15 janvier 2024
Hasard du calendrier ? La recommandation 2023-R-01 a été émise par le régulateur français du secteur des assurances moins de deux mois après l’adoption, le 24 mai 2023, par la Commission européenne, de la proposition de directive en matière de protection des investisseurs de détail (dite « Retail Investment Strategy » ou « RIS »), visant à réglementer, de manière transversale, l’ensemble des produits d’investissement.
La RIS suscite des inquiétudes notamment s’agissant de la rémunération des distributeurs, en posant une interdiction, pour l’heure partielle, des incitations versées pour les ventes sans conseils de produits d’investissement fondés sur l’assurance. Elles resteraient autorisées, a minima, pour les ventes avec conseil, sauf si le conseil est présenté comme fourni de manière indépendante.
Afin de démontrer que la réglementation actuelle, renforcée par cette recommandation, suffit à satisfaire aux exigences de protection des investisseurs, le Secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (« ACPR ») a alerté les acteurs du marché sur la nécessité de respecter scrupuleusement la recommandation, l’objectif étant notamment de préserver le modèle français de rémunération dont le commissionnement constitue la modalité la plus répandue.
C’est dans ce contexte que la recommandation explicite certaines dispositions issues de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances (dite « DDA ») et du Code des assurances en matière de gouvernance produits, de rémunération et de conflits d’intérêts.
S’agissant du périmètre de cette recommandation, elle s’adresse aux concepteurs et aux distributeurs de produits d’assurance vie et non vie, y compris lorsqu’ils interviennent en France en libre prestation de services ou en libre établissement.
En matière d’assurance vie, le régulateur précise ses attentes notamment concernant la notion d’adaptation significative, la détermination des marchés cibles et le concept de « value for money » ou rapport coûts-bénéfices.
La qualification d’« adaptation significative » est loin d’être anodine puisque les produits d'assurance ayant subi ce type de modifications doivent faire l'objet d'un processus de validation, au même titre qu’un nouveau produit.
Pourtant, cette notion n’est explicitement définie ni par la DDA ou les règlements délégués, ni par le droit français. Seule une question-réponse de l’EIOPA (Q&A n° 2266) définissait la notion d’« adaptation significative » comme une modification des caractéristiques essentielles du produit.
La recommandation liste, de manière non exhaustive, des modifications relatives au produit ou aux droits et obligations du consommateur du produit, susceptibles de constituer des « adaptations significatives ». Sont visés : le niveau de chargement, le tarif, les garanties de fidélité, les modalités de calculs et d’attribution de la participation aux bénéfices, la modification/l’ajout/la suppression d’un mode de gestion ainsi que la modification de la liste des supports telle que l’ajout/la suppression d’une nature de supports.
Afin d’évaluer si une ou plusieurs modifications d’un produit constitue(nt) des adaptations significatives, l’ACPR attend des concepteurs de produits qu’ils construisent une grille d’analyse et de critères objectifs, notamment sous forme d’indicateurs et de seuils.
Le dispositif de gouvernance et de surveillance des produits d’assurance a pour objet d’assurer que les produits commercialisés répondent aux besoins et caractéristiques des clients.
Pour ce faire, les textes en vigueur imposent un processus de validation nécessitant la détermination d’un marché cible pour chaque produit compte tenu, notamment, du profil de risque, de la complexité et de la nature du produit.
Pour autant, les textes ne définissent pas précisément cette notion de marché cible.
Jusqu’à présent, seule une question-réponse publiée par l’EIOPA (Q&A n° 1612) précisait que la détermination d’un marché cible doit notamment tenir compte de la connaissance des produits par les clients, de leurs objectifs financiers et extra-financiers, de leur catégorie d’âge, de leur situation financière, de leur situation professionnelle et de leur tolérance au risque.
L’un des apports importants de la recommandation réside dans la segmentation du marché cible jusqu’à six sous-groupes selon la complexité du produit et les modes de gestion proposés.
Il est ainsi attendu des concepteurs qu’ils se dotent d’une grille d’analyse et de critères objectifs permettant de mesurer la complexité du produit et de s’assurer que le niveau de granularité du marché cible est approprié au niveau de complexité du produit.
