15 novembre 2020
La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, adoptée le 7 novembre 2020, a été publiée au Journal officiel de la République française du 15 novembre 2020 (la « Loi »).
L'article 14 de la Loi prévoit, pour certains preneurs exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative et répondant à des critères d’éligibilité à définir par un décret d’application, une neutralisation des sanctions contractuelles et des recours judiciaires dont disposent en principe les bailleurs pour recouvrir les loyers et les charges locatives impayés pendant la période au cours de laquelle l’activité économique est affectée (les « Mesures de Neutralisation »).
Le point de départ et la fin de ces Mesures de Neutralisation posent cependant certaines questions pratiques. En revanche, l’articulation entre les Mesures de Neutralisation et les dispositions des ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 ne devrait a priori pas poser de difficulté particulière.
Remarque : l’article 14 de la Loi contient aussi des dispositions relatives à la suspension, à l’interruption et à la réduction, y compris par résiliation de contrat, de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau aux preneurs bénéficiant des Mesures de Neutralisation pour non-paiement par ces derniers de leurs factures. Ces dispositions ne sont pas examinées dans la présente note.
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent aux preneurs remplissant les conditions cumulatives suivantes:
Les « mesures de police administrative » visées par l’article 14 de la Loi sont principalement celles visant à:
La Loi proroge jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sanitaire et jusqu’au 1er avril 2021 le régime transitoire permettant au Premier ministre de réglementer l’accès du public aux établissements recevant du public (ERP) voire de l’interdire en cas d’impossibilité de faire respecter les protocoles sanitaires, de telle sorte que des « mesures de police administrative » entrant dans le champ d’application de l’article 14 de la Loi pourraient être prises ou prolongées jusqu’au 1er avril 2021.
Les Mesures de Neutralisation font obstacle, pour les preneurs bénéficiaires, à la mise en œuvre des sanctions suivantes :
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent quelles que soient les clauses prévues dans le bail, l’article 14 précisant que « toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite ».
Toutefois, les Mesures de Neutralisation ne font pas obstacle à la compensation[2] entre les sommes dues par le locataire et le bailleur, ce qui suppose que ce dernier soit lui-même redevable de sommes d’argent envers le preneur[3].
Par ailleurs, les Mesures de Neutralisation ne remettent pas en cause l’exigibilité des loyers et des charges locatives dus par les preneurs bénéficiaires au titre de leur bail, quelle que soit la période concernée.
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent « aux loyers et charges locatives [afférents aux locaux professionnels ou commerciaux et] dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
La rédaction de l’article 14 pourrait soulever des difficultés quant à la détermination de « la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police » (voir ci-après).
Il résulte de la rédaction visée ci-dessus que le point de départ des Mesures de Neutralisation correspond au moment où l’activité du preneur bénéficiaire commence à être « affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
En pratique, cela pourrait par exemple correspondre, pour de nombreuses activités, au 29 octobre 2020 à minuit, c’est-à-dire à la date de l’entrée en vigueur du décret n° 2020-1310 imposant un nouveau confinement.
En outre, la Loi précise que l’article 14 « s’applique à compter du 17 octobre 2020 ».
Le caractère général des mesures de police administrative visées ci-dessus et l’ambiguïté du terme « affectée » pourraient cependant conduire à une interprétation différente, prenant en compte des mesures antérieures. Il paraît donc souhaitable que le décret d’application apporte des précisions à ce sujet.
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent, pour les preneurs bénéficiaires, « jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
L’article 14 précise que :
Une lecture stricte de l’article 14 de la Loi pourrait conduire à considérer que les Mesures de Neutralisation prendront fin à la date à laquelle l’activité économique du preneur cessera effectivement d’être « affectée » (au sens « impactée ») par des mesures de police administrative, ce qui pourrait entraîner, en pratique, d’importantes difficultés d’application.
Toutefois, l'exposé des motifs de l'amendement présenté par le Gouvernement pour introduire les Mesures de Neutralisation dans la Loi indique que celles-ci prendront fin à « l'expiration d'un délai de deux mois après la fin des mesures de restriction de l'activité professionnelle ».
Une lecture de l’article 14 de la Loi à l’aune du but ainsi poursuivi par les pouvoirs publics devrait donc conduire à retenir, pour déterminer la date de fin des Mesures de Neutralisation, la date de fin d’application des mesures de police administrative elles-mêmes, indépendamment de l'impact que celles-ci pourraient continuer à avoir sur l’activité économique du preneur.
La paralysie des sanctions visées par l'ordonnance de n° 2020-306 ont cessé depuis le 24 juin 2020. En conséquence, les Mesures de Neutralisation prévues par l’article 14 de la Loi ne se superposent pas avec les dispositions de cette ordonnance.
La paralysie des sanctions visées par l'ordonnance n° 2020-316 prenant en principe fin au 10 septembre 2020, les dispositions de l'ordonnance n° 2020-316 et celles de l'article 14 de la Loi pourraient se compléter pour les preneurs éligibles aux deux dispositifs.
Cependant et sous réserve des dispositions du décret d’application à paraître, le champ d’application des Mesures de Neutralisation prévues par l’article 14 de la Loi s’annonce plus large que celui des dispositions de l'ordonnance n° 2020-316 :
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[1] La formulation de l’article 14 de la Loi rappelle celle employée à l'article 1 de l'ordonnance n° 2020-316, qui dispose que « les critères d'éligibilité [au fonds de solidarité] aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la crise sanitaire ».
[2] Au sens de l’article 1347 du Code civil. Celui-ci dispose que « la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
[3] Tel était le cas, par exemple, dans une affaire ayant donné lieu à une décision du Tribunal judiciaire de Paris en date du 10 juillet 2020 (n° 20/04516), qui a autorisé, sur le fondement de la bonne foi, la compensation entre les sommes dues réciproquement par le locataire et par le bailleur. En l’espèce, le bailleur était redevable à l’égard du preneur d’un trop-perçu de loyers en exécution d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris.
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