La Commission européenne a présenté le 23 février sa proposition de directive imposant un devoir de diligence aux entreprises, dans le cadre de sa stratégie renouvelée en matière de finance durable. Lors de la phase de consultation préalable à cette publication, les parties prenantes ont notamment mis l'accent sur la nécessité d'harmoniser le cadre juridique de l'Union européenne sur le devoir de vigilance au regard des incidences sur les droits de l'Homme et l'environnement, une priorité qui se reflète dans cette proposition législative qui a été retardée à plusieurs reprises par les services de la Commission européenne.
Ce texte comprend 31 articles et est complété d'une annexe listant les principales exigences formulées par les instruments internationaux de référence en matière de droits de l'Homme et d'environnement. En substance, il devrait imposer une obligation de vigilance à de très nombreuses entreprises d'ici deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive, laquelle suppose à présent un accord tripartite avec le Conseil et le Parlement européen.
Selon la Commission européenne, cette proposition de directive "vise à favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeurs mondiales. Elles seront tenues de recenser et, s'il y a lieu, de prévenir, de faire cesser ou d'atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l'Homme (travail des enfants et exploitation des travailleurs, par exemple) et sur l'environnement (pollution, perte de biodiversité, etc.)". La Commission poursuit donc l'ambition énoncée dans le Pacte vert pour l'Europe, à savoir intégrer la durabilité dans le cadre de gouvernance d’entreprise, afin que les entreprises se focalisent (davantage) sur leur développement à long terme.
Ce projet, qui s’inspire notamment tant de la législation française adoptée en mars 2017 que de la loi allemande adoptée en juillet 2021 sur la même thématique, devrait avoir une incidence sur les obligations que les entreprises françaises sont actuellement de tenues de respecter.
En l'état actuel de notre droit national, doivent respecter la loi sur le devoir de vigilance en date du 27 mars 2017, les sociétés immatriculées en France qui emploient plus de 5.000 salariés en France ou plus de 10.000 salariés en France et à l'étranger.
La proposition de directive distingue deux groupes :
Ces sociétés disposeraient d'un délai supplémentaire de deux ans par rapport aux sociétés du Groupe 1 pour se mettre en conformité avec la directive.
Les sociétés établies dans des États tiers qui réalisent au sein de l'Union européenne, un chiffre d'affaires supérieur à 150 millions d'euros (Groupe 1) ou 40 millions d’euros si l'activité est exercée dans un secteur à fort impact (Groupe 2), devront également respecter les dispositions européennes en matière de vigilance.
Compte tenu de l'abaissement des seuils envisagé dans la proposition de directive, de très nombreuses sociétés françaises se verraient tenues de respecter un devoir de vigilance. Si les PME françaises ne sont pas directement concernées par ces mesures, elles le seront indirectement si elles font partie de la chaîne fournisseurs. C'est la raison pour laquelle la proposition de directive prévoit des mesures d'accompagnement qui soutiendront toutes les entreprises, notamment les PME, susceptibles d'être indirectement concernées par ces dispositions. Ces mesures comprennent le développement de sites web, de plateformes ou de portails dédiés, ainsi qu'un soutien financier éventuel aux PME.
Le plan de vigilance doit comporter des "mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes graves" aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Les risques dont il est question sont ceux occasionnés par l’activité de la société mère ou de l’entreprise donneuse d’ordre mais aussi ceux générés par les activités des sociétés qu’elle contrôle et par les activités des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels la société mère ou le donneur d’ordre entretient une "relation commerciale établie" c’est-à-dire une relation "régulière, stable et significative".
Plus précisément, selon la loi française, le plan de vigilance doit comporter cinq mesures :
Sur ces points, on peut constater que la Commission européenne s'est largement inspirée de la loi française. La proposition de directive s'applique aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales et à leurs chaînes de valeur (autrement dit aux relations commerciales établies de manière directe et indirecte).
Afin de respecter le devoir de vigilance en matière de durabilité, les entreprises devront :
Les entreprises du Groupe 1 devront disposer d'un plan permettant de garantir que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l'accord de Paris.
Pour faire en sorte que le devoir de vigilance soit partie intégrante de la gouvernance des sociétés, le projet de directive introduit des obligations pour les administrateurs consistant notamment à instituer des procédures de vigilance et à en superviser leur mise en œuvre, ainsi qu'à les intégrer dans la stratégie de la société. En outre, Lorsqu'ils s'acquittent de leur obligation d'agir dans le meilleur intérêt de la société, ils doivent tenir compte des conséquences de leurs décisions pour les droits de l'Homme, le climat et l'environnement, ainsi que des répercussions de chacune de leurs décisions sur le long terme. Les entreprises devront également veiller au respect des obligations relatives au Plan énergie climat au moment de fixer toute rémunération variable liée à la contribution d'un administrateur à la stratégie commerciale de l'entreprise, à ses intérêts à long terme et à sa durabilité.
Selon la Commission européenne, "cela signifie une protection plus effective des droits de l'Homme figurant dans les conventions internationales. Par exemple, les travailleurs doivent avoir accès à des conditions de travail sûres et saines. De même, cette proposition contribuera à éviter les incidences négatives sur l'environnement allant à l'encontre des principales conventions en matière d'environnement". Les entreprises concernées seront tenues à une obligation de moyens et devront prendre des mesures appropriées, en fonction de la gravité et de la probabilité des différentes incidences, des mesures dont elles disposent dans les circonstances particulières et de la nécessité de fixer des priorités.
Notons que selon la proposition de directive, les législations des États membres pourront aller plus loin que le futur droit européen. Si tel était le cas, la législation française pourrait être plus contraignante que celle actuellement en vigueur.
La législation française prévoit à ce jour deux mécanismes de sanction :
Selon la proposition de directive, les États seront libres de fixer des sanctions contre les entreprises contrevenantes, notamment pécuniaires. Elles pourront être déterminées selon un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par la contrevenante.
Par ailleurs, sur le modèle de la législation allemande, une autorité administrative nationale désignée par chacun des États membres sera chargée de contrôler le respect de ces nouvelles règles et pourrait infliger des amendes en cas d'infraction. Précisons que, pour l'heure, une telle autorité n'a pas été instituée en droit français dans le cadre de la loi du 27 mars 2017.
Notons encore que les victimes auront la possibilité d'intenter une action en responsabilité civile pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées.
Enfin, la proposition de directive prend le soin de préciser que la mise en œuvre du devoir de vigilance constituera une pleine composante de l'obligation des dirigeants sociaux d'agir dans l'intérêt social de l'entreprise concernée, de sorte que la mise en cause éventuelle de leur responsabilité en qualité de dirigeant devra nécessairement appréhender cette dimension de leur mission.
Il appartient désormais aux députés européens et aux représentants des États membres, au sein du Conseil de l’Union européenne, d’amender ce texte présenté par l’exécutif européen.