A cette fin, il est recommandé aux concepteurs de prendre en compte la nature des garanties, la structure et la diversité des frais, le nombre et la nature des unités de compte ainsi que les critères qui figuraient déjà dans la question-réponse de l’EIOPA, à savoir : la connaissance et l’expérience du client, sa situation personnelle et financière, sa tolérance au risque, ses objectifs et ses besoins.
Les concepteurs devront également définir des sous-groupes incompatibles avec le produit et, s’agissant des unités de compte complexes, déterminer un marché cible spécifique et un marché cible négatif.
L'EIOPA indiquait dans une déclaration de novembre 2021 que les produits d'assurance offrent, selon elle, un bon rapport qualité-prix lorsque les coûts et les frais sont proportionnés aux avantages pour le marché cible identifié et qu'ils sont raisonnables.
L’ACPR a communiqué en juin 2023 ses attentes concernant la revue du rapport qualité-prix des unités de compte d’un contrat d’assurance vie, saluant les évolutions recommandées à ses membres par France Assureurs, visant à garantir que les unités de compte référencées dans les contrats d’assurance vie présentent un rapport frais-performance suffisamment protecteur des intérêts de la clientèle.
L’un des autres apports importants de la recommandation réside ainsi dans la nécessité, pour les concepteurs de produits d’assurance, de tenir compte du rapport qualité-prix lors du suivi et du réexamen des produits, étant précisé que sont expressément visés comme une « caractéristique essentielle des produits » leur performance, leurs coûts et leurs risques.
Il est attendu des concepteurs qu’ils examinent les performances des unités de compte en comparant leurs performances nettes de frais à la moyenne de supports semblables. L’ACPR renvoie notamment à la méthodologie proposée en juin 2023 par France Assureurs en indiquant que les concepteurs peuvent mettre en œuvre un dispositif similaire.
L’ACPR attend également des concepteurs qu’ils prennent des « mesures appropriées » lorsque sont identifiées des circonstances pouvant avoir un effet négatif sur le marché cible, telles que notamment :
Si ces « mesures appropriées » ne sont pas détaillées, la méthodologie France Assureurs, à laquelle renvoie la recommandation, peut conduire à un déréférencement d’une unité de compte.
Le modèle français de rémunération, combinant tant le régime des honoraires que des commissions, répond à des règles qui visent à prévenir les biais de comportement des personnes en charge des processus de vente en raison de rémunérations plus ou moins avantageuses.
Schématiquement, la réglementation actuelle impose ainsi aux distributeurs :
Ils ne doivent pas être rémunérés ou rémunérer leur personnel de vente d’une façon contrevenant aux intérêts des clients. En particulier, les objectifs de vente ne doivent pas conduire à recommander un produit alors qu’un autre correspondrait mieux aux exigences et besoins du client.
Plus spécifiquement en matière d’assurance vie, les distributeurs doivent prendre toutes les mesures appropriées destinées à empêcher que des conflits d’intérêts portent atteinte aux intérêts des clients.
Pour tenter de préserver ce modèle français de rémunération face aux pressions européennes, la recommandation de l’ACPR va plus loin en renforçant les exigences qui s’imposent aux concepteurs et aux distributeurs.
Après avoir rappelé qu’ils ne doivent pas instaurer de politique de rémunération encourageant à proposer un produit moins adapté qu’un autre, l’ACPR liste de manière non exhaustive des types de politique de rémunération à proscrire en ce qu’ils seraient susceptibles d’avoir un effet négatif sur la qualité du service fourni. Sont notamment visées les rémunérations variables fondées sur les volumes de ventes ou les commissions additionnelles ou majorées attachées à une nature de support.
Spécifiquement pour les distributeurs, la recommandation pointe du doigt l’indexation de la rémunération du personnel de vente sur des rétrocessions provenant des gestionnaires des supports.
Soulignons enfin que l’ACPR énonce des mesures spécifiques concernant la situation de conflit d’intérêts qu’elle a identifiée, dans laquelle un distributeur commercialise un produit qu’il a lui-même souscrit.
Nous saurons dans les prochains mois si les efforts du marché français seront pris en compte dans le cadre de l’adoption de la directive RIS.