17 mai 2020
Plusieurs textes adoptés depuis le début de la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 ont des impacts en droit de l’environnement, en particulier en droit des installations classées.
Cette publication a été mise à jour au 17 mai 2020.
C’est notamment le cas de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période et du décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.
Prise en application l’article 11 de la loi n° 2020-290 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (ci-après l'"Ordonnance Délais") a été modifiée à plusieurs reprises depuis le début de l'état d'urgence sanitaire, en dernier lieu par une ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence saniaire.
Les dispositions de l'ordonnance n°2020-306 modifiée sont applicables « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus » (ci-après la "Période dérogatoire")..
Ainsi, contrairement à la logique initialement retenue,les mesures prescrites par l'ordonnance Délais sont désormais décorrélées de la période d'état d'urgence sanitaire qui a été prorogée,par loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, jusqu'au 10 juillet 2020 inclus.
L’article 2 de l’Ordonnance Délais prévoit que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».
Ainsi, pour les autorisations environnementales à l’égard desquelles le délai de recours doit expirer pendant la Période dérogatoire, le terme du délai est reporté au 24 août 2020 inclus. Par exemple, pour une autorisation environnementale régulièrement publiée le 1er février et affichée le 2 février 2020, le délai de recours contentieux des tiers - d'une durée de quatre mois - devait expirer le 3 juin 2020, soit pendant la Période dérogatoire ; en vertu du report prévu par l’article 2 de l’Ordonnance Délais, les tiers pourront contester ladite autorisation jusqu’au 24 août 2020.
Ce report du délai de recours n’est toutefois pas prévu pour les autorisations environnementales dont le délai de recours expirera juste après la fin de la Période dérogatoire. Ceci conduira à des situations paradoxales où des autorisations environnementales plus anciennes seront toujours susceptibles de recours, tandis que des autorisations environnementales plus récentes seront devenues définitives. Cette interprétation est confirmée par la circulaire du Ministère de la justice du 26 mars 2020 (Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période), dans laquelle il est notamment indiqué que le report de l’échéance ne s’applique pas aux « délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant l’expiration de la cessation de l’état d’urgence sanitaire ».
En l’absence de précisions particulières sur ce point, le report du terme du délai de recours doit s’appliquer tant aux recours contentieux des tiers que des exploitants, ainsi qu’aux recours gracieux ou hiérarchiques qui auraient été exercés à l’encontre des autorisations environnementales et dont le terme initial aurait expiré pendant la Période dérogatoire.
Il convient néanmoins de rappeler, à l’instar du Ministère de la justice dans sa circulaire du 26 mars 2020 précitée, que les requérants peuvent toujours agir dans le délai de recours initialement imparti.
L’article 8 de l’Ordonnance Délais prévoit notamment que « lorsqu'ils n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l'administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er, sauf lorsqu'ils résultent d'une décision de justice. Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l'article 1er est reporté jusqu'à l'achèvement de celle-ci. ».
Deux tempéraments sont toutefois prévus par l’Ordonnance Délais :
A cet égard, le décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 vient considérablement réduire le champ d'application de l'Ordonnance Délais puisqu'il décide que, dès son entrée en vigueur, les délais imposés par l'administration reprennent leurs cours, en particulier les délais concernant l'obligation de se conformer à des prescriptions ou de réaliser des contrôles, des analyses ou des actes de surveillance, ayant pour objet la sécurité, la protection de la santé et de la salubrité publique et la préservation de l'environnement (tel est notamment le cas de toutes les mises en demeure) ou lorsque ces délais sont relatifs à des travaux et des mesures d'évitement, de réduction et de compensation prescrits dans le cadre d'une dérogation à la protection des espèces.
Ainsi, notamment en matière d’installations classées, si le délai de mise en conformité fixé par un arrêté préfectoral de mise en demeure d'avoir à se conformer aux prescriptions applicables n'avait pas expiré avant le 12 mars 2020, il n’a été suspendu que jusqu’au 3 avril 2020 et recommence à courir à cette date.
S’agissant d’une suspension de délai, ce dernier recommence à courir pour la période restante à la date de la suspension.
En tout état de cause, il convient de relever que l'ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 précise que les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance Délais "ne font pas obstacle à l'exercice, par l'autorité administrative, de ses compétences pour modifier ces obligations ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont elle a la charge le justifient, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles, dans le délai qu'elle détermine. Dans tous les cas, l'autorité administrative tient compte, dans la détermination des obligations ou des délais à respecter, des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire".
Ainsi, les préfets peuvent, par exemple, lever ou prendre des arrêtés de mise à demeure d'avoir à se conformer à la législation relative aux installations classées pendant l'état d'urgence sanitaire : dans ce dernier cas néanmoins, les obligations et délais doivent tenir compte des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire.
D’une part, en application de l’article 7 de l’Ordonnance Délais, les délais « à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er ».
