7 avril 2020
L'épidémie de Covid-19 a entraîné ces dernières semaines une chute significative de valeurs cotées sur les marchés financiers, une forte volatilité des cours et un assèchement de la liquidité sur certains segments de marché.
Les enjeux de ces évènements de marché sont particulièrement importants pour les OPCVM et les FIA ouverts où les investisseurs peuvent demander à tout moment le rachat de leurs parts ou actions, ce rachat s'effectuant à partir des actifs du fonds et sur la base de la valeur liquidative. En effet, les circonstances de marché peuvent rendre difficile la valorisation des actifs (qu'il s'agisse d'actifs cotés ou non cotés) et sont susceptibles de compromettre l'établissement de la valeur liquidative des fonds, utilisée pour calculer le prix de rachat des parts. Ensuite, l'assèchement du marché secondaire des actifs détenus en portefeuille des fonds peut limiter les possibilités de cession à des prix de marché non-décotés. Si, à ces deux difficultés viennent s'ajouter des demandes de rachat importantes de la part d'investisseurs, les fonds d'investissement peuvent être confrontés de décalage de liquidité (ou "liquidity mismatch") entre leur actif et leur passif. Ce décalage fait naitre un risque de liquidité qui est défini par l'AMF comme le risque qu'une position dans le portefeuille ne puisse être cédée, liquidée ou clôturée pour un coût limité et dans un délai suffisamment court, compromettant ainsi la capacité de l'OPCVM ou du FIA à se conformer à tout moment à l’exigence d’émission et de rachat à la demande des investisseurs.
Ces enjeux sont parfaitement identifiés par les sociétés de gestion d'OPCVM et de FIA. Celles-ci doivent ainsi anticiper, contrôler et remédier à la réalisation d'un risque de liquidité dans les fonds dont elles assurent la gestion. La règlementation leur impose de définir le profil de liquidité des fonds lors de leur conception et de réaliser des simulations de crise de liquidité (ou stress tests) en situations normales et de marché et en situations de crise, qui peuvent conduire à des ajustements sur la composition des portefeuilles. L'ESMA a publié des lignes directrices sur la conduite de ces simulations de crise ("Guidelines on liquidity stress testing in UCITS and AIFs", 2 septembre 2019) qui seront applicables à compter du 30 septembre 2020. Ensuite, les sociétés de gestion peuvent prévoir à l'avance dans la documentation de leurs fonds plusieurs instruments permettant une gestion graduelle du risque de liquidité, en fonction de l'ampleur de celui-ci.
Dans ce contexte, la présente newsletter fait le point sur :
Le swing pricing consiste à ajuster à la hausse ou à la baisse la valeur liquidative d'un fonds en fonction du solde net des mouvements de souscription et de rachat de manière à faire porter par les investisseurs sortant le coût de réaménagement du portefeuille nécessaire pour honorer ces demandes de rachat. Le même effet peut être obtenu sans ajuster la valeur liquidative mais en facturant au porteur sortant ou entrant les frais de vente ou d’achat supportés lors du réaménagement du portefeuille à travers des commissions acquises au fonds.
Ces dispositifs sont le plus souvent mis en place uniquement à partir du moment où les flux nets de souscriptions et rachats excèdent un certain seuil. On parle dans ce cas de mécanisme de swing partiel ou d'un mécanisme partiel de droits ajustables.
Les principes de mise en œuvre de ces mécanismes doivent être prévus dans la documentation des fonds. Les sociétés de gestion doivent également disposer d'une procédure interne tenue à jour et précisant notamment la méthodologie de calcul du coût de réaménagement du portefeuille en se conformant à la Charte de bonne conduite pour le swing pricing et les droits d'entrée et de sortie ajustables acquis aux fonds (mis à jour en 2016) publiée par l'AFG. L'AMF a rappelé dans sa FAQ qu'elle pouvait contrôler cette politique.
Le swing pricing et les droits ajustables, qui peuvent être utilisés dans des circonstances normales de marché, sont souvent les premières dispositions prises par une société de gestion pour faire face à un problème de liquidité temporaire. L'AMF a d'ailleurs indiqué dans sa FAQ qu'elle était favorable à l'utilisation de ces mécanismes dans la période actuelle en raison de la faible liquidité de certains sous-jacents de fonds et en raison des coûts parfois élevés de réajustement des portefeuilles.
