6 janvier 2021
Alerte Client | France | Energie | Régulation
« C’est le fait du prince dans toute sa splendeur ». C’est ainsi qu’Éric Woerth, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qualifiait le 13 novembre 2020 la volonté du Gouvernement de baisser les tarifs d’obligations d’achat de l’électricité produite par les plus grandes installations photovoltaïques pour les contrats conclus entre 2006 et 2010.
Il faut rappeler que le mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité renouvelable a été introduit par la loi du 10 février 2000[1] afin d’encourager la filière. Ce système est aujourd’hui remis en question au terme d’une série de rebondissements.
Tout a commencé le 16 septembre 2020 par un article des Echos annonçant que, selon une source confidentielle, l’Etat prévoirait de renégocier les tarifs d’obligation d’achat octroyés aux installations solaires avant 2011, dont les tarifs sont bien supérieurs aux prix actuels du marché, permettant des économies alors estimées à 600 millions d’euros.
Cette annonce, qui pendant des semaines n’a pas été confirmée par le Gouvernement, a suscité un émoi parmi les acteurs de la filière qui dénonçaient la remise en cause de la parole de l’Etat ainsi que l’absence d’étude d’impact et de concertation.
En vain. La loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 (la « loi de finances pour 2021 ») est publiée au Journal officiel du 30 décembre 2020 avec un article 225 prévoyant la réduction du tarif d’achat de l’électricité produite par les plus grandes installations photovoltaïques pour les contrats d’obligation d’achat conclus entre 2006 et 2010.
Retour sur cette mesure controversée.
Le 7 novembre 2020, confirmant les rumeurs parues dans la presse, le Gouvernement dépose un amendement au projet de loi de finances pour 2021. Son objet : réduire le tarif d’achat de l’électricité produite par les installations d’une puissance supérieure à 250 kilowatts crête (kWc) pour les contrats en cours conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010, « afin de ramener leur rentabilité à un niveau correspondant à une rémunération raisonnable des capitaux »[2].
Pour la Ministre en charge de l'énergie, cette mesure doit permettre de faire des économies « d’environ 350 à 400 millions d’euros par an, soit environ 4 milliards sur dix ans, qui seront réinjectés sous forme d’aides aux énergies renouvelables » et concernerait en tout état de cause « moins de 0,5 % des anciens contrats soit 800 contrats sur 230.000 »[3].
L’amendement est adopté en séance publique de l’Assemblée Nationale le 13 novembre, et retranscrit à l’article 54 sexies du projet de loi de finances pour 2021.
Au Sénat, la baisse des tarifs d’achat est fortement critiquée. Le 27 novembre, les sénateurs adoptent à l’unanimité en séance publique un amendement de suppression de l’article 54 sexies[4]. Selon eux, « cet article remet en cause la parole de l’État » et « va créer une véritable incertitude et générer une prime de risque »[5].
La suppression de l’article 54 sexies n’est en réalité qu’éphémère. La navette parlementaire aboutit le 17 décembre, après échec de la commission mixte paritaire, à l’adoption en lecture définitive par l’Assemblée nationale du projet de loi finances pour 2021 avec l’article 54 sexies, devenu article 225.
Dans une dernière tentative, plus de soixante parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel en soutenant que (i) cet article est un cavalier législatif, (ii) qui méconnaitrait la liberté contractuelle, la garantie des droits et le droit au maintien des conventions légalement conclues sans que cette méconnaissance soit justifiée par un motif d’intérêt général, (iii) que la différence de traitement entre les installations supérieures et inférieures à 250 kWc est injustifiée et enfin, (iv) que l’article 225 n’est ni précis ni clair.
Finalement, le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et déclaré l’article 225 conforme par une décision du 28 décembre 2020[6].
L’article 225 de la loi de finances pour 2021 prévoit la réduction du tarif d’achat d’électricité produite par certaines installations pour les contrats en cours conclus entre 2006 et 2010.
