21 octobre 2021
Publication | Concurrence & Commerce International
La loi n°2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2 » vient d’être publiée au journal officiel !
Dans la continuité des Etats Généraux de l’Alimentation de 2017 et de la Loi Egalim du 1er novembre 2018, la proposition de loi de M. Besson-Moreau, s’inscrit « dans le cadre beaucoup plus large de l’équilibre des relations commerciales entre les différents maillons de l’ensemble de la chaîne », à savoir les producteurs, les industriels et les distributeurs1.
Ainsi, l’article 1er traite du stade amont, à savoir la relation entre le producteur et son premier acheteur. Est posé le principe de la contractualisation écrite et pluriannuelle (au moins trois ans) tandis que l’article 2 s’intéresse à l’aval de la chaîne et instaure un principe de transparence sur l’évolution du coût des matières premières agricoles, le caractère non négociable de cette évolution et une révision automatique des prix en cas de variation de leur coût dans le contrat conclu entre les industriels et leurs acheteurs. La proposition de loi prévoit également la création d’un Comité de Règlement des Différends Commerciaux Agricoles (CRDCA) compétent en cas d’échec de la médiation devant le médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA).
Rappelons que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 18 juin dernier : après la première lecture de chacune des assemblées, la proposition de loi est passée devant la CMP qui est parvenue à un accord le 4 octobre dernier. Un texte de compromis de la CMP a été adopté, avec quelques amendements mineurs, par l’Assemblée nationale le 6 octobre, puis le Sénat le 14 octobre.
De quel compromis s’agit-il ?
La généralisation de la contractualisation pluriannuelle : l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime (le « code rural ») est modifié afin de rendre la contractualisation écrite obligatoire entre le producteur et son premier acheteur. La contractualisation s’imposera à l’ensemble des contrats de vente de produits agricoles livrés sur le territoire français (produits français ou importés). Elle n’a donc pas vocation à concerner les matières premières agricoles à destination des marchés hors France.
Ces contrats devront être conclus pour une durée minimale de trois ans, cette durée minimale pouvant être étendue, par accords interprofessionnels ou, à défaut, par décret en Conseil d’Etat, à cinq ans.
La prise en compte d’un indicateur lié aux coûts de production : le contrat visé à l’article L.631-24 du code rural doit être précédé d’une proposition du producteur qui constitue le « socle de la négociation commerciale ». Au titre des critères et modalités de révision ou de détermination du prix, cette proposition doit prendre en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts. Le contrat devra notamment comporter une clause précisant ces critères et modalités de révision ou de détermination du prix en y intégrant, outre le ou les indicateurs issus du socle de la proposition, un ou plusieurs indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l'origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges, à charge pour les parties de convenir des modalités de calcul et de pondération des indicateurs retenus. Le nouvel article L.631-24 du code rural explicite également la possibilité de pondérer les indicateurs utilisés dans les contrats.
Le contrat devra en outre comporter une clause relative aux modalités de révision automatique du prix, à la hausse ou à la baisse, selon une formule librement déterminée par les parties mais qui devra prendre en compte les indicateurs mentionnés à l’article L.631-24 du code rural.
Les organisations interprofessionnelles devront élaborer et publier des indicateurs de référence dans un délai de quatre mois après promulgation de la loi. A défaut, les instituts techniques agricoles les élaborent et les publient dans un délai de deux mois suivant réception d’une telle demande par un membre de l’organisation professionnelle.
L’interdiction des clauses d’alignement automatique sur le prix des concurrents : l’article L.631-24 du code rural est également complété afin d’introduire une interdiction de principe des clauses ayant pour effet une renégociation ou une modification automatique du prix liée à l’environnement concurrentiel.
La possibilité de prévoir des clauses de « tunnel de prix » : les parties pourront désormais convenir de bornes minimales et maximales à l'intérieur desquelles pourra varier le prix convenu. Il est également prévu qu’un décret rende, à titre expérimental, l’utilisation de ce type de clause obligatoire pour certains produits agricoles restant à définir. Cette expérimentation sera d’une durée maximale de cinq ans.
