11 avril 2023
Interview | Gide Africa | Web3
Tout d’abord, il faut savoir que le Web3 n’est pas qualifié en droit, il est donc nécessaire de préciser ce que recouvre ce terme. Le Web3 — version « augmentée » du Web2 — repose notamment sur des technologies dites « distribuées, partagées ». Ces nouveaux protocoles informatiques permettent, entre autres choses, d’émettre des cryptoactifs, c’est-à-dire des nouveaux types d’instruments qui permettent de transférer de la valeur, de payer, d'échanger des biens, des services ou de la propriété. Dès lors, d'un point de vue législatif et réglementaire, l’encadrement du Web3 suppose de clarifier un certain nombre de concepts et de définitions juridiques. Ces instruments peuvent être qualifiés, en droit français, de différentes manières selon leurs caractéristiques et les droits qu’ils confèrent. L’une des qualifications possibles est celle qui recouvre les « actifs numériques » lorsqu’il s’agit de « monnaies virtuelles » ou de « jetons ».
La priorité qui a été donnée d’un point de vue juridique à ces nouveaux protocoles et nouveaux instruments numériques s’est fondée sur l’approche par les risques que les régulateurs ont eu à travers le monde. On a ainsi vu naître par exemple en France, puis au niveau européen, des cadres réglementaires qui s'imposent à l'émission et à l'usage de certains cryptoactifs. Le Web3 représente un pan entier de l'économie marchande numérique qui est en train de se créer, avec de nouveaux territoires d’économie numérique. À l’échelle internationale, la tendance actuelle s’oriente bien sûr vers un encadrement de ces instruments, mais aussi des prestataires qui développent des services spécialisés, qualifiés en droit français de « PSAN », prestataires de services sur actifs numériques. Par ailleurs, les problématiques de qualification des NFT et des « stablecoins » sont intéressantes à observer. Les NFT peuvent en effet être qualifiés de manière très différente : dans certains cas, ils sont considérés comme des actifs numériques selon le droit et tombent sous le couvert de la réglementation applicable. Dans d'autres cas, ils sont juste des biens non fongibles et ne tombent pas sous le cadre réglementaire dédié aux actifs numériques. L’enjeu est presque le même pour les jetons à valeur constante, dits « stablecoins », dont la qualification juridique (monnaie électronique, actif numérique, instrument financier…) diffère selon leur profil.
La qualification juridique des instruments utilisés dans le Web 3, ainsi que des services qui y sont liés, représente ainsi un enjeu majeur pour apporter de la sécurité juridique aux modèles d’affaires qui s’y développent.
Un choc de clarification législative et réglementaire est en cela nécessaire, afin que les transactions qui s'opèrent dans le Web 3 puissent s’effectuer dans des conditions optimales et sécurisées.
L'enjeu pour l'Afrique est assez élevé puisque le basculement vers le Web3 fait évoluer l'équilibre des transactions entre le client final, le prestataire de services et l'émetteur d’instruments numériques. Sur le continent, on voit émerger trois postures réglementaires, selon les zones géographiques : certains États d’Afrique du Nord, compte tenu du resserrement de leur politique monétaire interdisent l’usage des cryptoactifs pour éviter la fuite de capitaux et de blanchiment d’argent (Maroc, Algérie), tandis que d’autres pays, en grande partie anglophones, y sont favorables (Afrique du Sud, Ghana, Kenya, Nigeria, République Centrafricaine). D’autres États d’Afrique francophone pourraient être amenés à clarifier les choses prochainement. C’est le cas par exemple de la Côte d’Ivoire. Autre exemple : la Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF) a introduit la notion d’actif numérique, dans un règlement publié en juin 2022, une première pour l’Afrique francophone.
