26 mars 2019
France | UE | IP-TMT | Les Echos
Les eurodéputés se prononcent, une ultime fois, ce mardi, sur le projet de directive sur le droit d'auteur. Pour Olivier Cousi, avocat ssocié de Gide spécialisé en droit des médias, technologies & télécommunications, l'Europe doit apporter un rééquilibrage entre les acteurs de l'Internet et préserver ainsi l'activité des entreprises de presse.
Cet article a été publié dans Les Echos du 26 mars 2019 et est consultable sur le site des Echos.
Après les illusions perdues d’un Internet libertaire ou du Web 2.0 collaboratif, l’Internet est devenu un grand marché numérique global, clairement dominé par l’oligopole de quelques entreprises mondiales qui en contrôlent l’accès et en maîtrisent très majoritairement l’utilisation par leurs services en ligne.
Pour les financer, ils monétisent ces services ou commercialisent les données personnelles qu’ils recueillent, mais, surtout, ils exploitent et contrôlent le marché publicitaire en ligne.
Une offre de service sur Internet ne peut exister sans contenu (photo, vidéo, musique ou information), principal élément d’attractivité et de différenciation pour ces opérateurs mondiaux.
L’information est un contenu indispensable. Pourtant, elle est collectée, exploitée et monétisée sur les réseaux sans contrepartie, alors qu’elle provient du travail d’édition réalisé par les éditeurs de presse.
Confrontées à la transformation de leur lien avec les lecteurs, à la baisse de la diffusion, à la captation du revenu publicitaire par les plates-formes, et face à la dépendance dans laquelle les placent les plates-formes pour l’accès au marché publicitaire en ligne, ces entreprises de presse ne pourront survivre sans ressource nouvelle.
Avec la directive relative au droit dans le marché numérique qui vient en débat final au Parlement européen ce 26 mars, l’occasion est donnée de confirmer que le droit est un outil efficace de régulation et de préservation de la valeur des créations dans le marché digital.
L’Europe doit saisir l’occasion d’apporter un rééquilibrage essentiel et nécessaire entre les acteurs de l’Internet et préserver ainsi l’activité des entreprises de presse.
L’article 15, qui prévoit la création d’un droit « voisin » du droit d’auteur, permettra en effet de faire bénéficier les éditeurs de presse d’une rémunération équitable versée par les « utilisateurs » que sont les grandes plates-formes mondiales. C’est un mécanisme juridique efficace et qui a fait ses preuves pour permettre la répartition équitable des profits d’exploitation des contenus entre ceux qui les créent et ceux qui les valorisent.
Mais le vote de la directive n’est pas acquis et des menaces planent encore sur la mise en oeuvre et l’efficacité du mécanisme.
En premier lieu, il faudra s’assurer que toutes les publications seront bien concernées ainsi que tous les éditeurs.
Ensuite, l’exclusion de la protection des « snippets » ou de « très courts extraits » risque de rendre inefficace la mise en place de ce nouveau droit.
La reprise de toute information, quelle qu’en soit la forme, doit constituer une violation de ce nouveau droit voisin de l’entreprise de presse ; en effet, l’investissement et le travail nécessaires à l’édition d’une « information » d’un titre ou d’un résumé ne sont pas proportionnels à la longueur du texte. Même exprimée en trois mots ou en une seule formule unique, une information essentielle et exclusive qui a nécessité de lourdes investigations ne peut être diffusée sans que l’éditeur de presse puisse revendiquer son droit exclusif et en recevoir une légitime rémunération.
L’information est un enjeu démocratique essentiel. Rappelons que les journalistes et auteurs qui contribuent aux entreprises de presse sont soumis à une formation professionnelle et à une déontologie exigeante, les publications de presse sont nécessaires au débat démocratique et c’est pour cela que leur contenu doit être protégé.
Face au risque de désinformation de masse ou à une possibilité d’influence sur l’opinion sans précédent, et dont on mesure encore mal la puissance, se pose une question existentielle pour notre démocratie, comment préserver, selon le mot de Goethe, « la seigneurie de soi-même » lorsque la citoyenneté repose sur une capacité à interpréter de manière critique et éclairée des informations reçues si les éditeurs de presse ne peuvent plus financer le travail des journalistes.