4 décembre 2020
Alerte Client | UE | France | Concurrence & Commerce International
Par une décision du 3 décembre 2020[1], l’Autorité de la concurrence a sanctionné le fabricant de thés haut de gamme Dammann Frères à hauteur de 226.000 euros pour des pratiques de prix de vente imposés.
A l’origine, les pratiques reprochées à la société Dammann Frères par les services d’instruction de l’Autorité consistaient :
La société Dammann Frères est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de thé « haut de gamme » qu’elle commercialise à la fois dans des boutiques en propre et son site internet ainsi que par le biais de distributeurs indépendants opérant des points de vente physiques et des boutiques en ligne.
La marque n’a pas choisi de recourir à des distributeurs sélectifs ou exclusifs mais a conclu avec certains de ses distributeurs des contrats de licence de marque selon lesquels ceux-ci s’engagent à s’approvisionner exclusivement auprès de Dammann Frères ou de tout autre fournisseur désigné par la marque.
1. L’Autorité a considéré que Dammann Frères, sous couverts de diffusion de prix « conseillés » avait en réalité imposé à ses distributeurs une application obligatoire de ces prix « conseillés ».
2. L’existence d’une telle pratique est constituée, selon l’Autorité, par la mise en œuvre par Dammann Frères d’une politique de surveillance des prix ayant pour effet de rendre ceux-ci obligatoires.
3. Selon l’Autorité, cette obligation d’appliquer les prix conseillés ressort à la fois des conditions générales de vente et accords de distribution de Dammann Frères, mais aussi des incitations, voire des sanctions, mises en œuvre par le fournisseur à l’encontre des distributeurs qui n’appliquaient pas les prix « conseillés ».
4. En ce qui concerne les conditions contractuelles, l’Autorité relève que Dammann Frères aurait cherché à soumettre l’ouverture de sites internet de vente en ligne par ses distributeurs à la signature d’accords spécifiques de distribution qui restreignaient la liberté des distributeurs de déterminer leurs prix de vente.
Certains de ces accords contenaient en effet une clause contractuelle selon laquelle les ventes en ligne devaient revêtir à tout moment « les caractéristiques d’une vente usuelle pratiquée dans un point de vente réel » ainsi qu’une clause engageant les distributeurs à « ne pratiquer aucune offre proportionnelle, ni remise tarifaire sans accord préalable ». Au sujet de cette dernière clause, les courriers et déclarations du directeur commercial de Dammann Frères attesteraient que la pratique des prix inférieurs aux prix diffusés par le fabricant était assimilée à une « remise tarifaire ».
5. Selon l’Autorité, le fait qu’une partie de ces distributeurs aient accepté de signer ces accords commerciaux démontrerait l’acceptation par ceux-ci de l’encadrement des prix de revente et, par conséquent, l’existence d’un accord de volonté.
6. S’agissant des interventions incitatives de Dammann Frères, plusieurs distributeurs auraient indiqué que le fabricant leur avait demandé d’augmenter leurs prix lorsque ceux-ci étaient inférieurs aux prix diffusés.
7. Enfin, s’agissant des « représailles » mises en œuvre par la société Dammann, l’Autorité relève que celle-ci aurait infligé des sanctions à certains de ses distributeurs ne respectant pas les prix conseillés. Ces sanctions ont notamment consisté en des suppressions de remises préalablement accordées, des retards ou suspensions de livraisons, des suppressions de distributeurs récalcitrants de la liste des distributeurs présentés sur le site internet du fabricant ou des ruptures unilatérales de relations commerciales.
A titre d’exemple, le représentant de l’un des distributeurs de la marque a déclaré qu’un employé de Dammann Frères lui avait indiqué que la pratique de prix de vente en ligne « beaucoup trop bas », qu’il assimilait à du « dumping », était à l’origine de la suppression des remises qui lui étaient précédemment accordées. L’exploitant d’un site de vente en ligne a indiqué : « Finalement, un accord verbal a été trouvé entre mon avocate et celle de Dammann Frères : ils reprennent les livraisons et me remboursent les frais d’huissier et en échange, je remonte un peu mes prix de vente. Je suis donc actuellement en train de remonter mes prix d’environ 10 % ».
8. Il ressort en outre de la décision que certains distributeurs opéraient une surveillance du marché et tenaient Dammann informée lorsqu’ils constataient que les prix conseillés n’étaient pas appliqués par certains de leurs concurrents, démontrant ainsi leur adhésion aux pratiques et l’existence d’un accord de volontés.
9. Selon l’Autorité, la pratique mise en œuvre par Dammann Frères visait à aligner les prix de tous les sites de vente en ligne sur ceux de sa boutique en ligne, afin de préserver cette dernière de la concurrence des sites internet de ses propres distributeurs.
Le motif invoqué par la société Dammann Frères, consistant à la préservation de l’image de la marque n’était pas suffisant pour justifier une telle pratique.
10. En application d’une jurisprudence constante, l’Autorité a considéré que cette pratique de prix imposés relevait un degré suffisant de nocivité pour être qualifiée de restriction par objet.
Elle ajoute par ailleurs que cette pratique a eu pour effet de limiter la concurrence intra-marques, à la fois entre les boutiques en ligne des distributeurs mais aussi entre les distributeurs et la boutique en ligne de la marque Dammann, privant ainsi les consommateurs de la possibilité de faire pleinement jouer la concurrence entre les différents canaux de distribution en ligne et de bénéficier ainsi du meilleur prix.
11. L’Autorité rappelle enfin qu’une telle pratique ne saurait être exemptée dès lors qu’elle constitue une restriction caractérisée au sens de l’article 4 du Règlement 330/2010 sur les accords verticaux.
12. Si l’Autorité a considéré qu’il existait bien un accord de volonté (par la présence d’un faisceau d’indice suffisamment grave, précis et concordant démontrant l’existence à la fois d’une invitation de Dammann Frères et d’un acquiescement de ses distributeurs) visant à s’abstenir de vendre les produits de la marque par le biais de plateformes tierces, elle a néanmoins rejeté le grief n° 2.
13. Faisant application de la jurisprudence Coty[2] l’Autorité a en effet considéré :
14. Dans ces conditions, elle a considéré que l’accord de volonté concerné par le grief n° 2 ne constituait pas une restriction caractérisée au sens de l’article 4b) du règlement sur les accords verticaux, étant précisé que les parts de marchés de Dammann et ses distributeurs sur le marché de la vente en ligne de thés haut de gamme étaient inférieures à 30 %.
15. Dans ces conditions, elle a donc indiqué qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre le grief n° 2.
L'Autorité fait ici une application élargie de la jurisprudence Coty, sans limiter sa portée aux seuls réseaux de distribution sélective portant sur des produits de luxe.
16. Compte tenu de tous ces éléments, l’Autorité a prononcé une sanction de 226 000 euros à l’encontre de Dammann Frères, pour la seule pratique de prix de vente imposés.
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[1] Décision n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des thés haut de gamme
[2] Arrêt du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, C 230/16, EU:C:2017:941
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