Si l’approche réglementaire n’est pas harmonisée entre les États, deux démarches se distinguent : un dispositif de bac à sable réglementaire (« sandbox ») et/ou la mise en place d’un dispositif d’accompagnement (« innovation hub »). Le premier peut se définir par un terrain réglementaire dit plus « léger » adossé à la possibilité d’octroi d’exemptions (« waivers »). Ce concept vise à créer un terrain favorable au Web3, tout en sanctionnant lourdement les dérives. Il a surtout été repris dans juridictions ayant une approche anglo-saxonne de la réglementation, en Asie et un peu sur le continent africain. C’est de cette approche par sandbox que découle le degré de collaboration des opérateurs du Web3 avec les autorités de régulation. Si l’approche par sandbox est privilégiée, alors cette collaboration se fait naturellement : des dispositifs d’accompagnement — voire même, dans certains cas, de dispense réglementaire — des opérateurs du Web3 sont mis en place par les régulateurs. En l’absence de sandbox, la coopération entre opérateurs et régulateurs peut également être développée, à condition que les risques soient explicitement exposés en amont. Dans les deux cas, il est nécessaire que législateurs et régulateurs puissent comprendre comment évoluent la technologie et les risques qui y sont associés. Des équipes dédiées à l’innovation ont ainsi été créées au sein d’autorités compétentes (prudentielles et de marché) tant au niveau national, qu’au niveau d’une zone (exemple du renforcement d’expertises au sein de l’Autorité européenne des marché financiers ou de la Banque centrale européenne).
La coopération entre régulateurs dans le monde est également nécessaire, compte tenu du besoin d’harmonisation de règles dédiées au Web3 qui s’appliquent à des espaces marchands numériques qui par essence sont globaux. Cela peut passer par un partage de bonnes pratiques entre régulateurs, et par la définition de cas d’usages permettant d’exposer des chaînes de valeur précises auxquelles les responsabilités juridiques d’opérateurs, de nouveaux tiers de confiance, et d’émetteurs peuvent être attachées. En cela, les positions et recommandations des autorités compétentes sont attendues.
Pour répondre aux questions des régulateurs, certaines plateformes internationales spécialisées dans la finance numérique ont d’ores et déjà commencé à se positionner en organisant régulièrement des roadshows en Afrique pour présenter leurs modèles d’affaires. Il s’agit également pour les opérateurs du Web3 d’expliquer aux régulateurs et aux législateurs les facteurs de risque qui peuvent exister. Des accords de coopération peuvent ainsi être signés entre différentes autorités afin d’échanger des informations techniques et ainsi harmoniser la connaissance et la gestion des risques.
En premier lieu, la qualification juridique de la technologie ou de l’instrument Web3 va permettre de préciser le terrain réglementaire dans lequel vont opérer les entreprises. Ce travail d’identification doit intervenir très en amont des projets puisque ces contraintes réglementaires peuvent constituer des barrières à leur développement ou, au contraire, représenter des opportunités. C’est en ce sens qu’une chaîne de valeur réglementaire peut être créée pour faire en sorte que l’ensemble du schéma de transaction et d’organisation des services du Web3 puissent être qualifiés juridiquement. Ensuite, la question de la territorialité doit être posée pour éventuellement mener des benchmarks réglementaires, par pays ou par zone géographique. Puis, il est crucial d’identifier les éléments clés liés à l’achat d’un terrain numérique, d’un « land ». En effet, de nombreuses marques investissent par exemple dans le métavers pour gagner en visibilité et doivent examiner les conditions, le contrat d’achat de ce « land » qui est en réalité un NFT, ou encore le contrat de service si celles-ci ont recours à un prestataire. Enfin, les enjeux de droits de propriété intellectuelle, de statut réglementaire des plateformes et de leurs conditions d’utilisation sont tout aussi importantes. Sans oublier que, du point de vue du client final, les questions de sécurité du consommateur, de données personnelles, de publicité et de recours aux influenceurs dans la commercialisation des services du Web3 doivent être analysées pour connaître les règles qui s’appliquent.