Le cas spécifique de la filière betterave-sucre : les contrats passés entre les entreprises sucrières avec les producteurs de betteraves ou de canne à sucre ne sont pas concernés par ces dispositions (article L. 631-24-3, III du code rural). Toutefois, les organisations interprofessionnelles concernées auront désormais l’obligation d’élaborer et de publier les indicateurs.
Le principe de transparence : le nouvel article L. 441-1-1 du code de commerce prévoit que le fournisseur de produits alimentaires (ainsi que de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, comme désiré par le Sénat) communiquera dans ses CGV sur les matières premières agricoles et les produits transformés et composés de plus de 50% de matières premières agricoles composant ledit produit alimentaire.
Le principal point de discorde entre les assemblées portait sur ce point. Le texte définitif laisse au fournisseur la possibilité de choisir entre trois alternatives (et reprend ainsi la proposition de l’Assemblée Nationale) : (i) la transparence totale, (ii) la transparence via les matières premières agrégées ou (iii) via un tiers de confiance, en précisant que le distributeur ne pourra pas s’immiscer dans ce choix :
Dans les deux cas, l’acheteur peut, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester de l’exactitude de ces éléments. Le tiers devra remettre son attestation à l’acheteur dans un délai de 10 jours à compter de la réception des pièces du fournisseur. Les contours de cette mission tels que précisés par le Sénat sont repris. Le texte de compromis laisse la possibilité au gouvernement de fixer la liste des professions présumées présenter les garanties pour exercer la mission de tiers indépendant, par décret.
Dans l’exercice de l’option 1, le recours au tiers indépendant est encadré temporellement puisque le fournisseur doit transmettre les pièces justificatives au tiers sous 10 jours. Par ailleurs, en ce qui concerne l’option 2 uniquement, il est précisé qu’en cas d’inexactitude ou de tromperie volontaire de la part du fournisseur quant à la part agrégée des matières premières agricoles - entrainant l’impossibilité de délivrer l’attestation -, les frais d’intervention du tiers sont à la charge du fournisseur.
La loi telle qu’adoptée encadre ce dispositif en précisant que cette certification doit être fournie au plus tard dans le mois suivant la conclusion du contrat et prévoit qu’en l’absence de ladite certification, si les parties souhaitent poursuivre leur relation contractuelle, elles modifient leur contrat dans un délai de deux mois suivant la signature du contrat initial.
Le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale prévoyait que seules les matières premières agricoles et produits transformés qui représentent plus de 25% du produit fini, en volume, seraient soumises aux principes de transparence et de non négociabilité. Le Sénat était venu supprimer ce seuil aux fins de simplifications. La version définitive du texte laisse ainsi le dernier mot au gouvernement qui aura la possibilité de réintroduire ce seuil de 25% par décret.
Ces nouvelles dispositions sont applicables aux CGV communiquées à compter du 1er novembre 2021. Par conséquent, les CGV communiquées à compter de cette date devront être conformes aux nouvelles dispositions de l’article L. 441-1-1 du code de commerce (principe de transparence).
La date butoir pour l’envoi des CGV par le fournisseur de produits alimentaires et produits petfood reste le 1er décembre (tel qu’amendé par le Sénat), avec un délai d’un mois laissé au distributeur pour adresser ses observations écrites et motivées au fournisseur afin que la convention soit conclue au plus tard le 1er mars.
Le principe de rémunération dit « ligne à ligne » : le principe figure directement dans l’article L. 443-8 du code de commerce et prévoit ainsi que « La convention mentionne chacune des obligations réciproques et leur prix unitaire, auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation commerciale ».
Le principe de non négociabilité par le distributeur : le principe est conservé et ajusté au regard des modifications apportées par la CMP à l’article L. 441-1-1 du code de commerce. Les modalités de mise en œuvre du principe sont précisées : la convention écrite reproduit la part individuelle ou agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés telle qu’indiquée par le fournisseur dans ses CGV (et selon l’option de transparence choisie) et précise les modalités de sa prise en compte dans l’élaboration du prix convenu.
