11 mai 2021
Energies Renouvelables - Droit Fiscal | Maroc
Dans le cadre de la stratégie visant à accroître les capacités de production d’énergies renouvelables disponibles au Maroc et porter leur part dans le total de la capacité installée au Maroc à 52% d'ici 2030, le Gouvernement a pris récemment un ensemble de mesures pour accompagner leur développement au Maroc, notamment :
A ces mesures s'ajoutent la récente approbation par le Conseil du Gouvernement du projet de loi n°40-19, modifiant et complétant la loi n°13-09 relative aux énergies renouvelables et l'élaboration d'un projet de loi établissant un cadre juridique dédié au régime de l’autoproduction d'énergie.
En dépit de ces actions, les mesures d’incitations fiscales destinées à encourager le développement des projets portant sur la protection de l’environnement et le développement durable demeurent limitées alors que l'article 28 de la loi-cadre n°99-12 en date du 6 mars 2014 portant Charte nationale de l’environnement et du développement durable prévoit l'introduction de mesures de soutien et l'élaboration d'une véritable fiscalité environnementale.
Parmi les mesures sollicitées par les organisations professionnelles du secteur figure l'exonération de la TVA sur les panneaux photovoltaïques et les chauffe-eaux solaires, destinée à répondre à l'engouement des consommateurs pour les installations "vertes" et leur permettre de bénéficier d'une baisse des coûts.
La loi de finances n° 65-20 pour l'année 2021 (la "LF 2021"), promulguée par le Dahir n° 1-20-90 du 1er joumada I 1442 (16 décembre 2020), a introduit cette exonération mais celle-ci pourrait finalement avoir des conséquences néfastes pour les opérateurs du secteur sans quelques ajustements nécessitant une nouvelle intervention du législateur.
Suite à une demande de clarification des opérateurs du secteur face aux incertitudes soulevées par cette réforme, la Direction Générale des Impôts ("DGI") a récemment précisé sa position sur l'application de cette mesure.
Le détail et l'impact de cette mesure vous est présenté ci-dessous.
PANNEAUX PHOTOVOLTAIQUES ET CHAUFFE-EAUX SOLAIRES : UNE REFORME INCOMPLETE AUX CONSEQUENCES DOMMAGEABLES
La LF 2021 a instauré une exonération de TVA sans droit à déduction lors de la vente de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eaux solaires. Cette mesure, très attendue par le secteur, pourrait s'avérer être fortement contre-productive.
Il convient en effet de distinguer la situation des deux types de produits et de leurs régimes fiscaux respectifs avant et après l'entrée en vigueur de la LF 2021.
Chauffe-eaux solaires
Avant l'entrée en vigueur de la LF 2021, les chauffe-eaux solaires étaient assujettis à un régime de TVA au taux réduit de 10% pour la TVA locale tandis que les chauffe-eaux importés bénéficiaient du même taux réduit[1], en application d'une disposition du Code Général des Impôts ("CGI") qui renvoyait au régime de la TVA locale[2]. Ainsi, la TVA était neutre pour le distributeur Marocain puisque celui-ci importait les chauffe-eaux solaires en s'acquittant d'une TVA à l'importation récupérable au taux de 10%, et revendait ces derniers à ce même taux.
Depuis le 1er janvier 2021, le paragraphe de l'article 99-2° du CGI prévoyant l'application du taux réduit de TVA locale de 10% a été abrogé sans que l'article 121 du CGI - renvoyant à l'application du taux réduit de 10% pour les chauffe eaux solaires importés - ne soit quant à lui modifié, conduisant ainsi à priver les chauffe eaux importés du taux de TVA réduit. L'ajout de l'article 91-I-C-8° du CGI exonérant de TVA locale sans droit à déduction a ainsi créé une distorsion en matière de TVA locale et à l'importation pour le même produit.
Désormais, si ce même distributeur de chauffe-eaux solaires pourra écouler ses produits (activité de négoce / vente en l'état) sur le marché marocain auprès de ses clients en exonération de TVA, celui-ci devra s'acquitter de la TVA à l'importation au taux de 20% constituant un coût définitif du fait que l'exonération est consentie sans droit à déduction.
Panneaux photovoltaïques
En ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, le CGI étant muet avant l'entrée en vigueur de la LF 2021[3], ils étaient soumis au droit commun. Ainsi, s'agissant d'une opération commerciale assujettie à la TVA, le taux de 20% avec droit à déduction était applicable aussi bien à l'importation que localement. Il en découlait une neutralité totale de la TVA pour les opérateurs du secteur.
La LF 2021 a introduit l'article 91-I-C-7° du CGI, instaurant une exonération sans droit à déduction de TVA en local des ventes de panneaux photovoltaïques. Aucune modification de la section relative à la TVA à l'importation n'a été apportée de sorte qu'à compter du 1er janvier 2021, l'importateur de ces produits sera tenu de s'acquitter d'une TVA non récupérable à l'importation au taux de 20% et de vendre ces produits (en l'état) en exonération de TVA.
