7 avril 2020
Point de vue | France | Par Philippe Dupichot
Alors que chaque français se demande légitimement quand son confinement prendra fin, le juriste peine à identifier précisément une date de fin de l’état d’urgence sanitaire pourtant déterminante au regard des nombreuses ordonnances qui se réfèrent à cette période.
L'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dispose ainsi que « l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ». Or, publiée au JO du 24 mars 2020, cette loi est entrée « en vigueur immédiatement » en vertu de son article 22.
Le dies a quo de l’état d’urgence sanitaire ne pouvait ici guère susciter la discussion.
Aux termes des alinéas 1 et 2 de l'article 1 du Code civil tels qu’ils résultent de l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs, « les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication (…).
En cas d'urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l'ordonne par une disposition spéciale ».
Partant, l'état d'urgence sanitaire a commencé le 24 mars (jour de la publication), à zéro heure : retenir l’extrême début du jour de la publication semble la seule solution conforme au vœu d'urgence.
L’identification du dies ad quem - donc du terme de l’état d’urgence sanitaire (réserve faite naturellement ici d’une nouvelle loi l’étendant ultérieurement…) - est autrement périlleuse pour trois raisons.
D’abord, parce que, la loi du 23 mars 2020 n’a pas tranché la question tandis que les travaux parlementaires ne permettent nullement d’éclairer ce point.
Ensuite, parce que, à notre connaissance tout du moins, il n’existe pas de règles officielles de computation des périodes de temps arrêtées par le législateur (hors du droit de la prescription ou du droit judiciaire) : singulièrement, le remarquable rapport du Conseil d’Etat, dont les propositions ont largement inspiré l'ordonnance précitée du 20 février 2004 sur la date d'entrée en vigueur des lois, n’a pas abordé cette question. Certes, les articles 641 et 642 du Code de procédure civile retiennent dans un chapitre intitulé « computation des délais » que « le délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai » et que « tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures », suggérant une expiration au 24 mai à minuit. Mais, à dire vrai, une analogie avec de précédents états d’urgence institués à la suite des attentats du Bataclan militait plutôt en faveur d’une extinction de l’état d’urgence la veille à 24h du quantième de référence (soit le 23 mai à minuit) et non le jour portant le même quantième (le 24 mai).
Enfin, parce que le Conseil d’Etat – dont on saluera avec d’autres l’extraordinaire mobilisation face à la guerre sanitaire – a lui-même paru hésiter dans son analyse du dies ad quem. Après avoir initialement retenu comme date de fin de l’état d’urgence le 24 mai à minuit sur son site internet, il a ensuite (discrètement) révisé son analyse vers le 3 avril, retenant désormais la date du 23 mai à 24 heures…
Cette dernière analyse peut d’ailleurs se réclamer de la méthode de calcul du terme des délais retenue par la Cour deassation en matière de prescription. En effet, sur le fondement de l’article 2229 du code civil suivant laquelle la prescription est « acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli », la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le nouveau délai quinquennal de prescription résultant du dispositif de droit transitoire établi par l’article 26 II de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, « était expiré le 18 juin 2013 à 24 heures », soit la veille du quantième de référence. L’arrêt est d’autant plus intéressant qu’il a rejeté expressément toute expiration le jour portant le même quantième (soit le 19 juin à 24 heures) autant que l’application ici des articles 641 et 642 du Code de procédure civile (Cass. 1ère civ. 12 décembre 2018, n° 17-25697, Bulletin).
Il reste qu’il eût été préférable que le législateur prit la peine de définir expressément le dies ad quem, ainsi qu’il a pu le faire par le passé.
La loi n° 68-696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des évènements de mai et juin 1968 et prorogeant divers délais mentionnait ainsi la date précise des termes des délais prorogés : dans un « esprit de clarté et de simplification » le Sénat ne l’avait-il pas estimé à juste titre préférable ?
Si l’état d’urgence sanitaire devait, fort malheureusement, être prorogé au-delà des deux mois actuels, il serait bon que le législateur en arrête cette fois expressément le dies ad quem…
♦ ♦ ♦
Philippe Dupichot dirige le Conseil Scientifique de Gide, aux côtés d'associés, de senior counsels, scientifiques et personnalités dotés d'une grande autorité doctrinale, qui travaillent en étroite collaboration avec les avocats du cabinet. Professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et avocat au Barreau de Paris, Philippe est le directeur du Master 2 Droit bancaire et financier. Il enseigne en droit civil et en droit commercial, en particulier en droits des contrats, des biens, des sûretés et des sociétés.
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Gide.
>> Cliquez ici pour plus d'informations sur le groupe de travail pluridisciplinaire de Gide mis en place pour répondre à toutes vos questions juridiques dans le contexte du Covid-19.