13 juillet 2020
Interview | Wansquare | Juillet 2020
Stéphane Puel et Xavier de Kergommeaux partagent leurs visions de la crise et des transformations de demain pour la société et les entreprises. Un entretien croisé à lire sur Wansquare.
Wansquare : Comment votre entreprise a-t-elle traversé la crise du Covid-19 ?
Stéphane Puel : Le cabinet Gide a la chance d'être entré dans la crise avec une activité forte pour toutes ses pratiques et tous ses bureaux internationaux, ce qui nous a permis de la traverser avec une confiance raisonnée. Nous avons pu mesurer une nouvelle fois la force de notre modèle pluridisciplinaire, le maintien voire le développement de certaines activités ayant compensé le ralentissement d'autres. La priorité absolue a d'abord été la santé de nos collaborateurs. Nous avons décidé très rapidement de mesures de confinement et organisé le travail de l'ensemble des équipes à distance. Nous avons par ailleurs organisé un dialogue constant entre les équipes autour de la situation du cabinet et des dossiers de nos clients. La France a fait face à une production législative sans précédent, avec la loi d'urgence qui concernait de nombreux secteurs et enjeux. Nous avons été le premier cabinet d'avocats à mettre en place une taskforce multidisciplinaire Covid-19 qui a décrypté tout au long de cette période les mesures adoptées pour nos clients, comprenant notamment des experts en contrats commerciaux, concurrence, commerce international, droit des sociétés, conformité, protection des données, environnement, ou encore immobilier et restructuration. Dans la perspective de la sortie de la crise, nous avons structuré Gide Rebound, une offre transversale concentrée sur la recherche de solutions à court et long termes pour construire demain. Enfin, je dirais que cette crise a permis d'accélérer notre transformation et de faire évoluer notre rapport à la performance et nos façons de travailler, avec des avancées majeures en un temps assez réduit.
Y aura-t-il, pour vous, une "France d’après" cette crise sanitaire et économique ?
Stéphane Puel : Cette crise est singulière car elle est plurielle - sanitaire, économique et sociale -, d'une magnitude extrême et touche tous les pays dans un même temps. Elle aura nécessairement des conséquences considérables sur de nombreux pans de l'économie, marquées pendant un temps que nous espérons le plus court possible par des restructurations et des défaillances d'entreprises ainsi qu'une forte remontée du chômage, A plus long terme, je crois qu'elle devrait également amplifier certaines évolutions que l'on observait déjà avant la crise, accélérées par les nouvelles technologies : les relocalisations de secteurs stratégiques, les adaptations de notre mode de production ou encore une réflexion sur les règles du commerce mondial, entre autres. J'espère que cette crise, à l'instar d'autres, sera également porteuse de transformations positives pour les entreprises, l'environnement et la société. Nous avons ainsi assisté à une réactivité et un engagement certain de nos services publics, l'émergence de nouvelles formes de solidarités issues du privé, des mobilisations individuelles extraordinaires dont chacun devra tirer les enseignements et, dans tous les secteurs économiques, la prise en considération croissante des critères ESG.
La crise du coronavirus va-t-elle rebattre les cartes de la mondialisation ?
Xavier de Kergommeaux : La crise sanitaire a mis en évidence que la mondialisation avait généré des faiblesses liées à une trop forte interdépendance, et a fait émerger le besoin d’une initiative européenne. Sur le plan financier, les dirigeants européens ont su répondre aux attentes et apporté, beaucoup plus rapidement qu'en 2008-2009, une réponse forte et coordonnée (plan de plus de 500 milliards d’euros) n'oubliant pas l’écologie avec le Green deal et les nouveaux engagements ESG. Enfin, la crise a permis de mettre en valeur le rôle essentiel du droit dans l’accompagnement de l’économie. De ce point de vue, il est intéressant de constater que l'Europe semble enfin perdre sa naïveté en matière de commerce international. Avec en toile de fond la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, une décision publiée le 15 juin dernier par la DG Commerce de la Commission européenne est symptomatique de ce revirement. Cette décision affirme que des aides d'Etat chinoises accordées à des entités égyptiennes, leur permettant de développer des usines en Égypte puis d'exporter des produits vers l'Europe, tombaient sous le règlement anti-subventions européen. La Commission européenne a imposé en conséquence des droits à l’importation des produits concernés égyptiens, pour compenser ces subventions transnationales. C'est une première mondiale.