Les motifs de l'introduction de cette exonération de TVA dans la section "sans droit à déduction" ne sont pas connus. Rappelons que lorsque la vente d'un produit est exonérée sans droit à déduction, la TVA applicable aux coûts engagés pour cette activité, par exemple lors de l'importation des produits dans le cadre d'une activité de négoce ou de distribution, ne peut être déduite et constitue un coût définitif pour le contribuable.
Conséquences directes pour les opérateurs du secteur
La production locale de panneaux photovoltaïques et de chauffe-eaux solaires est quasiment inexistante. Ainsi, les produits écoulés sur le marché sont presque exclusivement importés de l'étranger.
Les modifications introduites par la LF 2021 créent donc les distorsions suivantes :
En pratique, s'agissant des contrats conclus avant 2021 et pour lesquels le distributeur marocain s'est engagé sur un prix de vente donné, celui-ci ne dispose que de deux options pour atténuer le coût de la TVA à l'importation : renégocier le prix de vente, ou voir sa marge réduite.
Enfin, il convient de s'interroger sur l'application du mécanisme de régularisation de la TVA prévu par l'article 104 du CGI en cas de cession de ces deux produits à compter de l'année 2021, puisque si ceux-ci ont été acquis avant 2021 et immobilisés, ces opérations ont donné lieu à déduction de TVA au taux de 10 ou de 20%.
Cas des installations électriques clés en mains
Les impacts de cette mesure se feront sentir au-delà des seuls distributeurs locaux engagés dans une activité de négoce et de revente en l'état. En effet, nombre d'acteurs présents au Maroc et proposant des services de conception et d'installations électriques clés en mains pourraient en subir les conséquences.
Ces derniers pourraient être amenés à réaliser un chiffre d'affaires soumis à un régime de TVA différent selon la nature de la prestation envisagée : cession de l'actif lui-même, location de l'actif assortie d'un contrat de maintenance, ou vente directe d'électricité.
Outre les problématiques juridiques liées à la fourniture d'installations de productions électriques (y compris en autoproduction), ces entreprises seront incitées à ne pas recourir aux distributeurs locaux de panneaux photovoltaïques et de panneaux solaires puisque :
Prise de position récente de la DGI
La DGI a récemment exprimé sa position[5] concernant l'application de la réforme induite par la LF 2021 concernant ces deux produits. Les questions portent principalement sur la vente d'installations électriques comprenant des panneaux photovoltaïques et des chauffe-eaux solaires.
S'agissant du cas d'une prestation d'installation et de livraison d'une solution de chauffage solaire incluant un chauffe-eau solaire ainsi que les composants nécessaires à son fonctionnement, celle-ci constitue une opération soumise à la TVA avec droit à déduction, notamment s'agissant de la TVA acquittée à l'importation par le vendeur de la solution (dont la valeur est intégrée à la base imposable). Dans ce cas, la neutralité de la TVA est maintenue.
S'agissant de l'acquisition et l'installation d'une installation (incluant les panneaux, câbles, onduleurs) par une entreprise pour ses besoins internes de production d'énergie installations photovoltaïques, plusieurs cas doivent être distingués :
La DGI a par ailleurs confirmé que la revente en l'état de ces produits dans le cadre d'une activité de négoce / distribution est exonérée sans droit à déduction, générant les distorsions décrites précédemment.
Ces clarifications de la DGI viennent donc confirmer (i) la distorsion induite par cette réforme selon la nature de l'activité poursuivie et (ii) l'impact pressenti par les opérateurs du secteur :
Solutions alternatives
La DGI a confirmé que la LF 2021 a créé une distorsion dans le régime applicable en matière de TVA entre les différents acteurs du secteur des énergies renouvelables :
Afin de remédier aux problématiques identifiées et rétablir le principe de neutralité de la TVA pour tous les opérateurs du secteur, le législateur dispose de plusieurs alternatives pour:
Afin de rétablir la neutralité de la TVA pour ces deux produits, une intervention du législateur sera nécessaire, soit (i) dans le cadre de la loi de finances pour l'année 2022, soit (ii) par le vote d'une loi de finances rectificative au cours de l'année 2021.
[1] Art. 99-2° du CGI 2020, taux réduit depuis Loi de Finances 2015 (auparavant le taux de TVA applicable était de 14% à l'intérieur et à l'importation).
[2] Art. 121-2° du CGI, 2020.
[3] Il convient de ne pas confondre ces produits avec l'exonération des pompes à eau utilisées dans le secteur agricole et fonctionnant à l'énergie solaire ou renouvelable, instaurée par la loi de finances pour l'année 2019. Seules les ventes de pompes à eau bénéficient de cette mesure.
[4] Le coût d'approvisionnement pour ces contrats est augmenté de 20% en raison de la TVA non récupérable à l'importation.
[5] Réponse n° D619/21/DGI du 29 avril 2021 aux questions soulevées par l'association marocaine des industries solaires et éoliennes (AMISOLE).
[6] En transférant les nouvelles dispositions de l'article 91 vers celles de l'article 92 du CGI.
[7] Dans ce cas de figure, l'importateur Marocain subirait tout de même un impact de trésorerie en raison du délai de remboursement de la TVA acquittée (et donc avancée) à l'importation.