Plus précisément, sont concernés par cette mesure les tarifs d’achat d’électricité produite par :
Le niveau de la réduction envisagée sera fixé par arrêté des ministres chargés de l'énergie et du budget, après avis public de la Commission de régulation de l’énergie (« CRE »).
Plusieurs garde-fous sont prévus pour limiter l’importance de la réduction du tarif :
(i) d’une part, le niveau devra être déterminé « de telle sorte que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation » ;
(ii) d’autre part, il devra tenir compte de (i) l’arrêté tarifaire applicable à l’installation, (ii) ses caractéristiques techniques, (iii) sa localisation, (iv) la date de mise en service et (v) les conditions de son fonctionnement.
Une clause de sauvegarde est également prévue à l’alinéa 2 de l’article 225 pour les producteurs dont les nouveaux tarifs seraient de nature à compromettre leurs viabilité économique, notamment au regard « des spécificités de financement liées aux zones non interconnectées ». Cet ajout avait d’abord été proposé par un sous-amendement devant l’Assemblée Nationale n° 3560 afin de tempérer l’amendement du Gouvernement.
Sur demande motivée du producteur, les Ministres en charge de l'énergie et du budget peuvent ainsi :
(i) sur proposition de la CRE, fixer par arrêté conjoint un niveau de tarif ou une date différents, dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de la viabilité du producteur ;
(ii) allonger la durée du contrat d'achat, sous réserve que la somme des aides financières résultant de l'ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales.
La prise en compte de la viabilité économique du producteur est néanmoins limitée. Tout d’abord, le producteur doit avoir pris « toutes les mesures de redressement à sa disposition ». Les personnes qui détiennent directement ou indirectement le producteur doivent également avoir adopté « toutes les mesures de soutien à leur disposition, et dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de cette viabilité ».
En outre, cette clause de sauvegarde ne peut pas bénéficier aux « producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020, à l'exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées ».
Selon l’article 225 de la loi de finances pour 2021, l’application desdites mesures est subordonnée à (i) un décret en Conseil d’Etat après avis de la CRE afin d’en préciser les modalités et, comme exposé ci-dessus, (ii) un arrêté également pris après avis de la CRE. Plusieurs questions restent donc en suspens quant à ce nouveau mécanisme qui n’est donc pas encore applicable. Les avis de la CRE, qui ne s’est toujours pas formellement prononcée sur cette mesure, seront à n’en pas douter suivis de près par les acteurs de la filière.
En outre, comme les parlementaires et les acteurs du secteur l’ont dit à plusieurs reprises depuis le mois de septembre 2020, une telle mesure susciterait un risque de multiplication des contentieux engagés par les acteurs de la filière dans les semaines et mois à venir.
Enfin, se pose également la question de l’impact d’une telle mesure sur les autres contrats d’obligation d’achat et de complément de rémunération, notamment sur la confiance des investisseurs envers ces mécanismes d’aides aux énergies renouvelables. La Ministre en charge de l’énergie l’assure, « les nouveaux projets s’appuient sur des contrats solides, dont le niveau a fait l’objet d’une validation formelle par la Commission européenne, et ne seront donc évidemment pas remis en cause ». Cependant, il est légitime de s’interroger sur les conséquences de la décision du Gouvernement de réviser les tarifs d’achat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques plus de dix ans après le début des contrats sur d’autres filières encore en plein essor.
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[1] Loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
[2] Amendement II-3369 du 7 novembre 2020 présenté par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale.
[3] Débats parlementaires lors de la séance publique du 13 novembre 2020 à l’Assemblée nationale en première lecture.
[4] Amendement n° II-28 du 20 novembre 2020 présenté par Mme Christine Lavarde devant le Sénat.
[5] Séance publique du 27 novembre 2020 au Sénat en première lecture.
[6] Décision n° 2020-813 DC du 28 décembre 2020.
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