12 avril 2016
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Un récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation (cass. Soc. 7 octobre 2015 n° 14-12403) attire l'attention sur un aspect encore parfois méconnu de la modernisation des rôles liés à la sécurité du travail dans les entreprises françaises. Tous les observateurs ont certes le regard fixé sur les évolutions qui sont susceptibles d'affecter l'obligation patronale de sécurité tant dans son périmètre que dans son intensité. De ce dernier point de vue, l'émoi est à son comble depuis que, par un autre arrêt (soc. 25 novembre 2015 n° 14-24444), la même formation a semblé vouloir faire évoluer ladite obligation d'une obligation de résultat vers une obligation de moyens, desserrant ainsi l'étau dans lequel, par l'effet d'une jurisprudence rigoureuse, les employeurs se trouvaient pris dès qu'il est possible de leur imputer le dommage corporel subi par un salarié et même, en dehors de tout dommage effectif, dès qu'une précaution significative en termes de prévention n'a pas été prise.
Cependant, en marge de cette possible libéralisation, dont on se saurait minorer l'importance, il est une jurisprudence qui se développe de façon plus feutrée et qui concerne cette fois, la diversification des rôles relatifs au maintien de la santé et de la sécurité dans l'entreprise entre l'employeur et ses propres salariés. Cette diversification a pour base une disposition légale : l'article L 4122-1 du Code du travail -lui-même issu de la transposition en droit français de la directive-cadre du 8 octobre 1989. Aux termes de ce texte : "Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail". Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, la vision que l'on pouvait avoir d'un salarié purement passif, n'ayant d'autre devoir que celui d'obéir aux ordres de son employeur, a fait place à la conception d'un individu, certes toujours juridiquement subordonné puisque tel est le propre de la relation de travail, mais qui, même placé à un échelon très modeste de l'entreprise, peut néanmoins être efficace sur le plan de la prévention des dommages et se doit par conséquent d'exercer une certaine vigilance pour lui-même et pour autrui. Nul ne contestera qu'il y a là tous les éléments d'une véritable obligation de sécurité du salarié en parallèle de celle, bien plus considérable de son employeur, même si la première n'est indiscutablement que de moyens.
C'est le mérite d'un arrêt encore plus récent (cass. Soc. 10 février 2016 n° 14-24350) que d'avoir rappelé, conformément aux termes de la directive européenne précitée, que les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n'affectent pas le principe de responsabilité de l'employeur. Malgré l'obligation mise à la charge des salariés par l'article L 4122-1 précité, il est donc clair que l'employeur reste pleinement responsable de la prévention et de la gestion des risques en entreprise. Ceci a pour conséquence que, d'une part, en cas de faute du salarié, lui-même victime d'un dommage corporel, la réparation intégrale demeure due par principe, mais que, d'autre part, et de façon inversée, la violation de l'obligation salariale de sécurité pourra être invoquée au soutien d'une sanction disciplinaire à l'encontre d'un salarié par trop négligeant non seulement pour lui-même mais aussi et surtout pour autrui, cette dimension altruiste de l'obligation qui ne concerne concrètement le plus souvent que le premier cercle des collègues de travail, constituant la véritable "valeur ajoutée" du droit européen par rapport à l'approche purement nationale sur une question qui témoigne malheureusement d'un des tribus les plus lourds versés par le monde du travail au développement de nos sociétés.
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