Analyses & décryptages

Les nouvelles mesures de renforcement de la protection des lanceurs d’alerte : une conciliation de plus en plus difficile avec les intérêts de l’entreprise ?

Le 17 mars 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’intégralité des dispositions de la nouvelle loi[1] « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte », à l’exception de son article 11 qui ne présentait aucun lien avec les autres dispositions. La France est ainsi le 8ème pays de l’Union Européenne à transposer la Directive du 23 octobre 2019 « sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union »[2].

La nouvelle loi, qui entrera en vigueur le 1er septembre 2022, renforce le dispositif existant en élargissant le domaine des alertes (1.). Elle permet désormais aux lanceurs d’alerte d’émettre directement des signalements externes en supprimant le dispositif par paliers institué par la loi Sapin II (2.). Enfin, elle étend considérablement les mesures de protection des lanceurs d’alerte et des personnes qui les aident (3.).

  1. L’ELARGISSEMENT DU STATUT DE LANCEUR D’ALERTE ET DU DOMAINE DE L’ALERTE
  • Le lanceur d’alerte est défini par la nouvelle loi comme la « personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi ».

Le critère de « désintéressement » est remplacé par celui d’absence de contrepartie financière. Cette notion fait référence à la Directive, qui exclut du statut de lanceur d’alerte les personnes qui « ont été identifiées comme informateurs ou enregistrées comme tels (…), et signalent des violations aux services répressifs en échange d’une récompense ou d’une indemnisation. ».

  • La nouvelle loi supprime également l’obligation d’avoir personnellement connaissance des faits signalés si l’information a été obtenue dans un contexte professionnel.
  • Par ailleurs, la protection accordée au lanceur d’alerte est étendue aux « facilitateurs », entendus comme les personnes physiques et morales de droit privé à but non lucratif (tels que les syndicats et associations) qui ont aidé le lanceur d’alerte à réaliser un signalement. La protection est accordée aux personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte risquant de faire l’objet de mesures de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les entités contrôlées par le lanceur d’alerte, ainsi que celles pour lesquelles il travaille, sont également protégées. Les entreprises devront ainsi identifier les facilitateurs et personnes protégées, ce qui ne se fera pas sans difficulté notamment s’agissant des alertes externes.
  • Ces modifications risquent d’entrainer une augmentation du flux des alertes et la recevabilité de certaines alertes qui étaient jusqu’à présent exclues du champ d’application de la loi Sapin II.
  1. LA FACULTE D’EMETTRE IMMEDIATEMENT DES ALERTES EXTERNES
  • La principale modification apportée par la loi de transposition est l’instauration de la faculté d’effectuer immédiatement une alerte externe, en supprimant les différents paliers institués par la loi Sapin II.

Le lanceur d’alerte pourra désormais bénéficier du régime de protection s’il effectue un signalement externe sans avoir préalablement dénoncé les faits en utilisant le système interne mis en place au sein de son entreprise. L’alerte externe pourra être adressée à l’autorité compétente désignée par Décret, à savoir au Défenseur des droits, à l’autorité judiciaire, à une institution, un organe, ou un organisme de l’Union Européenne compétent.

  • La divulgation publique pourra, quant à elle, intervenir immédiatement :
  • en cas de « danger grave et imminent »,
  • si le signalement externe faisait encourir au lanceur d’alerte un risque de représailles ou « ne permettait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation »,
  • s’agissant des informations obtenues dans un cadre professionnel, en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

Elle pourra également intervenir après un signalement externe, si l’alerte n’a pas été traitée dans un délai qui sera fixé par Décret en Conseil d’Etat par les autorités.

  • On peut regretter que la loi ne prévoie pas que les entreprises soient informées de l’existence d’un signalement externe portant sur des faits qui les concernent directement, ni qu’elles soient en mesure de traiter ces alertes ou de mettre en place les mesures de remédiation adéquates.

On peut également craindre que les modalités de traitement des signalements externes par les autorités soient complexes et longues, rendant leur efficacité pratique limitée.

  1. LES LANCEURS D’ALERTE BENEFICIENT DE MESURES DE PROTECTION RENFORCEES
  • La nouvelle loi renforce la protection des lanceurs d’alerte, et des facilitateurs.

Elle établit notamment une liste non exhaustive contenant quinze mesures de représailles et augmente le montant de l’amende civile encourue par une personne qui aurait engagé une procédure civile ou pénale dite « bâillon » à l’encontre d’un lanceur d’alerte, pour entraver son signalement.

  • Par ailleurs, le principe d’irresponsabilité du lanceur d’alerte est renforcé tant au plan civil que pénal. Il ne pourra pas voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement de préjudices causés par un signalement de bonne foi.

Mais surtout, ni le lanceur d’alerte ni son complice ne pourront être sanctionnés pénalement pour avoir soustrait, détourné et recelé des documents confidentiels dans le cadre de l’alerte, contenant des informations dont ils auront eu connaissance de façon licite.

  • Le texte institue également une aide financière au profit des lanceurs d’alerte qui engageraient une procédure judiciaire s’ils  étaient  victimes de représailles, ou qui feraient l’objet d’une procédure « bâillon ».

Le juge aura la faculté d’accorder une provision, qui pourra être rendue définitive à tout moment, au titre des frais de justice du lanceur d’alerte, ainsi qu’une provision supplémentaire au lanceur d’alerte dont la situation financière se serait gravement dégradée.

***

Le Décret en Conseil d’Etat permettra de préciser certaines modalités pratiques, s’agissant notamment de la réception et du traitement des alertes externes, et des mesures que les entreprises devront mettre en œuvre pour adapter leur système d’alerte interne. 

Cette nouvelle loi devrait encourager les entreprises à renforcer leur dispositif pour inciter leurs salariés et cocontractants à recourir aux signalements internes

 


[1] Loi n°2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

[2] Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations de droit de l’Union.

 

 

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