13 avril 2022
Les 20 février[1] et 16 mars 2022[2], un décret et un arrêté ont été publiés précisant les obligations de déclaration résultant de la loi n°64-678 du 26 juillet 1968, dite "loi de blocage"[3]. Les entreprises destinataires de demandes d'informations émanant d'autorités étrangères devront désormais en référer sans délai au Service de l'Information Stratégique et de la Sécurité Economiques (le SISSE). Sur le fondement du dossier qui lui sera transmis, le SISSE disposera d'un délai d'un mois pour rendre un avis sur l'applicabilité de la loi de blocage aux informations sollicitées. Les entreprises pourront ainsi remettre cet avis officiel aux autorités étrangères à l'appui de leur refus de transmission.
Adoptée en 1968, la loi de blocage interdisait à l'origine la communication de documents et renseignements à des autorités étrangères en matière maritime. La loi n°80-538 du 17 juillet 1980 a considérablement étendu son champ d'application dans un climat de guerre économique. L'objectif affiché du dispositif était alors de protéger les entreprises françaises contre les collectes de renseignements résultant, notamment, des pre-trial discovery américaines considérées comme excessivement intrusives par le législateur[4].
Depuis 1980, la loi interdit la communication de toute information d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique lorsqu'elle résulte d'une demande :
La violation de ces dispositions est punie de 6 mois d'emprisonnement et d'une amende de 18 000 euros pour les personnes physiques[7] et 90 000 euros pour les personnes morales[8]. Toutefois, la loi n'est pas applicable :
Cette dernière exception correspond à l'objectif de la loi de blocage qui est de favoriser les procédures de coopération judiciaires internationales garantes du respect des règles de procédures nationales au premier rang desquels la Convention de La Haye de 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale. Cette convention prévoit notamment le recours aux commissions rogatoires internationales par lesquelles une autorité donne mission à une autorité étrangère de procéder en son nom à des mesures d'instructions ou à d'autres actes judiciaires sur son territoire.
L'article 2 de la loi de blocage dispose que les personnes saisies de demandes de transmissions couvertes par la loi de blocage de communication ont l'obligation d'en informer sans délai le ministre compétent[10]. Toutefois, cette obligation était jusqu'alors très peu appliquée en pratique en l'absence de sanction et de cadre clair. Le décret et l'arrêté ont vocation à préciser ce dispositif, afin d'encourager les entreprises à informer les autorités des demandes qu'elles reçoivent.
Depuis 1980, seule une affaire a donné lieu à la condamnation d'un avocat français à une peine d'amende de 10.000 euros sur le fondement de la loi de blocage[11]. Bien que conçue comme une "excuse légale"[12] aux demandes émanant d'autorités étrangères, cette absence de répression a justement conduit ces dernières, et notamment la Cour Suprême des Etats-Unis, à en écarter l'application[13].
Les entreprises françaises destinataires de demandes de communication américaines se trouvent donc actuellement confrontées à un choix difficile : prendre le risque d'être condamnées en France, ou sanctionnées par les autorités étrangères pour le refus de communication qu'elles opposent[14]. Les entreprises françaises arbitrant le plus souvent en faveur des autorités étrangères plus sévères, la loi de blocage est aujourd'hui critiquée pour son inefficacité.
Les récentes procédures et amendes record infligées par les autorités américaines aux entreprises françaises ont toutefois précipité une réflexion sur le dispositif. En 2019, dans son rapport intitulé «Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale »[15], le député Raphaël Gauvain préconisait l'aggravation de la sanction pénale attachée à la violation de la loi de blocage. En outre, il proposait également que le SISSE, service rattaché au Ministère de l'Economie, soit désigné comme l'autorité chargée de traiter les déclarations effectuées vertu de son article 2 et que ce service accompagne les entreprises déclarantes.
