3 juin 2020
Présentation de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 et du décret n° 2020-418 du 10 avril 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants.
Cette publication a été mise à jour le 3 juin 2020.
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, le Gouvernement a adopté le 25 mars 2020 une ordonnance "portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales […] en raison de l’épidémie de Covid-19".
Cette ordonnance autorise, dans le contexte actuel, la réunion à distance des organes de gouvernance des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé, ainsi que la tenue à huis clos de leurs assemblées générales. Elle est donc prise à titre temporaire jusqu'au 31 juillet 2020[1] avec un effet rétroactif au 12 mars 2020 permettant de régulariser les réunions qui se sont déjà tenues à distance ou à huis clos.
Ses principales dispositions sont décrites ci-dessous, avec une attention particulière sur les sociétés cotées. Des dispositions réglementaires sont au surplus venues préciser celles de l'ordonnance pour parachever ce dispositif de crise.
Si la participation "à distance" des membres d'organes de gouvernance était déjà possible, celle-ci restait soumise à un certain nombre de contraintes. Ainsi, pour un conseil d'administration de société anonyme, encore fallait-il que cela soit prévu dans son règlement intérieur.
L'ordonnance renverse ce principe en énonçant que sont réputés présents ceux qui participent à distance ; nul besoin désormais de le prévoir dans les statuts ou dans le règlement intérieur et toute clause contraire est neutralisée. L'ordonnance généralise aussi le recours à la consultation écrite pour la prise de décision des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction.
La possibilité de réunir ces organes de gouvernance à distance s'appliquera à toutes les décisions, y compris celle d'arrêté des comptes qui nécessitait jusqu'ici une réunion physique.
Sur décision du conseil d’administration[2], l’assemblée générale pourra se tenir à "huis clos", c’est-à-dire sans que les actionnaires ou leurs mandataires ne soient physiquement présents.
La possibilité de recourir au huis clos suppose que l'assemblée soit convoquée en "un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires". Cette possibilité semble toujours ouverte à ce jour pour les assemblées réunissant un nombre significatif d'associés, au vu, en particulier, du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 qui interdit "tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes sur l'ensemble du territoire de la République"[3] et autorise l'organisation de rassemblements et réunions sous la condition de veiller au strict respect de mesures sanitaires, incluant "la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes", et qui "doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance"[4].
Ainsi, le huis clos reste admis si les mesures de confinement ont cessé à la date de l'assemblée pour autant qu'elles étaient en vigueur au jour de la convocation. Selon le rapport au Président de la République, la convocation doit être entendue largement pour y inclure l’avis de réunion publié par les sociétés cotées.
Cette faculté de tenir l'assemblée à huis clos permettra d'éviter son report. Le paiement des dividendes n'aura pas à être différé (ce qui permet d'éviter le recours à des acomptes sur dividende), de même que le renouvellement des délégations financières des émetteurs, souvent indispensables à leur financement. Enfin, cela permettra de procéder au paiement d'une partie des rémunérations des mandataires sociaux qui est subordonné à un vote positif sur le say on pay.
Opposées au huis clos, certaines agences de conseil en vote ont publiquement marqué leur préférence pour un report de l'assemblée à une époque où les mesures de confinement auront pris fin[5]. Selon elles, le report à une date où les sociétés auront plus de visibilité sur l'exercice 2020 pourrait conduire les sociétés à reconsidérer le montant du dividende au titre de 2019 compte tenu de l'impact du coronavirus sur leur activité.
On signalera que l'ordonnance assouplit le recours à la consultation écrite pour les assemblées lorsque ce mode de participation alternatif est déjà prévu par la loi, en le rendant possible pour toute décision d'assemblée sans qu’une clause des statuts ou du contrat d’émission soit nécessaire ni ne puisse s’y opposer.
Pour les sociétés qui ont déjà procédé aux formalités de convocation d'une assemblée physique, le passage à une assemblée à huis clos n'obligera pas à renouveler ces formalités (et à faire courir à nouveau les délais réglementaires). En ce cas, les sociétés cotées devront en informer leurs actionnaires par voie de communiqué de presse.
L'ordonnance a anticipé une possible impossibilité de procéder à la convocation par voie postale des actionnaires au nominatif (par ex. dysfonctionnement des services postaux). A cet effet, il y est précisé qu'aucune nullité de l'assemblée n'est encourue du seul fait qu'une convocation par voie postale n'a pu être réalisée "en raison de circonstances extérieures à la société". Cette protection qui ne bénéficie qu'aux sociétés cotées supposera que l'émetteur ait tenté en pratique de procéder à la convocation.
L'ordonnance prévoit que les actionnaires qui participeront à l'assemblée par conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant leur identification seront réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité. En pratique, ce vote "en direct" sera exclu pour la majorité des sociétés cotées faute de disposer d’un moyen technique permettant de vérifier en temps réel la qualité d’actionnaire des participants.
Ainsi, les modalités habituelles de participation à distance (vote par correspondance ou pouvoir à un mandataire ou au président) prévaudront à défaut de participation physique. Le décret d’application de l’ordonnance privilégie sur ce point de manière notable la voie électronique, et ce à deux égards.
D’abord, en cas de vote par correspondance, l’organe compétent pour convoquer l’assemblée pourra autoriser la transmission des instructions de vote par message électronique à l’adresse l’électronique indiquée dans la convocation. Le recours au vote électronique en séance à l’initiative de cet organe est également ouvert dans les sociétés anonymes, en commandite par actions et les SARL, y compris pour les assemblées d’obligataires et de porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital, sans qu’une clause statutaire ne soit nécessaire pour ce faire. Toutefois, dans ce dernier cas, la nécessité d’aménager un site internet exclusivement consacré à ces fins demeurera de mise.
Ensuite, en cas de vote par mandataire (hors pouvoir en blanc), et toujours sur décision de l’organe compétent pour convoquer l’assemblée, les mandats pourront être adressés par message électronique à l’adresse électronique indiquée dans la convocation. Dans les sociétés anonymes et en commandite par actions, les mandats de même que les instructions transmises par le mandataire pourront valablement parvenir à la société jusqu’au quatrième jour précédant la date de l’assemblée.
Cet accès à distance devient également la norme à propos du droit de communication des actionnaires en amont de l'assemblée, lequel s'exercera désormais par voie électronique. Cela suppose néanmoins que l'actionnaire précise son adresse e-mail dans sa demande.
A l'impossibilité de voter en "direct" s'ajoutera probablement l'impossibilité de formuler en cours de séance une demande d’ajout[6] ou de modification de résolution. Dans la même veine, les questions orales posées en cours d'assemblée pourraient aussi être remises en cause.
Les sociétés resteront néanmoins libres de prévoir un maintien de ces droits sous une forme potentiellement dégradée. Ainsi, pourrait être organisée la possibilité pour les actionnaires de soumettre en amont de l'assemblée leurs questions orales ou modifications de résolution, de manière assez similaire à ce qui existe pour les questions écrites.
Le décret d’application de l’ordonnance a toutefois permis de résoudre certaines questions pratiques afférentes à la tenue à huis clos des assemblées :
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[1] Sous réserve d’une prorogation jusqu’à une date ultérieure n'excédant pas le 30 novembre 2020
[2] Ou de l'organe compétent pour la convocation de l'assemblée.
[3] V. art. 3 I du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
[4] V. art. 1er du décret n° 2020-663.
[5] A cet effet, une ordonnance distincte étend de trois mois le délai pour l'approbation des comptes sous réserve que le commissaire aux comptes n'ait pas rendu son rapport avant le 12 mars 2020.
[6] En pratique, cela vise la demande de révocation d'un administrateur.
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