Faut-il davantage de "souverainisme économique" comme le dit le Chef de l’État ?
Stéphane Puel : A mon sens, la réponse à la crise se situe plus à l'échelle européenne que nationale. L'’Europe doit continuer à se renforcer si elle souhaite rester compétitive et faire grandir les nations qui la composent. L'ambition d'une plus forte résilience face aux crises sanitaires ou économiques futures passera également par une remise à plat des stratégies économiques pour certains secteurs clés, qui pourront nous apporter une attractivité, une indépendance et une stabilité plus importantes. Ceci passe également par une plus grande prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux au niveau du continent et d'une multiplication des initiatives, de façon à créer un ensemble plus cohérent. Avec Xavier, nous pensons que l'attractivité de la France au sein de l'Europe doit également être un objectif essentiel. De grandes avancées ont été réalisées ces toutes dernières années sur ce thème, mais la crise récente et les conséquences qu'elle va avoir, notamment en termes de relocalisations et d'iinnovation, va renforcer cette exigence.
Xavier de Kergommeaux : Pour compléter, de mon point de vue, les relocalisations en France et en Europe resteront limitées pour des raisons de coûts, mais il est impératif de chercher à diversifier nos sources d'approvisionnement pour ne plus dépendre d'un seul pays ou d'une seule zone géographique pour des pans entiers de notre économie.
Êtes-vous inquiets de l’état de nos finances publiques après cette crise ?
Xavier de Kergommeaux : Le problème des finances publiques est bien antérieur à cette crise. Malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années, la France est en retard sur ce sujet hautement important pour l’attractivité de notre pays. L'idéal serait de pouvoir profiter de cette crise pour être inventif au niveau européen et définir un nouveau cadre de stabilité pour les finances publiques des Etats membres. En particulier, il me paraîtrait intéressant que tous les Etats membres réfléchissent ensemble au défi que représentent pour tous la transition démographique et le financement des régimes de retraites. Tous les Etats sont confrontés au même problème et j'ai la conviction que tôt ou tard les banques centrales européennes seront conduites à participer au financement de cette transition démographique. Le fait d'y réfléchir à l'avance et de mettre en place un plan de financement coordonné aurait pour avantage d'alléger les angoisses de notre continent vieillissant, dont les jeunes pensent qu'ils vont devoir rembourser la dette et payer les retraites des seniors, et dont les seniors pensent qu'ils ne toucheront qu'une retraite modique après une vie de travail et de cotisations.
Si vous deviez souffler une mesure à nos dirigeants, quelle serait-elle ?
Xavier de Kergommeaux : Si l'on se projette dans 20 ans, je pense que rares seront les pays où la paix régnera, où les libertés fondamentales seront respectées, où les infrastructures et les services publics seront adaptés aux besoins des populations et des entreprises et où l'environnement sera agréable à vivre. La France et l'Europe doivent investir sans relâche sur ces avantages comparatifs. L'Europe a permis de parvenir à une paix durable et à des libertés fondamentales garanties. Elle a aussi contribué à une certaine prospérité, dont les populations européennes ne sont pas nécessairement conscientes mais qui saute aux yeux lorsque l'on voyage hors de l'Union européenne. Il faut reprendre l'initiative au niveau européen pour établir ensemble les conditions d'une attractivité européenne à long terme.
Stéphane Puel : Je reste convaincu que construire une attractivité plus forte pour la France doit être l'objectif premier de toute action politique pour les mois et années à venir, car elle sera le socle de la relance économique. Toutes les mesures adoptées doivent poursuivre cet objectif. A cet effet, la norme de droit doit être utilisée non seulement pour encadrer, mais également pour attirer. Il me semble par ailleurs primordial de démontrer que ces mesures de renforcement de l'attractivité du pays peuvent se concilier avec la prise en compte de critères sociaux et environnementaux exigeants. Je suis confiant dans la capacité de nos institutions à définir cet équilibre dans les années à venir.