4 octobre 2018
La blockchain est au cœur des débats des institutions européennes. Le vote, le 3 octobre dernier, d'une nouvelle résolution par le Parlement européen sur la technologie des registres distribués (DLT) traduit une accélération de la démarche réglementaire européenne en la matière. Dans ce contexte, et compte tenu des enjeux de compétitivité qui en découlent, l'écosystème numérique doit saisir cette opportunité pour être en mesure de contribuer aux réflexions techniques et juridiques des institutions européennes qui permettront d'encadrer et de sécuriser les activités "on-chain" de manière adaptée.
A l'occasion de sa réunion plénière du 3 octobre 2018, le Parlement européen s'est prononcé en faveur d'une résolution intitulée "les technologies des registres distribués1 et les chaînes de blocs : renforcer la confiance par la désintermédiation", présentée par la commission en charge de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE).
Le vote de cette résolution fait suite au débat organisé en séance plénière le 1er octobre 2018 sur la base d'une question adressée par la commission ITRE à la Commission européenne le 31 août dernier2. Andrus Ansip, commissaire estonien en charge du marché unique numérique, a répondu en séance aux interrogations des parlementaires en précisant que la réflexion de la Commission européenne était toujours en cours et qu'elle couvrait les enjeux de protection juridique et de compétitivité liés à l'usage des DLT. Les parlementaires ont, quant à eux, insisté sur la nécessité de garantir le principe de neutralité technologique, mais également de veiller à la définition de règles garantissant la mise en place, au sein de l'Union, d'une concurrence équitable entre les principaux acteurs du secteur.
Signal fort visant à inscrire le Parlement européen comme un acteur clé de la réflexion réglementaire sur les DLT, cette résolution offre une analyse équilibrée des apports de cette technologie et des enjeux réglementaires associés.
Portée par Eva Kaili3, cette résolution met en exergue les différents usages et les apports des DLT dans les secteurs financier (amélioration de la transparence, réduction des coûts de transaction, rationalisation des processus), de l'énergie (ex. pour la production, la distribution et la consommation d'énergie), de la santé (ex. pour la traçabilité et la distribution des médicaments ou pour la gestion des données de santé et leur utilisation par les compagnies d'assurances), de l'éducation (ex. pour l'authentification des qualifications universitaires ou pour la gestion des crédits), et des industries créatives (ex. pour la gestion des droits d'auteurs ou des brevets).
La résolution souligne que l'usage de DLT peut aussi accroître l'efficacité dans le secteur public (ex. numérisation et gestion décentralisée des registres publics, du cadastre, de l'octroi de licences et de certificats, etc.).
En matière de financement, la résolution met l'accent sur les opportunités qu'offrirent également les levées de fonds en crypto-actifs (ICO - Initial Coin Offerings) en tant qu'outil de financement alternatif et complémentaire aux modes de financement traditionnels. A cet égard, le texte du Parlement européen rappelle "que le manque de clarté quant au cadre juridique applicable à ces offres peut avoir une incidence négative sur leur potentiel ; [et] que la sécurité juridique peut contribuer à accroître la protection des investisseurs et des consommateurs […]".
Si la technologie blockchain peut permettre de réduire les coûts d'intermédiation, d'accroître la transparence et d'assurer la traçabilité des transactions, elle porte en effet en germe un certain nombre de questions structurantes en matière de réglementation.
La résolution préparée par la commission ITRE souligne plusieurs problématiques liées aux DLT notamment en matière de protection des données personnelles4. Comment, par exemple, assurer le droit à l'oubli au cœur d'un dispositif dont les principes constitutifs reposent sur l'irréversibilité et l'immuabilité des données inscrites sur une chaîne de blocs ? La résolution du Parlement européen soulève également des questions de territorialité du droit et de la compétence juridictionnelle dans le contexte d'une technologie décentralisée.
Cette prise de position du Parlement européen s'inscrit dans une réflexion réglementaire plus large sur l'encadrement des registres distribués, initiée par la Commission européenne avec, notamment, la mise en place, en février 2018, de l'Observatoire et forum européen des chaînes de blocs, et la publication, en mars 2018, d'un plan d'action pour les FinTech et la création du EU Fintech Lab5.
La résolution souligne que "toute démarche réglementaire vis-à-vis de la DLT doit être propice à l'innovation [et] être guidée par les principes de neutralité technologique et de neutralité du modèle commercial". L'enjeu réglementaire est donc triple : il s'agit de créer un environnement réglementaire sécurisant pour les "utilisateurs" européens, qui ne soit ni un frein à l'innovation, ni un obstacle au développement du marché unique (en particulier en matière de financement).
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La réponse règlementaire devra nécessairement être innovante et probablement inédite eu égard aux spécificités et à la potentialité de la technologie blockchain. Elle devra également se concentrer sur l'encadrement des usages concrets des DLT, plutôt que sur la régulation de la technologie sous-jacente, par nature évolutive ; caractéristique qui force à être créatif en termes de normalisation juridique. La dynamique réglementaire dans laquelle les institutions européennes sont désormais engagées devra alors se nourrir des expertises techniques et juridiques pour aboutir à un encadrement adapté, sécurisant, et vecteur de croissance pour le marché unique. Il est ainsi indispensable que tous les acteurs de l'écosystème se mobilisent et c'est précisément dans cette dynamique que s'inscrit l'action de Gide 255.
Gide 255 accompagne ses clients dans leurs réflexions réglementaires et leurs initiatives stratégiques dans le domaine numérique. Forte de son expérience multidisciplinaire, l'équipe de Gide 255 s'implique auprès de ses clients, dans la structuration juridique de leurs activités et l'évolution des règles qui s'appliqueront à ce secteur économique en pleine croissance. Pour en savoir plus : gide255.com
1 Distributed Ledger Technology (DLT), communément désignés comme les "chaînes de blocs" ou Blockchain
2 Question avec demande de réponse orale à la Commission. Eva Kaili, au nom de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie. 31 août 2018. "1. Comment la Commission compte-t-elle instaurer un climat de sécurité juridique propice aux technologies des registres distribués et des chaînes de blocs en Europe ?" et "2. Quelles initiatives entend-elle prendre pour créer un écosystème compétitif des chaînes de blocs dans l’Union européenne ?"
3 Parlementaire grecque, membre du groupe S&D.
4 Règlement EU 2016/679 ou RGPD (règlement général sur la protection des données personnelles).
5 Le EU FinTech Lab (laboratoire des technologies financières) a été mis en place à la suite de la publication la Commission européenne de son plan d'action FinTech en mars 2018. Cette initiative vise à réunir des fournisseurs européens des technologies DLT, ainsi que des régulateurs/superviseurs de manière à mieux cerner les enjeux réglementaires liés à ce développement technologique. Le EU FinTech Lab s'est réuni pour la première fois le 20 juin 2018 sous l'égide de la DG CONNECT et de la DG FISMA.