4 janvier 2021
La crise du Covid-19, l’état d’urgence sanitaire et l’arrêt quasi total de l’activité pendant plusieurs semaines ont mis à l’épreuve l’exécution de nombreux contrats : ainsi, le respect de certains délais a été compromis, l’accomplissement de certaines prestations a été rendu plus difficile ou onéreux tandis que la capacité d’un grand nombre d’entreprises à honorer leurs dettes a été affectée. Dans ce contexte inédit, la tentation du recours au solidarisme contractuel, parfois encouragée sur le plan politique et moral par les pouvoirs publics, pourrait également gagner les tribunaux. Elle n’est toutefois pas sans présenter des risques juridiques, dont il convient d’appréhender les enjeux et de mesurer la portée.
En France, depuis le début de l’année 2020, l’épidémie de coronavirus a, en quelques semaines seulement, donné lieu à un « confinement » généralisé, qui a lui-même entraîné une quasi-paralysie du pays et bouleversé tous les secteurs de l’économie. Alors que ce scénario inédit se répète, l’exécution de nombreux contrats a été rendue plus complexe – voire impossible dans certains cas – dans un contexte de difficultés économiques et structurelles (le fonctionnement des tribunaux ayant même parfois, temporairement, privé les parties1 de la faculté de recourir au juge pour trancher les différends résultant de cette situation de crise).
Pour faire face à la première vague de l’épidémie, le gouvernement français a, en vertu de la loi d’habilitation adoptée par le Parlement2, pris une série d’ordonnances organisant un régime juridique d’exception pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Parmi les dispositions introduites dans ce contexte, l’une d’entre elles a neutralisé les mécanismes contractuels (astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance) ayant « pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé » si ce délai a expiré entre le 12 mars et le 23 juin 20203.
En outre, probablement conscients de la difficulté à anticiper et à traiter la diversité des problématiques susceptibles d’être posées sur le territoire national, malgré l’ampleur de l’arsenal juridique déployé dans ce contexte, les pouvoirs publics ont, par ailleurs et compte tenu de la fermeture de l’institution judiciaire, appelé l’ensemble des acteurs à faire preuve de solidarité. La mise en place d’un « fonds de solidarité » – bien qu’elle n’ait pas d’importance d’un point de vue contractuel – est sans doute révélatrice de la ligne politique adoptée.
Si les appels à la solidarité paraissent difficilement critiquables sur le plan moral, ils posent notamment la question, sur le plan juridique, de la nécessité de revoir le droit des contrats (en particulier, le principe de l’intangibilité et de la force obligatoire du contrat) au regard de la théorie du solidarisme contractuel, qui vise à créer un lien de solidarité entre les parties et à concilier leurs intérêts, pourtant souvent divergents.
Le débat « solidarisme contre autonomisme » n’est certes pas nouveau et a déjà fait l’objet d’analyses théoriques, philosophiques et juridiques approfondies4. Il pourrait cependant connaître un regain d’intérêt à la faveur de la crise que nous vivons : d’une part, l’application du seul droit positif peut parfois s’avérer inéquitable car insuffisante pour appréhender pleinement certains paramètres exogènes dans un environnement fortement perturbé ; d’autre part, la promesse d’un « assouplissement de la force obligatoire au bénéfice de la partie faible », dans le but de « rétablir un certain équilibre de droits entre des parties inégales de fait »5 peut s’avérer particulièrement séduisante et plus adaptée pour répondre à de nouvelles attentes morales, sociales et sociétales.
S’il est à l’évidence trop tôt pour évaluer l’impact que l’épidémie de Covid-19 pourrait avoir sur ce débat, il nous est paru opportun, pour mieux en appréhender les enjeux, de procéder dès à présent à certains rappels et de partager quelques éléments de réflexion concernant (I) la force obligatoire des contrats et ses limites en l’état du droit positif (II), la tentation d’un recours au solidarisme contractuel dans le contexte de crise actuel et (III) les principaux risques inhérents à un renforcement du solidarisme contractuel d’un point de vue juridique.
>> Retrouvez la version intégrale de la tribune de Stanislas Dwernicki, associé, Etienne Chesneau et Yannick Granjon, collaborateurs, publiée le 29 décembre 2020 dans Les Petites Affiches, en cliquant ici.
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[1] « Les juridictions seront donc fermées sauf en les services qui assureront le traitement des contentieux essentiels (audiences pénales urgentes, présentations devant le juge d’instruction et le juge de la liberté et de la détention, audiences du juge pour enfant pour les urgences, permanences du parquet, procédures d’urgence devant le juge civil notamment pour l’éviction du conjoint violent…) », Communiqué de presse du ministère de la Justice, 15 mars 2020.
[2] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
[3] Article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
[4] En particulier, nous renvoyons à la lecture de l’étude « Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de cassation », par Jean Cédras, avocat général à la Cour de cassation en service extraordinaire.
[5] Cédras J., « Le solidarisme contractuel en doctrine et devant la Cour de cassation », extrait de la deuxième partie du rapport annuel de 2003 de la Cour de cassation ; dans le même sens, Mazeaud D., « Mais qui a peur du solidarisme contractuel ? », D. 2005, p. 1828.