10 février 2023
Le 16 janvier 2023, le parquet national financier (PNF) a publié de nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre des Conventions Judiciaires d'Intérêt Public (CJIP) qui modifient et complètent celles rédigées conjointement avec l'Agence Française Anti-Corruption (AFA) en 2019.[1]
Depuis 2016, les entreprises mises en cause des chefs de corruption, trafic d'influence, plus récemment de fraude fiscale et d'atteinte à l'environnement ainsi que de blanchiment de ces délits peuvent conclure une CJIP avec le parquet pour mettre fin aux poursuites pénales. Cet accord intervient en contrepartie du versement d'une amende d'intérêt public, du déploiement d'un programme de conformité sous le contrôle de l'AFA et de l'indemnisation des victimes.
La CJIP, qui n'a pas les effets d'une condamnation pénale, est proposée par le parquet à tout moment au cours de l'enquête ou de l'instruction s'il existe des éléments de preuve suffisants susceptibles de caractériser les infractions visées. A l'issue de sa conclusion, elle est validée par le président du tribunal judiciaire lors d'une audience publique puis publiée sur les sites internet du PNF et de l'AFA.
La majorité des CJIP intervenues dans des affaires de corruption internationale, de fraude fiscale aggravée et de blanchiment de fraude fiscale aggravée ont été conclues par le PNF, qui a compétence nationale dans ces domaines. En cette qualité, le PNF vient de publier de nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP.
Ces nouvelles lignes directrices ont pour objectif d'améliorer la prévisibilité et la sécurité juridique, en incluant les CJIP portant sur la fraude fiscale et en précisant notamment les modalités de négociation des CJIP, de confidentialité des échanges et de calcul de l'amende d'intérêt public.
Si en théorie, seul le parquet peut proposer une CJIP, le PNF incite les entreprises à manifester leur souhait de bénéficier de ce mécanisme transactionel au cours de l'enquête ou de l'instruction, dans le cadre de discussions préalables couvertes par la foi du palais.
La révélation spontanée des faits n'est pas une condition préalable pour pouvoir bénéficier d'une CJIP, mais elle constitue, pour le PNF, un gage de bonne foi et un facteur minorant le montant de l'amende.
Le PNF apprécie la possibilité de conclure une CJIP à l'aune de la coopération de l'entreprise. Selon lui, la bonne foi se caractérise par sa "participation active à la manifestation de la vérité au moyen d'une enquête interne sur les faits, sur les personnes impliquées et le cas échéant sur les dysfonctionnements du système de conformité".
En outre, pour apprécier la bonne foi de l'entreprise, le PNF tient compte de mesures telles que l'adoption rapide de mesures correctives destinées à renforcer le programme de conformité, l'adaptation de la stratégie du groupe aux risques identifiées et l'indemnisation préalable des victimes.
En matière de fraude fiscale, la conclusion de la CJIP est conditionnées par le recouvrement des sommes dues au Trésor public.
Le PNF considère que l'absence de déploiement d'un programme anti-corruption conforme aux dispositions de l'article 17 de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 et l'absence de mesures correctives pour le renforcer constituent une situation défvorable à la conclusion d'une CJIP.
De même, une contestations systématique des faits par l'entreprise est susceptible de conduire le PNF à renoncer au recours à la CJIP.
Le PNF indique que les discussions préalables à la formalisation de la CJIP ont lieu sous la foi du palais, et ont vocation à rester confidentielles. Néanmoins, les éléments de preuve obtenus dans le cadre de l'enquête resteront utilisables dans la procédure.
En outre, le PNF précise que "les pièces remises pendant la négociation [...] ne sont, sauf accord de la personne morale, pas versées dans la procédure".
La loi dispose que le montant de l'amende d'intérêt public est plafonné à hauteur de 30% du chiffre d'affaires moyen réalisé par l'entreprise au cours des trois dernières années. Les nouvelles lignes directrices précisent que ce plafond est calculé sur le fondement du chiffre d'affaires consolidé si l'entreprise appartient à un groupe.
L'amende d'intérêt public est calculée en fonction des avntages - directs et indirects - "tirés des manquements" de l'entreprise, auxquels sont appliqués des facteurs majorants (tels que l'obstruction à l'enquête, le caractère répété des faits, la dissimulation, l'implication d'un agent public...) et minorants (tels que la coopération active, la pertinence des investigations internes, l'efficacité du système d'alerte interne, les mesures correctives, l'indemnisation préalable des victimes, ...).
Les nouvelles lignes directrices fournissent des indications sur la manière dont sont pris en compte ces facteurs pour le calcul du montant de l'amende. Par exemple, le caractère répété des actes peut majorer l'amende à hauteur de 30% au maximum, et la qualité des mesures correctives peut la minorer à hauteur de 20% au maximum.
Le PNF prévoit la possibilité de réduire exceptionnellement le montant de l'amende pour tenir compte des difficultés financières rencontrées par l'entreprise, en justifiant d'une "documentation probtoire". En outre, le paiement de l'amende peut également être échelonné sur une période maximale d'un an.
La CJIP peut imposer l'obligation de se soumettre à un programme de conformité sous le contrôle de l'AFA. Cette obligation est appréciée eu égard aux procédures de conformité préexistantes et des contrôles anti-corruption réalisés antérieurement à la CJIP par l'AFA mais aussi par toute autorité étrangère (notamment par le US Department Of Justice ou le Serious Fraud Office) ou institution financière internationale (notamment par la banque mondiale) imposant des obligations similaires aux obligations françaises.
Le programme de conformité peut dorénavant être réduit à deux ans, si les circonstances le permettent.
Les nouvelles lignes directrices indiquent qu'"à titre très exceptionnel", si tous les faits de corruption n'ont pas pu être "précisément circonscrits au moment de la convention, il peut être prévu que la convention porte effet sur des faits de même nature commis sur un territoire et une période donnée découverts ultérieurement, sous réserve qu'ils n'aient pas été dissimulés sciemment".
Cette possibilité est soumise à trois conditions : une coopération exemplaire supposant la remise du rapport d'enquête interne, une majoration du montant de l'amende d'intérêt public et l'information du PNF par l'entreprise de tout fait découvert ultérieurement à la CJIP.
La conclusion d'une CJIP avec l'entreprise, dont le champ d'application n'est pas étendu aux personnes physiques impliquées dans les faits visés, ne met pas fin aux poursuites à leur encontre.
Le PNF se réserve la possibilté de poursuivre les personnes physiques une fois la CJIP validée, en les renvoyant devant le tribunal correctionnel ou par une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
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Les nouvelles lignes directrices sur la mise en oeuvre de la CJIP ont le mérite d'apporter des précisions sur la pratique du PNF, notamment en matière de calcul du montant de l'amende d'intérêt public. Le PNF se réserve toutefois la faculté d'apprécier in concreto la qualité de la coopération de l'entreprise, de sa situation financière, de la nature des mesures correctives, etc. Des garanties sur les bénéfices de l'auto-dénonciation, la confidentialité, l'accès au dossier judiciaire et le sort des personnes physiques pourraient rendre le dispositif de CJIP plus attractif.
[1] Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d'intérêt public, 26 juin 2019, disponibles sur le site Internet de l'AFA: Lignes directrices PNF CJIP.pdf (agence-francaise-anticorruption.gouv.fr)