23 avril 2020
L'épidémie de Covid-19 au Maroc a conduit le Gouvernement marocain à déclarer le Royaume en situation d'Etat d'Urgence Sanitaire et à prendre des mesures importantes pour protéger la population. Dans ce contexte, le Gouvernement a notamment décidé d'interdire à toute personne de se déplacer en dehors de son domicile, sauf dans certains cas d'extrêmes nécessités (e.g. pour l’acquisition de produits et de marchandise de première nécessité, pour se rendre sur son lieu de travail sous réserve du respect des procédures édictées par les autorités administratives compétentes).
Ces restrictions devraient se prolonger dans les prochaines semaines suite à la publication le 20 avril 2020 du Décret n° 2-20-330 prolongeant la durée d’effet de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour faire face à la propagation du corona virus - Covid 19 (Bulletin officiel n° 6874 bis) et continuer à avoir, des répercussions imprévues pour les entreprises, notamment les entrepreneurs titulaires de marchés publics.
Dans ce contexte, différentes mesures ont été prises par le Gouvernement marocain pour tenir compte de l'impact du Covid-19 en matière de commande publique.
Cette alerte client présente un aperçu de ces différentes mesures.
Dès le 31 mars 2020, le Ministère de l'Economie et des Finances a pris des mesures relatives à l'exécution des marchés ou bons de commande en cours d'exécution en adressant aux établissements et entreprises publiques une circulaire n° C9/20/DEPP du 31 mars 2020 (la "Circulaire du 31 mars 2020") permettant à ces derniers de faire valoir les cas de force majeure prévus dans les cahiers des clauses administratives générales en vigueur pour accorder, aux entrepreneurs qui le demandent, un délai supplémentaire équivalent au délai de l'Etat d'Urgence Sanitaire annoncée par les pouvoirs publics. La circulaire précise en outre que les maîtres d'ouvrages procèderont à l'établissement des avenants pour constater cette prorogation de délais et ce, immédiatement après la levée de l'Etat d'Urgence Sanitaire.
Dans le même sens, l’article 7 de la circulaire TGR/DRRCI/DR/N° 9 du 2 avril 2020 relative à la simplification de certaines procédures liées aux marchés publics de l’Etat et des collectivités territoriales (la "Circulaire du 2 avril 2020") permet aux départements ministériels concernés et aux collectivités territoriales, "au cas par cas", de faire application des dispositions relatives à la force majeure contenues dans les cahiers des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux et aux marchés de services portant sur les prestations d'études et de maîtrise d'œuvre et ainsi d'accorder aux entrepreneurs concernés une augmentation raisonnable des délais d'exécution.
Il peut être relevé que le contenu de ces circulaires ne dispose d'aucun effet contraignant auprès des maîtres d'ouvrage concernés qui demeurent seuls compétents pour apprécier si les critères de la force majeure sont réunis aux cas d'espèce. Bien que ces circulaires semblent admettre le caractère imprévisible et l'extériorité de la situation sanitaire marocaine et des restrictions associées, il reviendra à la partie contractante souhaitant se prévaloir de ce moyen juridique de démontrer l'irrésistibilité objective de ces évènements sur ses obligations contractuelles.
Le contenu de ces circulaires ne dispose d'aucun effet contraignant auprès des maîtres d'ouvrage concernés qui demeurent seuls compétents pour apprécier si les critères de la force majeure sont réunis aux cas d'espèce.
Enfin, compte tenu de la prolongation de l'Etat d'Urgence Sanitaire jusqu'au 20 mai 2020, l'admission de la force majeure pour toute la période de l'Etat d'Urgence Sanitaire pourrait conduire à la résiliation de certains marchés en raison de la continuation de la force majeure sur une période qui, en l'espèce, sera au moins équivalente à deux (2) mois.
L’allongement des délais de paiement est un phénomène qui impacte toutes les parties prenantes de la chaine économique. Conscient de cet enjeu, le Ministère de l'Economie et des Finances a adressé le 26 mars 2020 aux établissements et entreprises publics ("EEP") la circulaire n° E/2138 les incitant à prendre les mesures nécessaires pour accélérer les processus de paiement au profit des entreprises, en particulier les PME et les TPE et réduire ainsi la pression sur la trésorerie de ces opérateurs.
Cette circulaire a été accompagnée de mesures concrètes relatives à la procédure d’exécution, d’ordonnancement et de paiement des marchés publics dont la dématérialisation est effective pour certains marchés depuis le 2 mai 2019 et la publication du Décret n° 2-19-184 du 25 avril 2019 modifiant et complétant le décret n° 2-16-344 du 22 juillet 2016 fixant les délais de paiement et les intérêts moratoires relatifs aux commandes publiques.
Pour les marchés des EEP, la Circulaire du 31 mars 2020 prévoit que les comptables publics peuvent signer les ordres de paiement sur la base des pièces justificatives que leur transmettent par voie électronique les ordonnateurs, et ce, en fonction des moyens de chaque Etablissement étant toutefois précisé que des copies certifiées conformes à l’original de ces pièces justificatives devront être remises aux parties dès la fin de l’Etat d’Urgence Sanitaire.
