29 janvier 2024
IMPLICATIONS DE LA MISE EN ŒUVRE DU MECANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIERES (MACF) PAR L'UNION EUROPEENNE
Qu'est-ce que le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) ?
Par un Règlement n° 2023/956 en date du 10 mai 2023, l'Union Européenne s'est dotée d'un Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF).
L'objectif de ce mécanisme est de rétablir une concurrence juste entre les entreprises européennes et les importateurs étrangers, alors que l'Union Européenne a décidé la mise en place, sur son territoire, d'une réglementation environnementale ambitieuse visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre notamment de son industrie.
Dans ce cadre, il existait un double risque de "fuite de carbone" : un risque de substitution de la production européenne par des importations hors UE d'une part et, un risque de délocalisation de certaines industries hors des Etats européens d'autre part. C'est en vue de lutter contre ce double risque que le MACF a été pensé. Il s'agit d'étendre les normes environnementales européennes aux entreprises exportant sur le territoire de l'Union aux fins de garantir une tarification du carbone équivalente pour les importations et les produits de l'Union.
Concrètement, le MACF va permettre d'imposer un surcoût pour les importateurs de produits dont la production est polluante et, à tout le moins, n'est pas soumise à un prix du carbone ou supporte un prix du carbone faible. Pratiquement, les importateurs de produits de pays tiers devront acquérir auprès des Etats européens des certificats en fonction du carbone émis pour la production du bien importé et, dont le prix sera indexé sur celui du CO2 au sein du marché européen du carbone.
La comptabilisation desdites émissions sera effectuée par l'importateur européen au regard des données qui devront lui être transmises par l'entreprise exportatrice. A défaut d'une telle transmission, il sera appliqué des valeurs par défaut.
Le MACF est mis en œuvre de manière progressive. Ainsi, depuis le 1er octobre 2023 et jusqu'à la fin de l'année 2025, seule une obligation déclarative est effective : les importateurs européens doivent uniquement déclarer les émissions carbone des produits qu'ils importent.
Le paiement des certificats débutera quant à lui en 2026, avec une montée en charge du MACF jusqu'en 2034.
Par ailleurs, à date, le MACF ne s'applique qu'à six secteurs pilotes (i.e., l'acier et le fer, l'aluminium, le ciment, les engrais azotés, l'électricité et l'hydrogène), ainsi qu'à certains produits (comme les vis, les boulons ou les écrous). En 2026, la liste des secteurs concernés pourra néanmoins être élargie par l'exécutif européen.
Quels sont les enjeux du MACF pour les Etats et entreprises du continent africain ?
Le MACF devrait emporter des conséquences significatives sur la compétitivité des pays en développement exportateurs de produits vers l'Union Européenne et tout particulièrement, pour l'économie du continent africain qui est fortement exportatrice vers l'Union Européenne.
Certaines études estiment ainsi que la mise en œuvre du MACF pourrait engendrer une diminution des exportations du continent de près de 6% et, faire baisser le PIB africain de 25 milliards de dollars américains, soit environ 0,91%. Selon une étude de la Banque Mondiale de juin 2023, le Mozambique, l'Afrique du Sud ou encore le Cameroun pourraient être ainsi fortement exposés à ce nouveau mécanisme, tout comme les Etats du Maghreb.
Le MACF pourrait aussi également redistribuer les cartes de la compétitivité entre les Etats africains, certains Etats qui recourent à des méthodes de production moins polluantes verraient leur offre exportatrice devenir plus compétitive par rapport à leurs concurrents du continent.
Il faut enfin souligner le risque d’effet pervers que le MACF pourrait avoir sur certaines économies africaines exportatrices qui pourraient ainsi se voir dissuader de transformer localement leurs matières premières compte tenu des secteurs aujourd'hui visés par le MACF. A titre d'exemple, un quart de la bauxite mondiale (minerai qui permet de produire de l’aluminium) provient de la Guinée. Toutefois, la bauxite est exclue du MACF (aux fins d'inciter à exporter de la bauxite dans l’UE), alors que l’aluminium y est, quant à lui, soumis.
Compte de tenu de ses effets déterminants pour l'économie africaine, le MACF doit être pris en compte tant par les Etats africains dans la définition de leur politique industrielle et énergétique, que par les entreprises du continent pour leur politique d'investissement productif ce, aux finS de maintenir leur compétitivité pour l'exportation vers le marché européen.
Or, les premières observations semblent montrer que les différents acteurs du marché africain ont peu anticipé l'entrée en vigueur du MACF, tout comme d'ailleurs, les entreprises européennes importatrices auprès de ces derniers alors même que le coût des importations concernées devrait de fait augmenter.
Quelles actions sont à considérer face à la mise en œuvre du MACF ?
Face à la mise en œuvre du MACF, deux niveaux d'actions peuvent être considérés pour permettre d'en contenir les effets négatifs sur le continent africain :
Ces différentes actions nécessitent toute une infrastructure, un savoir-faire et des ressources considérables. Le financement de cette transition par les Etats africains avec le concours de l’Union Européenne et des banques de développement sera indispensable.
Il appartient également aux entreprises européennes d’accompagner leurs partenaires exportateurs dans cette montée en compétence pour le calcul des émissions, mais aussi dans la décarbonation des processus de production.
A défaut, face au coût que représente le MACF, le risque est que les entreprises du continent africain doivent se détourner du marché européen pour réorienter leurs exportations vers des marchés avec des exigences environnementales moins fortes, notamment en Asie.
La prise en compte du MACF devra enfin intervenir au niveau de la rédaction des contrats d'importation au sein desquels il conviendra notamment d'organiser la transmission des données des émissions de carbone et gérer les conséquences sur le prix.