposition 369).
Cette approche conduit à s'interroger. En particulier, le concept est-il lié uniquement à l'émetteur de la monnaie (C. Kleiner, Monnaie et paiement : du mérite de l'innovation technologique au grand chambardement légistique, in Chronique de droit bancaire international 2023, Rev. Dr. Bancaire et financier septembre-octobre 2023, 3, spéc. n° 21) ? On peut le penser puisqu'il vaut aussi bien pour les pièces et les billets de banque que pour l'Euro numérique. Par ailleurs, le concept de cours légal est-il adapté à la monnaie numérique ? Autrement dit, est-il si protéiforme qu'il peut s'adapter à tout support monétaire (ibid) ?
Les clients pourront être titulaires de comptes de paiement en euros numériques et de comptes de paiement en « euros non numériques ». Ces deux types de comptes coexisteront sans d’ailleurs que l’ouverture d’un compte en euros numériques soit subordonnée à l’ouverture d’un compte en euros non numériques (Art. 22, § 2, Proposition 369). Étant précisé que les comptes en euros numériques peuvent être rattachés à des comptes en euros non numériques (art. 22, § 4, Proposition 369).
La Proposition 369 a pour souci que l’euro numérique soit accessible à tous. L’article 22, paragraphe 1, de la proposition en atteste en décidant notamment que l'euro numérique doit être facile d'emploi.
L’euro numérique sera distribué par les Prestataires de services de paiement constitués dans les Etats membres dont la monnaie est l'euro (art. 13 et s., proposition 369) et par ceux constitués dans un État membre dont la monnaie n’est pas l’euro (Proposition 368). L’objectif est que tous les PSP de l’UE puissent avoir le droit de distribuer des services de paiement en euros numériques dans la zone euro.
Rien n’est encore arrêté. Il a été décidé, en octobre 2023, de lancer la « phase préparatoire » du projet d’euro numérique. Mais ce lancement « ne constitue pas une décision sur l’émission ou non d’un euro numérique » (BCE, L’Eurosystème ouvre la prochaine étape du projet d’euro numérique, Communiqué de presse, 18 oct. 2023).