La clause de révision automatique des prix du contrat en fonction de la variation des coûts de la matière première agricole entrant dans la composition du prix du produit est conservée dans la version amendée par la Sénat. La clause de révision automatique doit donc être librement déterminée par les parties.
La modification de la clause de renégociation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce est étendue à l’ensemble des matières premières et vise désormais tant la fluctuation des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires que celle des prix de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages. La rapporteure pour le Sénat a d’ailleurs souligné que la hausse actuelle des cours en justifie pleinement l’adoption2.
Le principe de non-discrimination réintroduit à l’article L. 442-1, I, 4° du code de commerce pour les produits alimentaires et les produits petfood.
Le renforcement de l’encadrement des pénalités logistiques avec l’introduction de nouveaux articles L. 441-17 et suivants du code de commerce qui encadrent les conditions dans lesquelles de telles pénalités peuvent être infligées au fournisseur, d’une part, et la possibilité pour les fournisseurs d’infliger des pénalités aux distributeurs en cas d’inexécution d’un engagement contractuel, d’autre part, est conservé dans le texte définitif. Il est également prévu, à l’article L. 441-19, la création d’un guide de bonnes pratiques par la DGCCRF3 sur l’application de ces dispositifs. En particulier, le texte de compromis reprend le principe de symétrie des délais de paiement uniquement s’agissant du paiement des pénalités et des marchandises livrées et, dans le même temps, supprime l’inscription de la réciprocité des délais de paiement à l’article L. 441-10 du code de commerce, tel que proposée par le Sénat en première lecture.
Ces nouvelles dispositions sont applicables aux négociations commerciales de 2022. Par conséquent, les conventions conclues postérieurement au 1er janvier 2022 devront être conformes aux nouvelles dispositions de l’article L. 443-8 du code de commerce et au principe de non-discrimination.
La loi Egalim 2 entend également renforcer le dispositif de la médiation actuelle en créant un Comité de Règlement des Différends Commerciaux Agricoles (« CRDCA ») composé de cinq membres devant présenter des garanties d’indépendance. Le CRDCA est compétent en cas d’échec de la médiation et peut être saisi à l’initiative de l’une des parties dans le délai d’un mois à compter du constat de cet échec.
Le recours au CRDCA est obligatoire en cas d’échec de la médiation, sauf cas particuliers des litiges liés à l’exécution du contrat, où les parties pourront toujours saisir le juge directement selon la procédure accélérée au fond, sur la base des recommandations du médiateur. De plus, la compétence du CRDCA est exclue en cas de litige lié aux clauses de renégociation (article L.441-8 du code de commerce).
Ces compétences sont similaires à celles des autorités de régulation de secteurs régulés, comme l’énergie ou le transport par exemple. Le CRDCA peut prendre des mesures conservatoires et peut enjoindre aux parties de se conformer à sa décision et prononcer des astreintes dans la limite de 5% du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard. Ces décisions et mesures conservatoires sont susceptibles de recours en annulation ou en réformation devant la Cour d’appel de Paris.
Article 1er : la date d’entrée en vigueur sera fixée par décret pour chaque filière, et au plus tard le 1er janvier 2023. Les contrats en cours d’exécution au jour de l’entrée en vigueur de ces dispositions devront être mis en conformité dans un délai maximum d’un an à compter de cette date.
Article 2 : les dispositions de l’article 2 entrent en vigueur le 1er janvier 2022. Toutefois, les CGV communiquées à compter du premier jour du mois suivant la date de publication de la loi, soit le 1er novembre 2021, sont soumises à ces dispositions. Les conventions conclues sur la base de ces CGV devront être conformes à la loi (y compris celles conclues avant le 1er janvier 2022). Les contrats en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi devront être mis en conformité au plus tard le 1er janvier 2023.
Article 3 : les dispositions relatives au CRDCA s’appliquent aux médiations initiées à partir de la publication de la loi.