3 avril 2020
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Les règles relatives au travail détaché au sein de l’Union européenne constituent une composante importante de la libre circulation des travailleurs. Le respect par les États membres du règlement modifié n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale est essentiel pour assurer l’effectivité de cette liberté.
La Cour de Justice (grande chambre) a rendu ce jeudi 2 avril un arrêt de principe dans les affaires jointes C-370/17 & C-37/18 Vueling contre CRNPAC et Vueling contre Poignant, qui rappelle aux juridictions françaises la primauté du droit européen sur les dispositions nationales en matière de détachement de travailleurs.
Dans le cadre d'une enquête menée à l'aéroport de Roissy-Charles De Gaulle et remontant aux années 2007/2008, l'inspection du travail avait dressé un procès-verbal de travail dissimulé à l'encontre de Vueling, au motif que des personnels navigants basés dans cet aéroport étaient affiliés à la sécurité sociale espagnole plutôt qu'à la sécurité sociale française. Vueling s'est prévalu des certificats de détachement A1 (ex-E101) émis par l'organisme espagnol de sécurité sociale, autorisant le maintien de l'affiliation de ses personnels navigants à la sécurité sociale espagnole pendant toute la période du détachement, conformément aux règles du Marché intérieur.
Vueling a néanmoins été poursuivie devant les juridictions françaises et a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé par la Cour d'appel de Paris en janvier 2012, confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en mars 2014.
La Cour de Justice de l'Union Européenne, par son arrêt du 2 avril, remet les choses au point, en affirmant que le juge français ne peut unilatéralement se prévaloir d'une prétendue fraude pour écarter des certificats valablement délivrés par les autorités d'un Etat membre, sans avoir préalablement mis en œuvre la procédure européenne de dialogue entre les institutions prévue à cet effet.
En effet, dans son attendu de principe, la Cour déclare que :
« les juridictions d'un Etat membre, saisies dans le cadre d'une procédure judiciaire (…) de faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuse de certificats E101, ne peuvent constater l'existence d'une fraude et écarter en conséquence ces certificats, qu'après s'être assurées d'une part que la procédure prévue à l'article 84 bis a été promptement enclenchée et l'institution de l'Etat membre d'émission a été en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats et d'autre part, que l'institution compétente de l'Etat membre se soit abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position dans un délai raisonnable. »
Dans le cas de Vueling, la Cour relève que les juridictions françaises ont méconnu cette procédure, puisqu'elles ont écarté les certificats de détachement détenus par les personnels navigants de la compagnie avant toute saisine par l'URSSAF de l'institution espagnole ayant émis lesdits certificats.
Autre grand principe énoncé par cet arrêt : la Cour de Justice considère que le principe de primauté du droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'une juridiction d'un Etat membre condamne un justiciable au civil en application du principe de droit national de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (comme c'est le cas en France), lorsque la condamnation pénale est fondée sur un constat de fraude opéré en méconnaissance du droit de l'Union européenne.
La société Vueling a été conseillée par une équipe pluridisciplinaire du cabinet Gide composée de Benoit Le Bret et Foulques de Rostolan (associés), Francis Kessler (senior counsel), Yan-Eric Logeais (counsel) et Diana Calciu (collaboratrice).