En outre, la Circulaire du 2 avril 2020 prévoit que pour toute la durée de l'Etat d'Urgence Sanitaire, les titulaires de marchés passés avec l'Etat ou les collectivités territoriales n'auront pas l'obligation de produire des factures signées par voie électronique. Ainsi, les titulaires de marchés peuvent soumettre leurs factures cachetées et signées en les numérisant au format PDF et en les déposant sur la plateforme GID (https://fournisseurs.gid.gov.ma/) étant toutefois précisé que les documents papiers devront être communiqués au maître d’ouvrage à l’issue de la période d'Etat d'Urgence Sanitaire.
Cette dernière mesure remédie ainsi aux difficultés rencontrées par certains pouvoirs adjudicateurs et titulaires de marchés pour obtenir les certificats électroniques de classe 3 Barid-E sign (NB : ces certificats sont nécessaires pour authentifier les signatures électroniques).
Il convient de rappeler que la dématérialisation de la procédure de paiement des marchés publics est effective au Maroc depuis le 2 mai 2019 et qu'elle ne concerne que certains marchés :
Ainsi, les marchés publics passés avant l'entrée en vigueur du Décret n° 2-19-184 du 25 avril 2019 ne bénéficient pas de cette procédure et partant, il aurait été approprié de préciser dans la Circulaire du 2 avril 2020 si les mesures prises par le Ministère de l'Economie et des Finances s'appliquent à tous les marchés publics en ce compris les marchés conclus avant le 2 mai 2019. En l'absence de précision sur ce point, il est permis d'en douter.
(…) il aurait été approprié de préciser dans la Circulaire du 2 avril 2020 si les mesures prises par le Ministère de l'Economie et des Finances s'appliquent à tous les marchés publics"
Enfin et de manière plus générale, il peut être relevé que la Circulaire du 2 avril 2020 prévoit "de maintenir tels quels les délais de paiement impartis à l’Etat et aux collectivités territoriales et de continuer à soumettre tout dépassement de ces délais à l’application des intérêts moratoires.
Ainsi, l'Etat ou les collectivités territoriales ne pourront opposer aux titulaires de marchés publics la suspension des délais de paiement en raison des restrictions décidées par le Gouvernement.
Outre la procédure de paiement des titulaires de marchés publics, les circulaires du 31 mars et du 2 avril 2020 simplifient également les procédures de passation des marchés publics.
Parmi les mesures relatives aux marchés passés par l'Etat et les collectivités territoriales, il peut notamment être relevé que la soumission électronique sur le portail des marchés publics est facilitée puisque les pièces constitutives des dossiers de réponses électroniques aux appels d'offres n'ont plus à être signés par voie électronique. Les documents requis peuvent ainsi être scannés et déposés par voie électronique en ayant recours au portail marocain des marchés publics.
Les mesures les plus significatives sont prévues par la Circulaire du 31 mars 2020 dont les dispositions modifient certaines règles applicables à la passation des marchés des EEP, telles que prévues par le décret n° 2-12-349 relatif aux marchés publics (le "Décret MP").
A cet égard, il convient de rappeler que l'article 88 du Décret MP permet de recourir à la procédure des bons de commande pour l'acquisition de fournitures et la réalisation de travaux ou services dans la limite de deux cent mille (200.000) dirhams toutes taxes comprises.
La Circulaire du 31 mars 2020 écarte cette contrainte de seuil en permettant aux ordonnateurs des EEP d'adopter la procédure d'engagement qu'ils jugent opportune y compris la procédure de bons de commande sans aucune limitation de montant.
En ce sens, le Gouvernement a assoupli les procédures de passation pour permettre la mise en œuvre de consultations urgentes dans des délais compatibles avec les contraintes découlant de la situation d'état d'urgence sanitaire. A cet égard, il est utile de rappeler que la mesure d'assouplissement adoptée de manière temporaire va au-delà des dispositifs d'urgence préexistants dont la procédure des marchés négociés sans publicité et sans concurrence préalable prévue par le Décret MP pour la réalisation des prestations d’urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles non imputables au maître d'ouvrage.
S'agissant des prestations susceptibles de faire l'objet de marchés négociés, l'article 86 du Décret MP précise d'ailleurs que :
"Ces prestations ont pour objet de faire face notamment à une pénurie ou à la survenance d'un événement catastrophique tels que séisme, inondation, raz de marée, sécheresse, épidémie, pandémie, épizootie, maladies végétales dévastatrices, invasion d'acridiens, incendies, bâtiments ou ouvrages menaçant ruine ou à un événement mettant en péril la santé du consommateur ou le patrimoine animal ou naturel".
Par comparaison à la procédure des bons de commande, cet outil offre des garanties supplémentaires à l'acheteur public et impose notamment l'intervention d'une commission de négociation et l'obligation pour les candidats de préparer des dossiers administratifs, techniques et additifs visant à permettre à l'acheteur public d'apprécier la qualité et le prix de leurs offres.
En définitive, la portée des mesures prises par le Ministère de l'Economie et des Finances en matière de commande publique demeure relativement limitée à ce stade. Cela étant, les mesures adoptées témoignent d'un objectif clair de soutien de l'activité des cocontractants des EEP aux différentes étapes du cycle de vie (passation, exécution, paiement) des marchés publics.
A cet égard, le Comité de Veille Economique a cependant annoncé le lundi 20 avril 2020 travailler sur l’opérationnalisation des mesures en faveur des entreprises y compris celles titulaires des marchés publics.
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Gide.
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