31 août 2018
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Est-il besoin de rappeler que depuis les premiers textes de 1945/1946 organisant la représentation institutionnelle des salariés de façon directe (délégués du personnel et comité d'entreprise) la sanction pénale est présente en appui des règles qui organisent la mise en place puis le fonctionnement des instances créées entreprise par entreprise ?
Cette sanction pénale est celle du "délit d'entrave", infraction rattachable à la compétence du tribunal correctionnel, passible de peines relativement lourdes puisque son auteur encourt non seulement une amende pouvant aller, pour une personne physique, jusqu'à 7.500 €, et/ou une peine d'emprisonnement d'un an, cette dernière ayant été récemment limitée par le législateur (loi du 8 août 2015) à la répression des seules entraves à la mise en place des institutions ainsi qu'à la libre désignation de leurs membres, les autres entraves (celles portées au fonctionnement desdites instances) n'autorisant, en première infraction, que le prononcé de l'amende précitée.
Ce schéma répressif rénové n'a pas été modifié par le train des ordonnances prises le 22 septembre 2017 dont l'une au moins (n° 1386) concerne directement la représentation du personnel et opère une fusion entre les anciennes institutions élues (délégués du personnel, comités d'entreprise et CHSCT) afin de laisser la place à une instance représentative unique, celle du comité social et économique. Par suite, ce seront les entraves à ce nouveau comité qui seront passibles à l'avenir des sanctions précitées, avec le même distinguo entre l'étape de la mise en place et celle du fonctionnement de l'institution, ce sur la base de l'article L 2317-1 du Code du travail.
Mais, parce qu'aux termes des nouvelles dispositions, la norme négociée est appelée désormais à jouer un rôle décisif dans la configuration concrète des droits collectifs des salariés, se trouve du même coup, soulevée avec une ampleur inédite, la question du déclenchement de poursuites, en l'occurrence basées sur l'incrimination de l'article L 2317-1 du Code du travail, en présence de situations où l'élément matériel de l'infraction consiste en le non-respect de la solution adoptée par les partenaires sociaux lors de la négociation collective d'entreprise ou d'établissement qui a eu pour objet d'adapter les solutions légales à chaque cas particulier.
La nature conventionnelle de la disposition prétendument violée fait-elle obstacle à l'application de la qualification pénale d'entrave, parce qu'en matière correctionnelle le principe de la légalité des délits et des peines imposerait que l'infraction soit intégralement définie par le pouvoir législatif ? Les sources interprétatives les plus hautes n'imposent pas une telle conclusion. Le Conseil constitutionnel, par une importante décision en date du 10 novembre 1982 (D. C. 812-127), a admis au contraire que l'origine conventionnelle de la règle violée ne faisait pas obstacle au déclenchement de poursuites pour entrave à l'encontre de l'employeur qui a apposé sa signature au bas de l'accord.
Cependant, on précisera qu'il résulte des termes même de la saisine du Haut Conseil que, pour qu'un tel effet d'élargissement des composantes de l'infraction se produise, il faut que le législateur l'ait autorisé en énonçant la possibilité d'une dérogation conventionnelle expresse à la solution prévue par la loi qui a pris un caractère supplétif.
Il s'en déduit que, hors du champ où cette "permission de la loi" peut être constatée, il ne devrait pas être possible de retenir la qualification d'entrave, parce que le principe de légalité impose que le législateur garde la maîtrise complète du périmètre de l'infraction. C'est là déjà une première évolution du rôle du droit pénal au travers d'un délit d'entrave qui, par hypothèse, ne peut protéger que celles des solutions d'origine conventionnelle autorisées par le législateur.
Mais, en marge de cette première interrogation, l'ordonnance du 22 septembre 2017 en suscite une seconde qui est peut-être l'amorce d'un certain retrait du délit d'entrave par rapport aux règles de la représentation élue. Le phénomène serait lié à l'accession à la vie juridique d'une institution représentative jusqu'ici inconnue du droit français du travail. Il s'agit du Conseil d'entreprise, nouveau venu créé de toutes pièces par l'ordonnance et qui traduit une évolution de la représentation élue vers le concept de co-gestion. Selon l'article L 2321-1 du Code du travail, le conseil d'entreprise exerce l'ensemble des attributions du CSE. Ses modalités de fonctionnement sont celles prévues par le comité social et économique aux articles L 2315-1 et s. du Code du travail. En outre, l'accord collectif l'instituant peut prévoir que dans certains domaines son avis conforme est requis, ce qui représente un enrichissement de la fonction consultation de base, tel que le CSE peut l'exercer. Mais la véritable innovation vient sans doute de ce que cette nouvelle instance récupère la fonction de négociation collective, au point de l'ériger en monopole que ce soit pour conclure ou pour réviser les accords d'entreprise ou d'établissement.
Dans la mesure où le conseil d'entreprise est bâti en appui de la structure préexistante du CSE, on peut certes considérer que toute entrave à sa constitution ou à son fonctionnement continue à être visée par l'incrimination de l'article L 2317-1 qui a précisément pour rôle de défendre ces règles. Cela explique par ailleurs que, contrairement aux représentants de proximité, les membres du conseil ne font pas l'objet d'une disposition répressive spéciale les protégeant contre la rupture de leur contrat de travail, les entraves "indirectes" pouvant en effet être rattachées à l'incrimination de l'article L 2432-1 qui est dédiée à la protection des élus.
Restent cependant les situations dans lesquelles les attributions du conseil d'entreprise vont au-delà des compétences du CSE, que ce soit pour exercer un droit de veto dans certains domaines (Code du travail article L 2321-3) ou pour négocier des accords dans les termes de l'article L 2321-1. Dans de tels cas, l'incrimination générale de l'article L 2317-1 paraît alors difficilement mobilisable, car elle ne vise que la violation des règles (légales ou conventionnelles) qui sont celles du CSE stricto sensu. On est par suite fondé à considérer que le champ de l'entrave ne s'étend pas à de tels comportements même volontaires, faute de prévisions allant en ce sens dans la loi pénale.
La solution en surprendra certains, mais n'est-ce pas le sens de l'idée même de co-gestion que de faire en sorte que les partenaires sociaux ne retournent plus systématiquement dans le prétoire pénal pour obtenir du juge la résolution des conflits d'intérêts qui les opposent ?
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