Reprenant certaines de ces propositions, l'arrêté et le décret clarifient la procédure de déclaration en désignant un guichet unique pour les acteurs concernés : le SISSE, le Service de l'Information Stratégique et de la Sécurité Economiques. Le décret du 18 février 2022 donne ainsi les précisions suivantes :
Le SISSE dispose d'un délai d'un mois pour procéder à l'instruction du dossier et rendre un avis portant sur l'applicabilité de la loi de blocage[19]. Cet avis devrait pouvoir être communiqué à l'appui d'un éventuel refus de communication aux autorités étrangères.
Le décret et l'arrêté sont entrés en vigueur le 1er avril 2022.
En outre, afin d'aider les entreprises à identifier les informations « sensibles » visées à l'article 1 de la loi de blocage, le SISSE a publié un guide pratique en concertation avec l'AFEP et le MEDEF[20], invitant les entreprises à « faire l’inventaire, et classifier leur patrimoine informationnel, puis le stocker en conséquence d’une façon adaptée en fonction de sa sensibilité »[21]. Les critères d'appréciation de la sensibilité des données y sont déclinés en fonction notamment, de leur degré de confidentialité, de leur disponibilité et des risques résultant pour son détenteur, d'une atteinte à son intégrité. L'identification des données dites « sensible souverain » entrant dans le champ d'application de l'article 1 de la loi de blocage s'effectue selon le guide grâce à une analyse (i) de l'impact ou du préjudice résultant de sa communication et (ii) du caractère stratégique de l'entreprise ou de son activité[22].
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Si cette réforme va incontestablement être utile aux entreprises françaises, ciblées par des demandes d’informations émanant d’autorités étrangères en dehors des traités et accords internationaux, il n'est pas certain qu'elle atteigne ses objectifs.
En effet, le champ d'application de la réforme est limité, notamment par rapport aux propositions du rapport Gauvain, et n'édicte pas de sanction en cas d'absence de déclaration.
En outre, son effectivité dépendra du volontarisme du SISSE et du contenu de ses avis.
[1] Décret n° 2022-207 du 18 février 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
[2] Arrêté du 7 mars 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
[3] Loi n°68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.
[4] Compte-rendu des débats à l'Assemblée nationale, séance du 24 juin 1980.
[5] Article 1 de la loi de blocage.
[6] Article 1 bis de la loi de blocage.
[7] Article 3 de la loi.
[8] En application de l'article 131-38 du Code pénal.
[9] Réponse ministérielle du Ministre de la Justice (JOAN, 26 janvier 1981, n°373).
[10] Un décret n°81-550 du 12 mai 1981 désignait le ministre des affaires étrangères comme autorité compétente, tout en permettant aux personnes concernées d'en informer le ministre de la justice, de l'économie ou le ministre de l'activité dont relevait l'activité qu'elles exercent, ces derniers étant chargés d'en référer au ministre des affaires étrangères.
[11] Cass. crim. 12 décembre 2007, n° 07-83228.
[12] Compte-rendu des débats à l'Assemblée nationale, séance du 24 juin 1980.
[13] Société Nationale Industrielle Aérospatiale c. US District Court, 482 U.S 522, 15 juin 1987 : la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré que la loi de blocage française ne prive « pas une juridiction américaine du pouvoir d'ordonner à une partie soumise à sa juridiction de produire des preuves, même si cette production pouvait constituer une violation de la loi de blocage».
[14] Notamment les sanctions attachées à l'infraction de "Contempt of Court".
[15] Rapport AN du Député Raphaël Gauvain "Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale" (26 juin 2019), développements sur la loi de blocage pages 67 et suivantes.
[16] Article 2 du décret n°2022-207 du 18 février 2022.
[17] Article 3 du décret n°2022-207 du 18 février 2022.
[18] Article 2 de l'arrêté du 7 mars 2022.
[19] Article 4 du décret n°2022-207 du 18 février 2022.
[20] Guide à usage des entreprises d'identification des données sensibles visées par l'article 1er de la loi dite de blocage ou d'aiguillage (SISSE, AFEP, MEDEF), 16 mars 2022.
[21] Guide, p. 3.
[22] Guide, p. 6 et suivantes.