Ainsi par exemple, les avis administratifs qui doivent être recueillis dans un délai déterminé au cours de l’instruction d’un dossier d’autorisation environnementale ne seront pas considérés comme implicitement acquis pendant la Période dérogatoire ; durant cette période, lesdits délais sont suspendus et recommenceront à courir, à compter du 24 juin 2020, pour la période restante.
De même, l’application de l’article R. 181-42 du code de l’environnement selon lequel « le silence gardé par le préfet à l'issue des délais prévus par l'article R. 181-41 pour statuer sur la demande d'autorisation environnementale vaut décision implicite de rejet » est suspendue pendant la Période dérogatoire, dans les conditions décrites ci-dessus.
Une demande d’autorisation de changement d’exploitant sollicitée en application des articles L. 516-1 et R. 516-1 du code de l’environnement ne devra pas non plus être considérée comme acquise dès lors que le délai de trois (3) mois imparti au préfet pour se prononcer expire pendant la Période dérogatoire[1]. Le délai de trois (3) mois est suspendu pendant la Période dérogatoire et reprendra son court à compter du 24 juin 2020.
D’autre part, l’Ordonnance Délais aménage les règles applicables aux enquêtes publiques :
« Lorsque le retard résultant de l'interruption de l'enquête publique ou de l'impossibilité de l'accomplir en raison de l'état d'urgence sanitaire est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent, l'autorité compétente pour organiser l'enquête publique peut en adapter les modalités :
1° En prévoyant que l'enquête publique en cours se poursuit en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés. La durée totale de l'enquête peut être adaptée pour tenir compte, le cas échéant, de l'interruption due à l'état d'urgence sanitaire. Les observations recueillies précédemment sont dûment prises en compte par le commissaire enquêteur ;
2° En organisant une enquête publique d'emblée conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés ».
Ainsi, pour les projets présentant à la fois un intérêt national et un caractère urgent et à condition qu'un retard de l'enquête publique puisse entraîner des conséquences difficilement réparables, les enquêtes publiques les concernant peuvent être dématérialisées.
Néanmoins, lorsque la durée de l'enquête publique s’étend au-delà du 30 mai 2020, l'article 12 prévoit la possibilité de revenir, pour la durée de l'enquête restant à courir, aux modalités d'organisation de droit commun.
En tout état de cause, le public est informé par tout moyen compatible avec l'état d'urgence sanitaire de la décision prise quant aux modalités d’organisation de chaque enquête publique.
La situation des procédures administratives en cours n’est pas directement réglée par l’Ordonnance Délais, mais par l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, modifiée par l’ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, modifiée en dernier lieu par une ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020.
L'ordonnance n° 2020-305 modifiée, prévoit notamment que :
(i) les clôtures d’instruction dont la date était initialement fixée entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 inclus "sont prorogées de plein droit jusqu'au 23 juin 2020 inclus, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge" ; toutefois, le juge peut, « lorsque l'urgence ou l'état de l'affaire le justifie », fixer une date de clôture d'instruction antérieure à la date du report précité ; dans ce cas, l’ordonnance de clôture d’instruction doit mentionner que le report ne s’applique pas (article 16, II de l'ordonnance n° 2020-305 modifiée) ;
(ii) les mesures d'instruction prescrites par les juridictions administratives (par exemple, pour régulariser une requête, produire une pièce ou un mémoire) dont le terme vient à échéance entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 sont prorogées de plein droit jusqu'au 24 août 2020 inclus, à moins que le juge fixe un délai plus bref au motif que « l'affaire est en état d'être jugée ou que l'urgence le justifie » ; dans ce dernier cas, le juge doit indiquer que le report ne s’applique pas (article16, I de l’ordonnance n° 2020-305 modifiée) ;
(iii) les délais pour produire un mémoire ou une pièce prévus par un texte législatif ou réglementaire et qui prennent fin pendant la Période dérogatoire, recommencent à courir à compter de la fin de cette période pour leur durée initiale, dans la limite de deux mois (article 15 de l’ordonnance n° 2020-305 qui renvoie à l’article 2 de l’Ordonnance Délais).
La tenue des audiences est également adaptée, tout comme les modalités de transmission des actes de procédure et des décisions.
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[1] Aux termes de l’article R. 516-1 du code de l’environnement : « […] La demande d'autorisation de changement d'exploitant, à laquelle sont annexés les documents établissant les capacités techniques et financières du nouvel exploitant et la constitution de garanties financières est adressée au préfet.
Cette demande est instruite dans les formes prévues aux articles R. 181-45 et R. 512-46-22.
Pour les installations mentionnées aux 1°, 2° et 5°, l'avis de la commission consultative départementale compétente n'est pas requis. A défaut de notification d'une décision expresse dans un délai de trois mois, le silence gardé par le préfet vaut autorisation de changement d'exploitant ».
L’équipe Droit Public, Energie & Environnement de Gide, spécialiste du droit de l'environnement, est à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à ce sujet. Vous pouvez également consulter votre contact habituel au sein du cabinet.
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