Certains fonds y ont d'ores et déjà recours dans le cadre de la crise actuelle. Toutefois, pour les fonds qui n'auraient pas encore prévu ces mécanismes dans leur documentation ou pour ceux qui devraient modifier leur documentation pour modifier leur dispositif de swing pricing, l'AMF a rappelé dans sa FAQ que ces modifications ne sont pas soumises à un agrément de l'AMF mais doivent faire l'objet d'une information des porteurs de parts par tous moyens. En outre, l'AMF autorise exceptionnellement et temporairement (jusqu'au 24 juin 2020) les sociétés de gestion à introduire des droits de sortie ajustables impliquant une augmentation des frais de rachat sans obligation d'offrir la possibilité aux porteurs de parts de sortir sans frais des fonds et de leur fournir une information particulière sur cette modification. Toutefois, l'AMF précise que ces frais doivent être justifiés, non confiscatoires et non dissuasifs et que les investisseurs soient informés de manière appropriée de cette mesure.
La documentation de certains fonds peut également prévoir des délais de préavis entre la date de centralisation d'une demande de rachat et la date de règlement du rachat. Ces délais permettent à la société de gestion de disposer d'un certain temps pour céder, si besoin, certains actifs aux meilleures conditions de marché possibles et de disposer des liquidités nécessaires pour honorer les demandes de rachat.
Ainsi, les OPCVM et les fonds d'investissement à vocation générale qui calculent leur valeur liquidative de manière quotidienne peuvent prévoir un délai maximum de 10 jours ouvrés entre la date de centralisation d'une demande de rachat et sa date de règlement, dont 5 jours ouvrés maximum de préavis entre la date de centralisation et celle de l'exécution de l'ordre et de 5 jours ouvrés maximum entre la date de l'exécution de l'ordre et celle de la livraison ou du règlement.
A titre exceptionnel et temporaire (jusqu'au 24 juin 2020), l'AMF a précisé dans sa FAQ que l'introduction de ces préavis ou leur allongement dans la documentation des fonds calculant une valeur liquidative quotidienne peut être effectué par les sociétés de gestion sans information particulière des porteurs de parts et sans leur donner un droit de sortie sans frais si l'allongement du délai de préavis de rachat est de deux jours ouvrés maximum et dès lors que cet allongement n'entraine pas de dépassement des délais légaux de préavis. Tout allongement du délai de préavis devra pouvoir être justifié, y compris au regard de la classe d'actifs concernée et les sociétés de gestion devront déterminer les modalités les plus appropriées pour informer les investisseurs de ces changements.
Le rachat en nature consiste à transférer des actifs en portefeuille en paiement d'une demande de rachat. La mise en œuvre de ce dispositif est cependant difficilement envisageable s'agissant de fonds ouverts aux investisseurs non professionnels dans la mesure où la réglementation exige un accord du porteur retrayant voire de l'intégralité des porteurs lorsque la société de gestion n'est pas en mesure de transférer une quote-part représentative de l'ensemble des actifs en portefeuille. Un rapport spécifique du commissaire aux comptes sur l'évaluation des actifs est également exigé.
Dans l'hypothèse où les premières mesures de gestion du risque de liquidité ne permettent pas de faire face à une situation de crise, les sociétés de gestion peuvent mettre en œuvre deux types de mesures exceptionnelles de manière temporaire et une mesure exceptionnelle de gestion extinctive de la partie non liquide des actifs d'un fonds.
Les sociétés de gestion peuvent décider de mettre en place un dispositif de plafonnement des demandes de rachat dans les OPCVM, comme dans les FIA ouverts tels que les fonds d'investissement à vocation générale.
Cette mesure, qui permet de répartir les demandes de rachat de parts sur plusieurs valeurs liquidatives de manière temporaire lorsqu'elles excèdent un certain seuil de l'actif net des fonds doit être prévue dans la documentation des fonds.
Ses modalités de mise en œuvre sont encadrées par l'Instruction AMF-2017-05 relatives aux "Modalités de mise en place de mécanismes de plafonnement des rachats ou gates" et applicables aux OPCVM, FIVG, FCPR, FPCI et fonds d'épargne salariale. En particulier, la documentation des fonds doit prévoir le seuil de déclenchement et la durée maximale d'application du plafond, lesquels doivent être définis au regard de la périodicité de calcul de leur valeur liquidative, de leur orientation de gestion et de la liquidité des actifs sous-jacents. Les modalités de gestion des reports des ordres de rachat non exécutés sur les valeurs liquidatives suivantes doivent également être détaillées dans la documentation du fonds, étant précisé que ces ordres ne peuvent être traités en priorité sur les valeurs liquidatives sur lesquelles elles sont reportées.
La décision d'une société de gestion d'activer le dispositif de plafonnement des demandes de rachat prévues dans la documentation du fonds est facultative et doit être justifiée à chaque fois qu'elle est effectivement prise. L'activation d'un plafond d'exécution des demandes de rachat doit être communiquée à l'AMF et aux porteurs de parts des fonds.
Dans sa FAQ, l'AMF rappelle que la possibilité de recourir aux gates, et notamment le seuil de déclenchement, la durée maximale de l’échelonnement, les modalités de gestion des reliquats des ordres (report ou annulation, au choix du porteur ou non), doit avoir été prévue dans les documents constitutifs des OPC après (pour les OPC agréés) agrément de l’AMF et possibilité de sortie sans frais pour les porteurs pendant au moins 30 jours calendaires.
