25 janvier 2023
Quoiqu'elle soit en pratique fortement concurrencée par l'usage des clauses de leaver stipulées dans des pactes extrastatutaires sous forme de promesses unilatérales de vente sous condition suspensive, la clause d'exclusion demeure une prévision statutaire très souvent incontournable dans les sociétés teintées d'un certain intuitus personae, et ce en particulier dans les sociétés par actions simplifiées (SAS).
Trois décisions récentes sont venues stimuler de manière notable le recours à la liberté contractuelle en la matière, quitte à montrer peu d'égard pour le respect des droits fondamentaux de l'associé évincé.
La première décision, en date du 12 octobre 2022[1], prend acte de la réforme entreprise par la loi dite Soilihi du 19 juillet 2019 en vue de faciliter l'adoption et la modification des clauses d'exclusion dans les statuts de SAS, en jugeant celle-ci applicable à l'ensemble des SAS indépendamment de leur date de constitution.
Rappelons en effet que, rompant avec l'exigence traditionnelle de l'unanimité des associés expressément posée par la loi depuis l'apparition de la SAS dans le paysage sociétaire, et généralement admise pour toutes les formes sociales, la loi Soilihi a ouvert aux associés de SAS la possibilité d'insérer ou de modifier une clause d'exclusion dans les statuts par le simple biais d'une décision collective dans les conditions et formes prévues par les statuts. Autrement dit, une clause d'exclusion peut désormais parfaitement intégrer les statuts ou évoluer dans ses termes en cours de vie sociale par le fruit d'une simple décision majoritaire.
Alors que le point soulevait de sérieux doutes au regard du principe de survie de la loi ancienne qui régit traditionnellement l'application dans le temps d'une loi nouvelle en matière contractuelle, le premier apport de la décision réside dans le choix d'une telle application à toutes les SAS, y compris celles - par hypothèse fort nombreuses - qui ont été constituées avant juillet 2019 et sont toujours existantes. La Cour de cassation se réfère pour ce faire à la théorie - quelque peu obscure - des "effets légaux du contrat" pour mettre en œuvre cette application uniforme, ce qui ouvre des perspectives inattendues pour les associés contrôlant des SAS. Pour les minoritaires, en revanche, cette décision est plus inquiétante, en ce qu'elle les expose à la perspective d'être évincés sans qu'ils n'aient généralement les moyens de s'opposer à la stipulation en question.
C'est précisément sur ce point que l'arrêt présentait un intérêt plus grand encore, la Cour ayant décidé de renvoyer à l'appréciation du Conseil constitutionnel plusieurs QPC pointant un risque sérieux d'incompatibilité de ces dispositions avec la protection du droit de propriété telle que résultant de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC). D'une part, la Cour estimait qu'il aurait pu en résulter une privation de la propriété de ses titres par un associé sans que cette privation ne repose sur une cause d'utilité publique, au regard des exigences de l'article 17 de la DDHC. D'autre part, elle considérait que l'éventualité d'une exclusion d'un associé de SAS sans que celui-ci n'ait été tenu en toute hypothèse d'y consentir par avance aurait également pu constituer une atteinte excessive au droit de propriété tel que protégé par l'article 2 de cette même DDHC.
La deuxième décision est précisément la réponse formulée par le Conseil constitutionnel à ces QPC, intervenue le 9 décembre 2022[2], et qui consacre la constitutionnalité des dispositions contestées.
Le Conseil se refuse tout d'abord à identifier une privation de propriété au sens de l'article 17 de la DDHC, en considérant - nous semble-t-il à juste titre - que l'exclusion ne saurait procéder que d'une règle statutaire facultative. Autrement dit, et même si l'on peut regretter le laconisme de la décision sur ce point, la clause statutaire d'exclusion n'est pas assimilable à la remise en cause radicale d'un droit de propriété donné sous l'effet d'une décision de la puissance publique, telle une mesure d'expropriation, de nationalisation ou de privatisation.
Le Conseil écarte ensuite pareillement le grief de restriction excessive au droit de propriété au sens de l'article 2 de la DDHC, moyennant un argumentaire quelque peu désordonné et discutable sur certains points.
Le Conseil admet en premier lieu, et de manière prévisible, la poursuite d'un objectif d'intérêt général par le législateur, en se référant notamment de manière expresse aux travaux parlementaires de la loi Soilihi qui mettaient en avant le risque de blocage de la société compte tenu de la règle antérieure de l'unanimité. Il soutient en second lieu l'absence d'atteinte disproportionnée au droit de propriété, ce dont on aurait légitimement pu douter. Pour ce faire, il invoque d'abord une jurisprudence constante imposant une série de garanties protégeant l'associé évincé comme (i) le suivi d'une procédure statutaire, (ii) le respect d'un motif prévu par les statuts - exigence qui paraît pourtant avoir été démentie par la Cour de cassation dans la dernière décision rendue le 9 novembre 2022[3]- et conforme à l'ordre public, ainsi que (iii) l'absence d'exclusion abusive. Il précise ensuite que l'associé exclu bénéficie en tout état de cause d'un rachat de ses titres, et pourra toujours au surplus contester judiciairement à la fois (i) la réalité et la gravité du motif d'exclusion et (ii) le prix de cession. Cette dernière affirmation surprend doublement, dans la mesure où (i) il est traditionnellement admis qu'un motif d'exclusion purement objectif mais clairement formulé soit valable, nonobstant toute appréciation de sa gravité, et où (ii) il n'existe pas d'autre contestation judiciaire possible du prix de rachat que celle fondée sur le seul droit commun des contrats et s'appuyant sur la contrepartie dérisoire que constituerait un prix affecté par une décote très importante.
Au-delà, en dépit de la consécration de la constitutionnalité du dispositif, d'autres voies contentieuses pourraient fort bien être explorées à l'avenir par des minoritaires ainsi évincés sans leur consentement préalable et/ou à des conditions très défavorables de rachat de leurs titres. Sans exhaustivité, on peut ici citer l'invocation du 1er protocole additionnel de la Conv. EDH, le recours à la théorie de l'abus de majorité, ou encore la possible extension du contrôle judiciaire de l'abus sur le terrain du juste prix de rachat.
Enfin, la troisième décision, en date du 9 novembre 2022[4], admet pour sa part la licéité de clauses statutaires d'exclusion subordonnées à de simples "justes motifs".
Contrairement à ce qui était le plus souvent affirmé, il n'est donc pas nécessaire de préciser davantage les motifs en question, sous peine que soit réputée non écrite la clause en ce qu'elle conférerait un pouvoir discrétionnaire à l'organe social désigné pour prononcer l'exclusion au mépris du droit de tout associé à conserver la propriété de ses titres sociaux.
Bien que la solution soit rendue à propos d'une société à capital variable, il y a tout lieu de penser qu'elle soit transposable aux SAS, dans la mesure où les textes prévoyant le recours à des clauses statutaires d'exclusion sont rédigés dans des termes extrêmement proches pour ces deux types de sociétés, avec un accent commun mis sur la liberté contractuelle sur ce point.
Il restera toutefois à s'assurer qu'en présence d'une telle clause le motif d'éviction notifié à l'associé s'avère suffisamment "juste". Rien ne lui interdirait de contester judiciairement la réalité de ce motif, de sorte que serait sanctionnée la société qui se serait abstenue de s'expliquer à ce propos ou aurait insuffisamment motivé sa décision. En pareil cas, la sanction demeure incertaine : outre des dommages-intérêts, il n'est pas interdit de penser que l'associé pourrait agir en nullité de la décision d'exclusion en s'appuyant sur son caractère abusif, bien que le point demeure incertain.