4 avril 2020
La crise que nous vivons n’est pas comparable à celle de 2008. Le système bancaire européen est suffisamment résilient et tiendra, même en cas de grave récession,
Tribune de Jean-Guillaume de Tocqueville, associé et Catherine Feunteun, avocate de notre ligne de métiers Banque-Finance, publiée dans Le Figaro le 3 avril 2020.
On ne déroge pas à la règle: comme à chaque crise, des interrogations surgissent sur la solidité du système bancaire. On entend çà et là que le Covid-19, entre autres méfaits, affecterait la solvabilité des banques au point de provoquer des risques de faillite, comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2008. L’exercice de comparaison peut être instructif, sous réserve toutefois qu’il se révèle pertinent ; ce qui n’est pas le cas du parallèle établi entre la crise sanitaire que nous traversons et la crise bancaire et financière de 2008.
La crise que nous traversons aujourd’hui est d’une nature très différente de celle de 2008.
Chacun se souvient de l’effet dominos amorcé le lundi 15 septembre 2008, lorsqu’à une heure du matin, Richard Fuld, alors président-directeur général de la banque d’investissement Lehman Brothers, s’entendit confirmer par Henry Paulson, le secrétaire d’État au Trésor, que le gouvernement américain avait décidé de ne pas venir à la rescousse de cet établissement ; la faillite de Lehman fut dans l’instant même prononcée, avec un passif déclaré à 613 milliards de dollars…La suite est bien connue: cette crise qui frappait au cœur du bilan des banques, asséchant le marché interbancaire, se répandit depuis Wall Street sur toutes les places financières mondiales, affectant profondément l’économie au point de dégénérer en une crise économique globale ; illustration même d’une crise systémique dont les effets ressentis sur l’économie plus de dix ans après, sont rétrospectivement chiffrés à près de 1000 milliards de dollars.
La crise que nous traversons aujourd’hui est de nature très différente ; il s’agit d’une crise sanitaire, entraînant le confinement de plusieurs milliards d’individus et la fermeture de nombreux commerces. Certes, le résultat en est, comme en 2008, un risque de paralysie majeure de l’économie. Mais les banques ne sont en rien à l’origine de ce choc exogène ; bien au contraire, elles se trouvent en première ligne pour lutter contre la crise. Leurs agences restent ouvertes et les crédits à l’économie, en particulier aux PME et aux ménages, continuent d’être octroyés.
Les banques sont suffisamment solides pour mener à bien cette mission et faire face elles aussi au Covid-19 !
Rassurons-nous: contrairement à 2008, les banques sont suffisamment solides pour mener à bien cette mission et faire face elles aussi au Covid-19 ! Comment mesure-t-on cette solidité ? Par un indicateur réglementaire objectif, surveillé comme le lait sur le feu par les superviseurs européens et français, qui imposent aux banques une quantité et une qualité minimale de fonds propres ainsi qu’un niveau adéquat de liquidité.
Rappelons qu’en 2008, malgré des plans de relance sans précédent, un grand nombre de banques rencontrèrent de lourdes difficultés financières, conduisant certaines à être nationalisées telles que Northern Rock ou encore Fannie Mae. Or, ces banques avaient un point commun ; elles ne disposaient que d’une faible proportion d’actions ordinaires dans leurs fonds propres, contraignant les États, et donc les contribuables, à intervenir faute de base actionnariale suffisante pour couvrir leurs pertes ; elles ne disposaient pas non plus de réserves suffisantes de liquidités.
En réaction à cette crise, les banques européennes furent contraintes par les nouvelles normes prudentielles de l’Union et de la zone euro à rehausser significativement le niveau de leurs fonds propres réglementaires et, surtout, à en améliorer la qualité en recourant davantage à leurs actionnaires. Ce sont désormais les actionnaires qui doivent en premier lieu et dans la plus grande proportion absorber les pertes inattendues des banques, dans le cas où notamment les entreprises et les ménages ne sont plus dans un contexte de crise en mesure d’honorer leurs échéances, et qui sont en première ligne en cas de difficultés de l’établissement. Autre évolution: les banques durent renforcer notablement le niveau de leurs disponibilités à court terme.
À la suite des réformes mises en œuvre en réaction à la crise de 2008, le secteur financier français est maintenant plus résilient.
Ces points sont centraux: au-delà des mesures de soutien massif à l’économie prises par les banques centrales, les États et l’Union Européenne, que ce soit en matière monétaire ou budgétaire (suspension du pacte de stabilité européen) et qui aident les banques à se refinancer et à réduire leurs risques, la qualité de leurs fonds propres et le niveau de leur liquidité demeurent les pierres angulaires de la solidité des établissements. À ce titre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a confirmé récemment d’une manière non équivoque que «les grandes banques françaises sont aujourd’hui dans une situation solide. Si on regarde les deux grands éléments de santé d’une banque, la solvabilité et la liquidité, leur situation est beaucoup plus favorable qu’en 2008.» Dans son communiqué du 18 mars dernier, le Haut Conseil Français de Stabilité Financière observe également que, à la suite des réformes mises en œuvre en réaction à la crise de 2008, le secteur financier français est maintenant plus résilient.
L’objectivité, et donc l’efficacité, de ces déclarations reposent notamment sur les chiffres des «stress-tests», réalisés par l’Autorité bancaire européenne (European Banking Authority, EBA) et par la Banque centrale européenne en 2018 et 2019, qui ont permis de tester la solidité des banques face à une sévère récession européenne.
Les ratios des banques demeurent satisfaisants pour les 48 banques contrôlées.
Dans le cadre de son processus de surveillance et d’évaluation prudentielle, l’EBA organise, en effet, régulièrement ces exercices de «stress-tests» pour toutes les banques de l’Union européenne afin d’évaluer sur une durée de 3 ans leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à absorber des pertes inattendues face à des chocs macroéconomiques et financiers très défavorables. Les derniers tests ont démontré que les ratios des banques, qui mesurent le niveau des fonds propres nécessaires pour faire face aux risques de pertes auxquelles elles sont exposées, y compris dans l’hypothèse d’une sévère récession économique assortie de turbulences importantes sur les marchés, demeurent satisfaisants pour les 48 banques contrôlées.
La BCE a de son côté relevé pour ce qui concerne la zone euro que «les 33 plus grandes banques directement supervisées par [elle] ont amélioré leur capacité de résistance aux chocs financiers ces deux dernières années.» Cette confiance de la Banque centrale dans les banques européennes s’est récemment traduite par sa décision du 12 mars dernier d’alléger temporairement leurs exigences de fonds propres afin de leur permettre de se consacrer pleinement à leur cœur de métier: octroyer des crédits et ainsi soutenir l’économie pour mieux résister aux effets du Covid-19.
Gardons-nous des prophéties de Cassandre sur la solidité de notre système bancaire dans un contexte déjà anxiogène.
Alors concentrons-nous sur l’essentiel: protégeons-nous contre ce virus; mais gardons-nous des prophéties de Cassandre sur la solidité de notre système bancaire dans un contexte déjà suffisamment anxiogène. Loin d’être un motif d’inquiétude, les banques sont un élément déterminant de la stabilité collective et un atout majeur pour la reprise économique