Comment le Maroc aborde-t-il les flux intragroupe et les problématiques de prix de transfert ?
L'administration fiscale marocaine est assez agressive à l'égard des flux intragroupes transfrontaliers lors de contrôles fiscaux. C'est la raison pour laquelle il est essentiel d'être préparé grâce à la rédaction d'une documentation locale (incluant un benchmark si possible avec des comparables locaux) pour justifier le prix des transactions avec les parties liées. Une documentation préparée sur la base des modèles et principes de l'OCDE est admise localement.
Il convient de noter que des accords préalables en matière de prix de transfert (dont la procédure et les effets sont similaires aux meilleures normes et pratiques internationales) sont disponibles, malgré le fait que seules quelques entreprises ont initié cette procédure, en raison de la réticence à divulguer des informations sur la marge aux autorités fiscales. Cependant, cette procédure reste intéressante notamment pour les entreprises dont 100 % des transactions (ventes et/ou achats) sont réalisées avec des parties liées.
En outre, les services fournis à une filiale (ou client) marocaine seront généralement soumis à une retenue à la source de 10 % au Maroc, ceci même si un traité de non double imposition s’applique, en raison de l’interprétation large de la notion de « redevances » par l’administration fiscale marocaine. Une attention particulière doit donc être portée à la rédaction de ces contrats intragroupe afin d’inclure, le cas échéant, une clause dite de "gross up".
En plus des aspects fiscaux, les flux intragroupe et notamment les contrats dits de "management fees" doivent être conformes à la réglementation des changes marocaine. Les contrats types de services ou d’assistance technique ne peuvent généralement être mis en œuvre (et les factures correspondantes dûment payées) qu’après avoir été formellement approuvés par l’Office des Changes Marocain. A défaut, les paiements peuvent être bloqués et la filiale marocaine s'expose à des sanctions.
Quels sont les meilleurs moyens de contester une taxation erronée de la part de l'État ?
En règle générale, l’administration fiscale contestera lors d’un contrôle fiscal, la position fiscale d’une entreprise – par exemple en ce qui concerne les flux intragroupe – sur la base des réglementations en matière de prix de transfert dont la procédure similaire à celles qui existent dans la plupart des juridictions européennes (incluant une phase de contrôle sur place puis une procédure contradictoire écrite). La plupart des contrôles fiscaux au Maroc sont clôturés après négociation d'un accord dans le cadre d'un protocole d'accord transactionnel.
Cette option est intéressante pour clôturer rapidement un contrôle fiscal mais elle présente deux inconvénients importants : les autorités fiscales peuvent contrôler l'entreprise tous les quatre ans sur les mêmes sujets (et effectuer les mêmes redressements) et le montant des impôts complémentaires payés est souvent lié à des redressements dépourvus de base juridique.
Engager une procédure judiciaire contre l'administration fiscale implique de fournir des garanties à l'État à hauteur du montant des impôts résultant des redressements effectués dans le cadre du contrôle fiscal, ce qui peut s'avérer assez décourageant. Cependant, une fois cet obstacle surmonté, les avantages de la procédure judiciaire sont très intéressants et comprennent principalement les éléments suivants :
• Les décisions du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel peuvent être obtenues assez rapidement (moins de 2 ans pour les décisions de première instance et d’appel cumulées) ;
• Les juges ne sont pas des experts fiscaux et s’appuient la majeure partie du temps sur un rapport d’expert qui est généralement un expert-comptable favorable aux entreprises ;
• Le tribunal reconnaît les vices de procédure résultant du contrôle sur place et la faible argumentation des autorités fiscales pour annuler la taxation supplémentaire.
Y a-t-il des développements récents au Maroc concernant la taxation des prestataires de services en ligne (tels que les GAFAM) ?
Le Maroc n’est pas membre de l’OCDE mais participe à toutes les discussions sur le cadre BEPS et met actuellement en œuvre les meilleures pratiques de gouvernance fiscale recommandées par l’OCDE. En conséquence, le Maroc, qui dispose du plus grand réseau de conventions fiscales d’Afrique, bénéficie des dispositions de l'instrument multilatéral qui renforcent les droits d'imposition de l’État à l'encontre des prestataires de services en ligne.
Toutefois, il convient de noter que pour le moment, l’administration fiscale marocaine ne se concentre pas beaucoup sur les redressements de type "établissements stables" (ES), ce qui signifie que les fournisseurs de services en ligne ne déclarent généralement pas d’ES au Maroc. Nombre d’entre eux n’ont pas encore d’activité dans le pays, principalement pour des raisons réglementaires (exigences en matière de licences, problèmes de réglementation des changes, etc.).
Cela étant dit, le Maroc a mis en œuvre en 2024 une vaste réforme de la TVA qui comprend une modification des règles de territorialité concernant les services numériques achetés sur des plateformes en ligne étrangères. Alors que les services standards ne sont taxables (à la TVA) que lorsqu’ils sont utilisés au Maroc (indépendamment du pays de résidence du bénéficiaire), les services numériques (qui ne sont pas encore définis précisément par la réglementation) sont imposables sur la base d’un seul critère : le pays de résidence du bénéficiaire.
Sur la base de ce nouveau principe, les services numériques fournis à un résident fiscal marocain seront imposables au Maroc. Suite à cette réforme, de nombreux prestataires de services numériques sont désormais tenus de s'enregistrer au Maroc aux fins de la TVA, ce qui peut également entraîner une exposition plus importante de leur part en matière d'ES et impôt sur les sociétés.