Dans les OPCVM comme dans les FIA ouverts, les sociétés de gestion disposent de la possibilité de suspendre les demandes de rachats des investisseurs à une double condition : (i) lorsque des circonstances exceptionnelles l'exigent et (ii) si l'intérêt des investisseurs et du public le commande. Les conditions de mise en œuvre d'une suspension temporaire des demandes de rachats doivent être prévues dans la documentation des fonds.
La décision de suspendre les demandes de rachat est une mesure prise en dernier recours lors d'évènements très difficiles. L'AMF a d'ailleurs souligné dans sa FAQ que ces mesures sont envisageables uniquement dans l'hypothèse d'une impossibilité éventuelle, compte tenu des circonstances exceptionnelles, de valoriser les portefeuilles, de réaliser des actifs ou de faire face à des demandes de rachat.
L'objectif de cette mesure est de protéger l'ensemble des investisseurs du fonds concerné en évitant en particulier que des investisseurs puissent sortir d'un fonds sur la base d'une valeur liquidative incorrecte. Elle peut être combinée à d'autres mesures (suspension des demandes de souscription ou mise en place de commissions de souscriptions).
Par le passé, des suspensions de demandes de rachat ont été décidées en 2001 lors de la fermeture des marchés actions aux Etats-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001 qui rendaient impossible d'estimer de manière fiable et de céder les actifs en portefeuille. En 2009, cette mesure a également été adoptée par certains OPCVM investis dans des véhicules exposés à la fraude Madoff dans l'attente d'informations sur l'ampleur de la fraude et la valorisation possible de ces investissements. A cette occasion, l'AMF avait d'ailleurs publié des recommandations à destination des sociétés de gestion pour préciser ses attentes sur les modalités de mise en œuvre de cette mesure (Recommandations de l'AMF à destination des sociétés de gestion gérant des OPCVM de droit français susceptibles d'être impactées par l'affaire Madoff, 17 décembre 2008).
Ces mesures exceptionnelles prises à l'initiative des sociétés de gestion n'excluent pas l'intervention du régulateur. En effet, l'AMF peut exiger d'une société de gestion qu'elle mette fin à une mesure de plafonnement ou de suspension des demandes de rachat ou d'en limiter l'utilisation. L'AMF peut également exiger à son initiative la suspension à titre provisoire des demandes de rachat sur un ou plusieurs organismes de placement collectif lorsque des circonstances exceptionnelles l'exigent et que l'intérêt des investisseurs ou du public le commande.
Lorsqu'une partie des actifs d'un OPCVM ou d'un FIA ne peut faire l'objet d'une valorisation, les sociétés de gestion disposent également de la possibilité de cantonner ces actifs et de poursuivre la gestion des actifs non impactés par le problème de liquidité en continuant à établir une valeur liquidative sur les actifs liquides et à honorer les demandes de rachat sur ces actifs.
Ainsi, sous réserve que des circonstances exceptionnelles l'exigent, que l'intérêt des porteurs et du public le commande, si la cession de certains actifs ne peut être effectuée dans l'intérêt des investisseurs, le fonds concerné peut être scindé : les actifs qui ne peuvent plus être valorisés sont conservés dans le fonds existant qui est mis en gestion extinctive. Les actifs liquides sont transférés à un nouveau fonds.
Ce dispositif, initialement créé en 2008 lors de la crise des subprimes et utilisé pour cantonner les actifs impactés par la fraude Madoff a été réformé par la loi PACTE pour qu'il puisse être mis en conformité avec la directive OPCVM. Le dispositif initial prévoyait la scission du fonds existant via la création de deux nouveaux fonds : un fonds "réplique" destiné à recevoir les actifs et un fonds side pocket destiné à recevoir les actifs illiquides. Désormais, le fonds "side pocket" ne doit plus être un nouveau fonds : les actifs illiquides sont conservés dans le véhicule existant et les actifs sains sont transférés à un nouveau véhicule de même nature que le fonds initial.
Le décret n° 2020-286 du 21 mars 2020, entré en vigueur le 22 mars est venu mettre en cohérence les dispositions réglementaires du Code monétaire et financier avec les modifications introduites par la loi PACTE et harmoniser les règles applicables aux fonds constitués sous la forme de fonds communs de placement et de sociétés d'investissement à capital variable. Le règlement général de l'AMF devrait également être modifié prochainement pour compléter le nouveau dispositif sans que cela retarde sa mise en œuvre. A ce sujet, l'AMF demande dans sa FAQ que les sociétés de gestion qui envisagent de recourir à ce dispositif se rapprochent de leur chargé de portefeuille.
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