La consultation ouverte par la Chancellerie sur l'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, élaboré sous l'égide d'une commission présidée par Philippe Stoffel-Munck, vient de s'achever le 15 janvier 2023, après une prolongation de près de deux mois.
Ce nouveau chantier de rénovation du droit privé français doit beaucoup à l'initiative portée par l'Association Henri Capitant qui, dès 2013, avait constitué un Groupe de travail de réforme du droit des contrats spéciaux. Après un premier avant-projet en 2017 (Journée nationale de Grenoble, 17 novembre 2017) et un temps d'échange qui a permis de recueillir des observations, l'Association Henri Capitant a élaboré un second avant-projet transmis à la Chancellerie en mars 2020 (Offre de réforme du droit des contrats spéciaux, éd. Dalloz, Juin 2020), largement discuté en doctrine (V. not. L'offre de réforme des contrats spéciaux, Réflexions libres à partir du projet Henri Capitant, Juillet 2021, éd. Dalloz).
Réformer le droit des contrats spéciaux est une nécessité absolue.
Les espèces de contrats civils et commerciaux qui en font la matière sont le cœur des principales opérations économiques : vendre, échanger, donner à bail, prêter, fournir des services, représenter, gérer, construire, déposer, etc. C'est dire leur importance cruciale. Or, les raisons qui avaient motivé les travaux de l'Association Henri Capitant expliquent largement la réforme utilement engagée par la Chancellerie : on peut en identifier trois.
Premièrement, notre droit des contrats spéciaux souffre du poids des ans : de là un divorce croissant entre des textes contemporains pour l'essentiel du code civil de 1804 et vieillissants, d'une part, et, d'autre part, une jurisprudence et une inventivité contractuelles d'une grande richesse. La matière est devenue prétorienne et ne se livre plus à la lecture d'un Code civil qui a perdu tout rayonnement.
Deuxièmement, les "petits" contrats d'hier - reconnaissables à une gratuité de principe (tels que le mandat et le dépôt) - sont devenus "grands" en se professionnalisant. Il est fréquent aujourd'hui que tel ou tel contrat spécial soit devenu le pilier d'un secteur économique donné (commerce, financement, construction, gestion ou "management", crédit-bail ou "leasing", courtage et autres plateformes, etc.). Seul un code rénové peut rendre son lustre aux habits juridiques des principales opérations économiques. Le cautionnement a du reste été utilement modernisé par l'ordonnance du 15 septembre 2021 après avoir connu une transformation similaire : il doit en aller de même des principaux contrats civils et commerciaux que sont la vente, la location, la prestation de services, le prêt, le mandat, le dépôt et les contrats aléatoires.
En troisième lieu, l'architecture contractuelle française doit être repensée à l'aune des évolutions dialectiques qu'ont connu le droit commun des contrats et le droit spécial des contrats. En 1804, le droit commun régnait en maître et le droit spécial des contrats n'était perçu que comme une ramification d'un tronc contractuel commun souvent supplétive de volonté. Or, un double mouvement initié aux 19ème et 20ème siècles a brisé cette ancienne organisation : une intense liberté contractuelle s'est déployée sous l'imagination de la pratique, anglo-saxonne et friande de contrats en "ing" (parking, management/gestion, factoring/affacturage, franchising/franchise, leasing/crédit-bail) opérant une diversification des espèces contractuelles ; quant au législateur, il est intervenu en réaction pour garantir un ordre public de protection de la partie faible faisant apparaître des statuts contractuels spéciaux (locataire d'habitation ou preneur commercial, emprunteur consommateur, sous-traitant, etc.).
Le droit vivant des contrats s'est développé au bout des nouvelles pousses plus que sur le tronc de sorte qu'au terme d'un mouvement de balancier, le droit spécial des contrats a vivifié en retour le droit commun. Cette dialectique apparaît très nettement dans la réforme des contrats du 10 février 2016. Le droit spécial de la vente a par exemple irradié le nouveau droit commun : la contrepartie réelle et sérieuse de l'article 1169 a reçu la jurisprudence rendue à propos de l'article 1591 du code civil et l'on aura également égard à l'apport du droit de la vente au transfert de la propriété et des risques (article 1196) ou aux sanctions de l'inexécution contractuelle (article 1223).
Partant, le droit des contrats spéciaux constitue aujourd'hui un corps de règles intermédiaires entre le droit commun et les statuts contractuels très spéciaux : il doit être réformé en tenant compte des enjeux liés à cette position parfois... inconfortable.
Les auteurs de l'avant-projet de la Commission Stoffel-Munck soumis à consultation ont indiqué que, d'une façon générale, "l'esprit qui a présidé à ces nécessaires travaux a été de clarifier, quand c'était nécessaire, de simplifier, quand c'était possible, de moderniser, c'est-à-dire de s'ouvrir aux réalités faiblement considérées par le passé et de tenir compte de l'obsolescence de nombreuses règles spéciales".
Clarifier, simplifier et moderniser : ces ambitions doivent être pleinement saluées. En effet, elles s'inscrivent pleinement dans les réformes récentes du droit privé français des contrats ou des sûretés et doivent servir de guide au législateur.
La commission de réforme a par ailleurs retenu plusieurs orientations précises qui suscitent pareillement une large approbation : favoriser la liberté contractuelle d'abord en une matière innervée par elle de longue date ; faire œuvre pratique ensuite en associant des praticiens aux travaux ; enfin, à un "grand soir", préférer consolider l'édifice existant quitte à conserver les numéros d'articles pour ne pas bouleverser les habitudes des praticiens.
L'initiative, les ambitions autant que les objectifs annoncés sont donc à saluer. Il reste l'essentiel : garantir la teneur et la qualité des futures dispositions.
A cet égard, la consultation ne manquera pas de faire remonter des suggestions utiles de rédaction et concourir à l'amélioration d'un avant-projet qu'il reviendra à la Chancellerie de parfaire.
Il importe de façon générale qu'un droit des contrats spéciaux réformé réponde aux objectifs d'accessibilité, d'attractivité et d'efficience économique qui ont servi de guide aux réformes récentes du droit civil des affaires, des contrats comme des sûretés.
La réforme poursuivie doit, à la faveur d'une traduction, contribuer au rayonnement du droit français et à l'attractivité des principes opérations économiques que sont la vente, le bail, le mandat, le prêt ou encore la prestation de services vis-à-vis des observateurs étrangers.
A cet égard, la langue utilisée par le législateur en droit des contrats spéciaux devra être empreinte de clarté et de concision, conformément aux canons de la légistique française. Ainsi, le recours à des formulations parfois obscures, à des doubles négations ou à des définitions par trop descriptive devra-t-il être soigneusement évité.
Il importe tout particulièrement que :
En l'absence de majorité gouvernementale solide, on s'interrogera sur la capacité du gouvernement à faire adopter une réforme qui, quoique absolument nécessaire, est sans doute moins technique qu'il n'y paraît.
La République des ordonnances du précédent quinquennat n'est plus tandis que la voie parlementaire recèle d'autant plus d'imprévisibilité que l'Assemblée nationale est tiraillée entre les extrêmes. Est-on certain que la représentation nationale ne se saisira pas du droit des contrats spéciaux au motif que les statuts contractuels spéciaux du locataire d'habitation, du preneur commercial ou de l'emprunteur à consommation ne seraient pas concernés au premier chef ? A l'heure où le bras de fer de la réforme des retraites est engagé et où les positions se crispent, le doute est malheureusement permis...